« La bicyclette — la reine bicyclette — comme la baptisa jadis l’un de ses parrains, n’est pas ce qu’un vain peuple pense. D’aucuns n’y voient qu’un instrument de sport ou un objet de commerce, une mode ou un jeu. Elle est plus, elle est mieux que cela: c’est le symbole, et l’outil, d’une révolution. » Almanach des Sports, 1899.
Tout passe, même les révolutions… Après avoir procuré à plusieurs générations la griserie de la vitesse, la bicyclette a perdu son prestige. On en a vu de toutes les formes et de toutes les couleurs, depuis les « routières imposantes » qui ont promené au ralenti des dames mûres et voilettées jusqu’à ces demi-courses frémissantes qui se sont emballées sous la pression essoufflée de robustes jeunes hommes…
Mary Pickford
Puis on s’est lassé, on a trouvé autre chose, la « bécane » sport de luxe est devenue une distraction de petit employé, on a méprisé le cycliste! Pensez donc, quand vous roulez sur la route lisse à 110, à 120, à 130, bien calé dans les coussins épais de votre torpédo, le malheureux cycliste qui sue à grosses gouttes pour faire du 18 à l’heure vous paraît bien ridicule… on ne lui laisse presque plus de place, un pauvre petit trottoir cyclable, étriqué, maigrelet qui cache sa honte dans l’herbe du talus… tandis que la route s’étale, s’étire, s’élargit complaisamment sous la caresse des pneus rapides.
Mae Clarke
On ne fait plus de bicyclette, le même petit bourgeois qui rêva autrefois d’un vélo possède aujourd’hui sa « familiale », ils sont à l’aise à neuf, on peut même emmener grand’mère et le déjeuner… on ne se fatigue pas, on s’arrête où l’on veut et surtout… on va vite!… Il reste bien quelques entêtés: on les rencontre le dimanche soir, fourbus, rouges et suants, avec des bouquets de fleurs sauvages, accrochés aux nickels des guidons… Ames simples, véritables sportifs ou pauvres gens… Enfouis dans leur moleskine rembourrée, les automobilistes sourient en leur envoyant beaucoup de poussière…
Pourtant le cycle prend un peu sa revanche aux grandes épreuves sportives, mais c’est en auto, confortablement assis, que les amateurs de bicyclette et les journalistes sportifs suivent les grandes épreuves, et tandis qu’Archambaud, Speicher et Guerra, le dos courbé les muscles tendus, grimpent péniblement une côte des Alpes, les amis du cycle passent en limousine et crient énergiquement: « Vas-y Archambaud » ou « Courage!… » A part les professionnels sportifs, les facteurs ruraux, les garçons livreurs et quelques réactionnaires, on ne fait plus de bicyclette…
Jusqu’aux bébés
Cependant, sous le soleil californien, les stars s’ennuient, les jours sont longs pour ces grands enfants trop gâtés qui ont joué à tout, de l’avionnette à la course à dos de tortue, il a bien fallu trouver du nouveau… et soudain on a réinventé pour elles la bicyclette de jadis! Cette vieille chose dont on se servait en Europe – il y a quelques années… — « Mais c’est charmant, s’est écrié Benita Hume, j’irai au studio comme cela tous les matins » et elle s’est fait faire une collection de bicyclettes, une pour chaque jour de la semaine, une bleue pour le lundi, une verte pour le mardi, une rouge pour le mercredi et bien d’autres encore assorties aux sweaters… Mary Pickford ne sort plus qu’en « vélo »! Conrad Nagel est devenu un cycliste parfait, et la rapidité de Robert Montgomery était devenue proverbiale, malheureusement un coup de frein trop brusque dans une descente lui a provoqué une chute assez grave il y a quelques semaines. Walter Huston et son fils font chaque jour de longues randonnées à travers champs et chacun découvre des coins nouveaux. On allait si vite, avec ces sacrées autos… on n’avait pas le temps de voir le paysage!…
Mary Carlisle et Muriel Evans
Revanche !… Les autos sont mal vues à Hollywood, on installe à tous les croisements de grandes pancartes: « Ralentir ! » « Ici on fait de la bicyclette !… » et les automobilistes étonnés, s’arrêtent pour voir passer les élégantes cyclistes… Bicyclette : symbole et outil d’une révolution comme en 1899… Révolution dans la mode surtout: le costume de la Belle Cycliste 1933 est un cocktail de maillot de bain, de caleçon masculin et de chemise de polo. La charmante Mae Clarke, une nouvelle recrue de la Métro, porte une combinaison, blouse et culotte très courte qui s’arrête au-dessus du genou… évidemment elle ne risque pas de prendre ses jupons dans les rayons!… Comme Sally Eilers qui a revêtu pour un jour le costume de sportive d’il y a 30 ans!…
Benita Hume – Ruth Selwyn – Margaret Mac Connel
Comme elle était jolie avec son petit canotier, ses manches gigot et sa longue jupe, mais comme Ruth Selwyn est plus à l’aise avec sa culotte de garçonnet… surtout en cas de panne!… La mode est lancée, on organise de luxueuses courses cyclistes et le dernier « Tour d’Hollywood, » qui fut gagné par une femme, réunissait 360 concurrents… Beaucoup de vedettes déclarent, de plus, que jamais aucun sport ne leur avait fait autant de bien: la femme d’Harold Lloyd a perdu plusieurs livres depuis qu’elle fait chaque matin trois fois le tour de sa propriété à bicyclette et Mary Carlisle et Muriel Evans ne conservent leurs lignes délicieuses qu’en pédalant deux heures par jour.
Le tandem, lui aussi, a été rénové. On n’y pensait plus. Bientôt on fera revivre également triplettes, quadruplettes et quintuplettes qui eurent tant de succès à la fin du dernier siècle et au début de celui-ci. Tout le monde à vélo, c’est la nouvelle formule. Et puis ce qui est agréable, comme dit Ruth Selwyn, c’est que lorsqu’on est fatigué, il y a toujours un pneu qui crève au bon moment ou la chaîne qui saute… alors on peut se reposer!
Robert DERAISMES. Photos M. G. M.
L’Image : magazine hebdomadaire, 1er janvier 1933
Source: https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k974471n/f15.item.zoom#