Armes chimiques, parlons-en !

En avril 2018, les journalistes médusés informaient les téléspectateurs français qu’une « attaque chimique perpétrée par le régime syrien » avait eu lieu contre des populations civiles de la ville de Douma, dernier bastion islamiste du secteur de la Ghouta orientale en périphérie de Damas… Pour les puissances militaires occidentales définissant les « axes du bien et du mal » à la surface de la Terre depuis le premier partage du monde durant la Grande Guerre, il y a eu la faute grave du fameux « franchissement d’une ligne rouge, » justifiant en punition une frappe conventionnelle. Une centaine de missiles sanctions furent donc tirés par les Etats-Unis, la France et l’Angleterre.

Le lendemain, devant les députés, le premier ministre Edouard Philippe se félicitait du « succès opérationnel » de la frappe militaire menée par la France, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne le 14 avril. L’honneur du « Monde libre » était symboliquement sauvé par une salve de missiles.

Mais de qui se moque-t-on ? Et de quoi parle-t-on au juste en matière d’arme chimique ?

Qu’on se souvienne du déluge de feux et d’armes chimiques déversés dix ans durant au cours de la Guerre du Vietnam par les Etats-Unis et dont les conséquences environnementales et sanitaires persistent encore aujourd’hui… Au-delà des centaines de milliers de victimes humaines, c’est à la suite du désastre environnemental de cette guerre chimique des Etats-Unis que le biologiste Arthur W. Galston et le juriste Richard A. Falk définirent le nouveau « crime d’écocide. »

Mais là n’est pas notre propos ; car depuis il y a pire, la chimie de guerre a triomphé avec une reconversion parfaite, totale et licite dans le civil.

Macron en accusation

En matière d’armes chimiques, la France a-t-elle des leçons à donner à la Syrie ? Mais aussi, l’Etat français a-t-il des leçons de démocratie à donner au régime syrien ?

La réponse est « non ! » aux deux questions.

D’abord, une précision importante s’impose : il n’y a aucune preuve formelle pour affirmer que le régime syrien ait utilisé de telles armes contre son peuple. Ensuite, il faut constater que la France n’est pas à citer en exemple ; à sa manière, elle utilise aussi des armes de ce type avec une mortalité non négligeable et là les preuves sont formelles et accablantes.

Pour la Syrie, en effet, il y a surtout des suspicions mais pas l’ombre d’une preuve sérieuse désignant le régime de Bachar Al Assad. En France, le président de l’UPR, François Asselinau, en est quasi certain à tel point que, par un communiqué de presse, il interpelle de manière solennelle les élus : « Suite à la décision solitaire et illégale d’Emmanuel Macron de frapper militairement en Syrie, François Asselineau demande aux parlementaires d’engager la destitution du président de la République, selon l’article 68 de la Constitution (1). » L’homme a l’air de connaître son affaire en matière de droit constitutionnel national et international pour entreprendre seul une telle procédure contre Jupiter en personne, Dieu du ciel, de la lumière, de la foudre et du tonnerre régnant sur le Capitole.

On connaît ce que sont les informations de guerre… essentiellement de la désinformation, comme les fameuses « armes de destruction massive de Saddam Hussein » qui ont permis l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis. Le crime justifie le crime et, si nécessaire, la propagande doit le fabriquer de toute pièce; la presse officielle est là pour ça… Sans source indépendante des belligérants, nous ne pouvons ici trancher cette question pour la Syrie.

Mais voyons les donneurs de leçons au Yémen. Dans ce pays, il y a une autre guerre et là ce sont les commissaires des Nations-Unies qui communiquent. Sans être déstabilisé par les nouvelles officielles de la situation humanitaire et sans mauvaise conscience, le Régime Macron vend toujours des armes conventionnelles à l’émir de l’Etat islamiste et esclavagiste d’Arabie Saoudite. Nul n’ignore pourtant l’usage qui en est fait sur les populations civiles au Yémen. Sous le tapis de bombes, la situation humanitaire est vite devenue catastrophique dans ce pays. Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants croupissent dans des conditions sanitaires épouvantables et des centaines périssent sous le feu « halal » d’armes « made in France » ou « made in USA. »

La Police gaze les zadistes !

