Diesel: et si on nous trompait?

Diesel: et si on nous trompait?
par Jean Louchet, INRIA (Institut National de Recherche en Automatique et Informatique)

La “vérité officielle” sur le Diesel

Voici les affirmations que l’on entend couramment:

  • le diesel consomme moins
  • le carburant diesel est moins cher
  • le rendement d’un moteur diesel est supérieur à celui d’un moteur à essence
  • la longévité d’un moteur diesel est supérieure à celle d’un moteur à essence
  • maintenant que tous les moteurs sont munis de pots catalytiques et les diesels de filtres à particules, les émanations toxiques sont éliminées et il ne reste que le CO2.
  • le diesel pollue moins que l’essence
  • le diesel est meilleur pour la couche d’ozone
  • le diesel est meilleur contre l’effet de serre.

Presque toutes ces affirmations sont fausses, et aucune n’est complètement juste. Malheureusement, comme vous allez le voir, les sources sérieuses d’information sur ces sujets sont pour la plupart en anglais et n’ont jamais été traduites en français – ce qui en arrange sans doute certains.

Il est possible – et même probable – que j’aie fait quelques erreurs dans ce qui suit: en effet je ne suis ni chimiste ni physicien de l’atmosphère ni ingénieur motoriste, même si la cuisine anglaise, le rodage de soupapes et le profil de cames me sont assez familiers. Merci de me le signaler, ainsi que les références (articles scientifiques sérieux) qui pourraient compléter ou donner des points de vue différents.

De l’analyse qui suit sort une conclusion: que nous soyons utilisateurs de moteurs diesel ou non, nous sommes victimes d’une propagande dangereuse pour notre santé et pour la planète.

Des éléments objectifs

Benzopyrènes

En 1984 la société Calspan (Buffalo, Michigan) avait montré que la concentration de Benzopyrènes dans les sorties de moteurs diesel tourisme était environ 100 fois plus élevée que dans les diesel poids lourds (et en concentration négligeable dans les moteurs à essence). Ces benzotrucs sont les principaux agents atmosphériques responsables de cancers. Résultats jamais publiés dans la littérature scientifique car émanant (on parle d’émanations!) de travaux commandés en interne par les constructeurs automobiles (VW en particulier) et que j’ai appris directement en 1984 car je connaissais par mon boulot les ingénieurs de Calspan qui ont fait les mesures.

Ca veut dire en pratique qu’une seule voiture diesel pollue (cancérogénétiquement parlant) autant qu’une trentaine de semi-remorques! Vingt ans de silence plus tard, meublés seulement par mes petites et vaines gesticulations (il parait que je suis sensible) et, en sens inverse, quelques grandes propagandes de PSA montrant du doigt le CO2 comme principal agent polluant (si c’est vrai, interdisons donc Perrier et Quézac!)

Renforcement du pouvoir allergène des pollens par les émissions diesel

Pour en rajouter une couche (si on peut dire), voici quelques sites sur ce sujet, fournies par un copain allemand qui m’a dit que les normes européennes en particules étaient dépassées dans quelques villes allemandes (on imagine en France donc!), et que des gens commençaient à engager des actions en justice contre les pouvoirs publics à ce sujet.

Epidémiologie

Le magazine “Que Choisir” a récemment pris le risque commercial d’étaler un bout de vérité. Je résume l’article: les émissions de véhicules diesel ont provoqué, dans les villes françaises seulement et dans l’année 2002, entre 6450 et 9500 cas supplémentaires de décès par cancer des voies respiratoires par rapport à ce qui aurait eu lieu si ces mêmes véhicules avaient fonctionné à l’essence. Ce bref article est en réalité un résumé du rapport de l’AFSSE (voir http://www.afsse.fr/documents/Rapport_1.pdf) réalisé en 2004 à la demande du gouvernement français. Le rapport de l’AFSSE est bien plus détaillé et intéressant: il montre que le diesel cause encore bien plus de décès par maladies cardio-pulmonaires que par le seul cancer des voies respiratoires. Le nombre total de décès dûs aux particules fines dans l’atmosphère (donc essentiellement au diesel) est estimé à 31700 morts en 2000 en France (rapport AFSSE, page 60): à comparer aux 30000 dûs au tabac ou aux 7000 environ dûs aux accidents de la route. Et il ne faut pas oublier que, si le tabagisme passif existe (et a heureusement bien chuté depuis la loi Evin), la grande majorité de ces 30000 concerne les fumeurs eux-mêmes et c’est à chacun de prendre ses responsabilités; en revanche le dieselisme est plus souvent passif qu’actif (il me semble!). Ce qui veut dire que le diesel tue malgré eux beaucoup plus de monde que le tabac et les accidents de la route réunis!

On met des étiquettes dissuasives sur les paquets de cigarettes, bien. Qu’attend-on pour en mettre aussi sur les pompes à gazole dans les stations d’essence?

Si rien n’est changé, les perspectives à l’horizon 2020 sont désastreuses.