Quittons les horreurs commises par un émir ami de l’OTAN au Moyen-Orient pour revenir dans les verts pâturages de l’Hexagone, car la France armée jusqu’aux dents utilise à une plus grande échelle des armes chimiques tout aussi mortifères; mais, il est vrai qu’elles ont le redoutable avantage de ne pas être répertoriées comme telles: les gaz de combat, les pesticides, les engrais chimiques, le diesel et les perturbateurs endocriniens… Eau, air, sols, aliments et habitats sont tellement pollués, morbides et mortifères que la situation en devient désespérante. Mais que fait la police? Elle gaze les zadistes. Aux yeux des autorités publiques, « la ligne rouge n’est pas franchie, » les morts « non-violentes » restent encore démocratiques… Mieux vaut semble-t-il mourir à petit feu dévoré de l’intérieur par un cancer que périr sous l’action neurotoxique d’une arme chimique… question de point de vue !

Pendant que le régime Macron se pose en donneur de leçon au Moyen-Orient, des dizaines de milliers de personnes périssent prématurément en France. On est, il faut le rappeler, dans « La Société cancérigène » (2) et l’on survit sous le feu nourri de la chimie de synthèse. En 2017, on dénombrait 400 000 nouveaux cas de cancer avec une mortalité de 150 000 personnes et les chiffres du cancer progressent depuis cinquante ans. « Lutte-t-on vraiment contre le cancer ? » s’interrogeaient en introduction les deux auteurs de l’essai avant de répondre par la négative.

Depuis combien de temps, en effet, l’Etat français sait-il que les particules émises par les moteurs diesel sont cancérigènes ? Depuis au moins 20 ans… Que fait la police ? En tenue de combat de guerre chimique, elle gaze les zadistes !

Si aujourd’hui les millions d’hommes, de femmes et d’enfants suffoquent dans l’air pollué des villes, ce n’est pas parce qu’en Mai 68 les manifestants ont réclamé la « voiture pour tous » mais parce qu’une oligarchie de technocrates « aménageurs du territoire » a décidé depuis Paris du « tout-automobile » partout et au pas de charge dans les années 1950.

Lire « Le tour de France d’un écologiste » de Fabrice Nicolino, 1993…

Lire aussi :  Jour de fête (Jacques Tati, cinéaste vélorutionnaire, partie 1)

Qui se souvient que les pesticides sont des armes chimiques reconverties dans le civil pour une utilisation tout aussi mortifère en agriculture ? Les conséquences environnementales sont effroyables et, malgré l’omerta de l’Etat-providence des firmes agrochimiques, on découvre l’ampleur de la catastrophe sanitaire.

Mais que fait la police face à un problème aussi grave de santé publique ? Insensible à l’hécatombe et aux souffrances des familles, elle gaze les zadistes ! Encore !

Lire « Printemps Silencieux » de Rachel Carson, paru en 1962.

Qui croit encore en l’utilité absolue des pesticides aujourd’hui ? Personne ou presque, mais c’est seulement parmi les personnes bien informées. Par contre, beaucoup de monde s’y laisse prendre car, derrière les scientifiques de l’Inra, les fanatiques phytopharmaceutiques de la FNSEA et les services de l’Etat à la botte des transnationales de la chimie, il y a, en effet, les décérébrés qui regardent la publicité à la télévision.

Pour sa brochure sur l’agriculture, les Renseignements Généreux n’ont pas hésité à titrer: « Agriculture de destruction massive; » nous en sommes arrivés au stade incontrôlable de la double catastrophe écologique et sanitaire, car depuis 50 ans la France est restée sans faillir la première fille de la Sainte Église des pesticides en Europe.

Là encore, l’histoire est connue ; lire Fabrice Nicolino en compagnie de Francois Veillerette « Pesticides, révélation sur un scandale Français » (2006) ou seul « Un empoisonnement universel… » (2014)

Une femme savante nous prévient : « Demain tous crétins ! » (3) On l’a bien compris, le titre choisi, c’est pour la rime car c’est dès aujourd’hui et depuis vingt ans que l’on sait comment les perturbateurs endocriniens agissent et altèrent le cerveau des enfants dès leur conception. On est face à de redoutables armes incapacitantes. Mais que fait la police ? Encore et toujours insensible au drame qui se trame aujourd’hui dans les ventres des femmes, elle gaze les zadistes.

Des parents luttent en France pour protéger leurs enfants des perturbateurs endocriniens… L’Etat français les aide-t-il dans cette démarche contre l’industrie de la « Malbouffe » et de la restauration collective dans les cantines scolaires ? Pas le moins du monde…

Lire André Cicolella, « Toxique planète, le scandale invisible des maladies chroniques » (2013).

A Notre-Dame-des-Landes, des hommes et des femmes se sont battus contre le triple crime d’Etat d’écocide, de déni de démocratie et d’accaparement des terres au profit d’une puissance transnationale : Vinci et son projet d’aéroport privatisé. Mais, encore aujourd’hui, ils et elles se battent pour un projet de préservation du bocage dans son ensemble. Le Régime Macron utilise des gaz de combat pour chasser des paysans de leurs terres.

Même si les gaz lacrymogènes n’entrent pas dans la catégorie des armes létales, ils peuvent tuer. Dans tous les cas, depuis leur conception, ils sont conçus et utilisés comme arme chimique contre la Démocratie.

Cinq jours après les frappes en Syrie, « le jeudi 19 avril au matin, à l’occasion d’une conférence de presse de l’assemblée des blessés pour « dénoncer des violences » lors de l’opération de la Zad, les militants ont déposé devant la préfecture à Nantes plusieurs centaines de grenades tirées la semaine passée à Notre-Dame-des-Landes, » rapporte le quotidien régional Ouest-France. « Ce tas ne représente que 20 % des grenades tirées, » a affirmé un zadiste. 272 personnes ont été touchées par ces armes, dont dix gravement, a dénoncé l’assemblée des blessés. (4)

Où est l’Etat de Droit quand indifféremment la police gaze les populations civiles chaque fois qu’elles s’expriment pour préserver leurs espaces de vie, libres de la pollution chimique ?

Comment un Etat peut-il se poser en donneur de leçon, lorsque l’on sait que, pour parfaire « Le Sacrifice des Paysans » (5), il a permis l’une des plus effroyables pollutions de son territoire à la chimie de guerre ? L’amnésie médiatique !

Connaître ses classiques

En matière d’armes chimiques, comme en toutes choses, pour ne pas suffoquer et succomber sous le flot de la désinformation officielle, pour survire libre et combattre l’entreprise d’écocide des chimistes, il est utile de connaître ses classiques.

Car, la situation n’a fait qu’empirer depuis plus d’un demi-siècle. Les produits chimiques de synthèse conçus à l’origine pour la guerre et le meurtre de masse triomphent encore avec la complicité des autorités politiques en France comme partout en Europe. Ils n’ont plus besoin d’entrer dans la catégorie des armes chimiques pour multiplier leurs victimes.

En devenant de « basse intensité, » ils ont réussi leur reconversion civile mais, insidieusement dans leurs nouveaux emballages de camouflage « grand public, » ils tuent à petit feu et de plus en plus en recrutant leurs victimes très loin, même en dehors des zones de combat.

Ne regardez pas la télévision si vous voulez être informé !

Se souvenir encore et toujours des classiques du siècle passé :

Lire Rachel Carson « Printemps silencieux » 1962
Lire René Dumont « L’Utopie ou la Mort » 1973
Lire Jean Dorst « Avant que nature meure » 1978
Lire Fabrice Nicolino « Le Tour de France d’un Ecologiste »…

Jean Marc Sérékian
Avril 2018

Photo: Des grenades utilisées cette semaine dans la Zad sont déposées devant la préfecture à Nantes, ce jeudi 19 avril 2018. | Ouest-France

(1) Le 14 avril 2018. « Suite à la décision solitaire et illégale d’Emmanuel Macron de frapper militairement en Syrie, François Asselineau demande aux parlementaires d’engager la destitution du président de la République, selon l’article 68 de la Constitution. »
(2) Geneviève Barbier et Armand Farrachi, « La Société cancérigène. Lutte-t-on vraiment contre le cancer ? » Ed. La Martinière 2004
(3) Le Monde Science et Médecine, Mercredi 8 novembre 2017 : « Il n’est plus possible de nier les effets de l’environnement sur notre cerveau. » Entretien « Pour la Biologiste Demeneix, l’effet néfaste des perturbateurs endocriniens sur les capacités cognitives ne fait plus de doute » propos recueillis par Stéphane Foucart.
(4) Reporterre le 19 avril 2018, « Zad de Notre-Dame-des-Landes : des centaines de grenades déposées devant la préfecture à Nantes »
(5) Pierre Bitoun et Yves Dupont, « Le Sacrifice des paysans. Une catastrophe sociale et anthropologique » Ed. L’Echappée

Un commentaire sur “Armes chimiques, parlons-en !

  1. Prolo

    Le Monde Diplomatique en parle aussi, avec un historique des gaz de combats. À lire !

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