Il est maintenant établi que les microparticules de benzopyrènes (justement celles qu’aucun filtre ne peut arrêter, de taille inférieure à environ 10 microns) traversent la barrière pulmonaire et entrent dans la circulation sanguine. On ne connaît pas tous les organes où elles peuvent se fixer, mais il est déjà établi que le cerveau est l’une des cibles puisqu’on retrouve ces mêmes particules de diesel dans les cerveaux des mammifères de laboratoires exposés aux émanations diesel. Ces particules sont soupçonnées de favoriser l’apparition de tumeurs au cerveau, mais cela n’est pas actuellement prouvé.

J’ai vu aussi un article sur les cancers des ovaires dûs au diesel: les femmes exposées aux émissions de diesel ont une probabilité de développer un cancer des ovaires multipliée par 3,5 (International Journal of Cancer, Vol. 111, Issue 2, août 2004)

Oxydes d’azote NOx

Les “pics de pollution” des grandes villes européennes sont dûs aux dépassement des concentrations maximales permises de NOx. Le remède actuel utilisé en France consiste à restreindre la circulation, voire à ne rien faire du tout. Or, qui produit donc les NOx?

Dans un moteur à essence, la production de NOx est par nature faible. Sur un moteur construit sans précaution particulière, le produit des concentrations en NOx et en CO est à peu près constant. Un réglage “plus riche” donne moins de NOx et plus de CO, un réglage “pauvre” (beaucoup d’air et peu d’essence) l’inverse. Le très contestable “contrôle de pollution” du contrôle technique obligatoire fixe un maximum au taux de CO, mais pas de minimum, ce qui revient à encourager la production de NOx qui varie en raison inverse. Les moteurs à essence catalysés (catalyseurs à triple effet, obligatoires depuis 1991 je crois) ont une régulation électronique de la richesse qui maintient la production de NOx à un niveau très bas. Cette régulation électronique n’est pas possible sur les diesel dont la production de NOx reste toujours élevée malgré les catalyseurs (à double effet seulement). Bref, les diesels restent la principale source de NOx.

Réponse aux “vérités” officielles et publicitaires

“le diesel consomme moins”

ÇA DEPEND. Moins de quoi? de litres de carburant? Et pourquoi compter en litres? Sachant qu’il faut plus de pétrole pour fabriquer un litre de gazole que pour fabriquer un litre d’essence, et que le gazole est plus lourd que l’essence (il contient plus de matière), les dés sont faussés. Si l’on mesure les consommations en kg par 100km (au lieu de litres au 100km) et que l’on compare des moteurs de puissance réelle égale, il n’y a pratiquement aucune différence de consommation entre essence et diesel, du moins pour les voitures de tourisme.

“le carburant diesel est moins cher”

FAUX. Moins cher au litre, oui, prix public en France en 2005. Beaucoup moins cher au kilogramme, hélas oui (encore en France en 2005), mais cette différence de prix est totalement artificielle. La taxation des carburants au litre (en non au kilogramme) est un artifice fiscal qui permet de faire payer moins de taxes sur le gazole que sur l’essence. Une taxation au kilogramme (ou à l’énergie contenue) rendrait le gazole plus cher que l’essence. La différence est au frais du contribuable. Tout se passe comme si l’Etat subventionnait directement la pollution de l’air. L’économie apparente du diesel est en réalité un surcoût payé par les autres. Ce n’est pas un “vol organisé” à proprement parler, car la grande majorité des utilisateurs de diesel le sont en toute bonne foi, et croient à la propagande des constructeurs. C’est simplement une escroquerie dont nous sommes tous (utilisateurs de diesel ou pas) victimes, mais dont les utilisateurs de diesel sont les premières victimes car ce sont les plus exposés; nous en payons (et paierons) les conséquences dans nos impôts et notre santé, et l’Etat (donc nous, contribuables) sera certainement condamné un jour à dédommager symboliquement les victimes (un Euro pour un mort?). Mais quel est le pouvoir d’un pauvre gouvernement face aux … (pardon, j’ai dit que je ne ferai pas d’attaques personnelles)?

Lire aussi :  Stop and Start : une fausse bonne idée de plus pour vendre encore plus de bagnoles...

“le rendement d’un moteur diesel est supérieur à celui d’un moteur à essence”

ÇA DEPEND. Il serait plus juste de dire “égal ou à peine supérieur”.

En théorie le rendement thermodynamique d’un moteur est lié à son rapport volumétrique. Ce dernier est compris entre 10 et 11 sur les moteurs à essence, et autour de 25 sur les moteurs diesel. En théorie, un moteur diesel a donc un rendement supérieur (en gros, moitié moins de pertes thermodynamiques). Dans la réalité les choses sont plus compliquées et les rendements énergétiques totaux sont beaucoup plus bas, à cause de multiples autres pertes, indépendantes du rapport volumétrique qui a finalement une incidence très minoritaire dans le rendement.

Un moteur diesel de poids lourd a un rendement élevé (autour de 30%). Les moteurs à combustion interne qui ont les rendements les plus élevés sont les diesel employés dans les centrales thermiques et dans les super-tankers et porte-conteneurs. Le record mondial est détenu par un moteur de fabrication japonaise, qui atteint un rendement énergétique supérieur à 50%. Le régime maximum de ce moteur est 102 tours par minute, et chaque cylindre a une cylindrée de 1820 litres. Le très bas régime permet à la combustion d’être quasiment complète.

Les moteurs diesel utilisés sur les voitures de tourisme et les utilitaires légers ont une technologie très différente, qui vise à avoir des moteurs légers et une puissance au litre élevée. Cela se fait au détriment de la qualité de la combustion et du rendement: en effet dans un diesel, la combustion est déclenchée spontanément et la flamme se propage lentement (contrairement à un moteur à allumage commandé où la flamme se propage presque instantanément), ce qui fait mauvais ménage avec les moteurs dont les arbres à cames sont conçus pour pouvoir aborder des régimes élevés. Pour qu’un moteur (à essence ou diesel) ait une puissance maximum élevée, il faut que les soupapes d’échappement s’ouvrent le plut tôt possible, ce qui veut dire que sur un diesel les gaz refoulés n’ont pas fini de brûler. Les filtres à particules, qui laissent pourtant passer les particules les plus dangereuses, n’arrangent rien car ils créent une contre-pression qui s’oppose à l’évacuation des gaz brûlés du cylindre. Les diesel de tourisme modernes ont ainsi un rendement proche de 25%. Par comparaison, les moteurs à essence atmosphériques modernes (avec un rapport volumétrique voisin de 11:1) ont aussi un rendement proche de 25%. Les moteurs suralimentés (”turbo”) à essence ont un rendement inférieur car leur taux de compression est plus bas.

En résumé, un moteur diesel de tourisme a sensiblement le même rendement énergétique qu’un moteur à essence non turbo.

“la longévité d’un moteur diesel est supérieure à celle d’un moteur à essence”

FAUX. Certes les diesel de poids lourds ont une longévité plus grande que les autres. Mais si l’on se cantonne aux moteurs de tourisme, les deux records de longévité sont détenus par deux moteurs à essence (un volvo avec 2,5 millions de km et un mercedes avec 1,5 million). Il est vrai que les premiers moteurs diesel de tourisme français avaient une grande longévité car c’était à l’origine des moteurs d’utilitaires. Actuellement, le diesel étant le cheval de bataille des constructeurs français, les diesel français durent plus que les essence français, mais c’est l’inverse qui est vrai à peu près partout ailleurs. A construction de même qualité (et donc de même prix) un moteur à essence durera plus longtemps.

“maintenant que tous les moteurs sont munis de pots catalytiques et les diesels de filtres à particules, les émanations toxiques sont éliminées et il ne reste que le CO2″

FAUX. Un pot catalytique ne fonctionne qu’une fois qu’il est chaud. Pendant le premier quart d’heure de fonctionnement, tout part directement dans l’atmosphère. Une fois que le catalyseur est chaud, il arrive à brûler complètement les imbrûlés des moteurs à essence (qui sont des hydrocarbures légers et du CO) mais n’élimine ni les NOx ni les microparticules qui sont produits par les diesel.

Tous les filtres à particules arrêtent environ 90% des particules, mais les 10% qui passent sont justement les plus dangereuses (microparticules) car elles traversent la barrière pulmonaire, passent dans le sang et provoquent des cancers jusque dans des organes éloignés des poumons (notamment le cerveau) et des maladies des autres organes (ovaires, etc.). Etant légères, elles restent en suspension dans l’atmosphère pendant plusieurs jours ou semaines et parcourent de très longues distances.

“le diesel pollue moins que l’essence”

FAUX. Il n’existe pas UN mais plusieurs polluants.

Le seul polluant que le diesel produise en plus petite quantité que l’essence est le monoxyde de carbone CO. C’est un gaz qui n’est toxique qu’à court terme et à concentrations élevées (moteur en route dans un garage fermé, chauffe-eau de salle de bains défectueux…) mais il se transforme très rapidement en CO2 (non toxique) dans l’atmosphère sous l’effet des UV et de l’oxygène ambiant.

Le CO2 (dioxyde de carbone) n’est pas toxique – il est relâché en grandes quantités par la respiration humaine naturelle et par ma bouteille de Champagne (ou de Perrier). On peut seulement lui reprocher sa contribution à l’effet de serre planétaire, mais la question n’est pas si simple et fait encore l’objet de débats scientifiques et politiques. En tout cas, il est produit en quantité équivalente (à 5% près) par les moteurs à essence et diesel (à condition de comparer des moteurs de tourisme de puissance équivalente).

Tous les autres polluants – les “vrais”, ceux qui sont directement nocifs pour la santé humaine – sont produits en quantité très supérieure par les diesels et en quantité pratiquement nulle par les moteurs à essence.

“le diesel est meilleur pour la couche d’ozone”

FAUX Le diesel, même catalysé, est le principal producteur d’hydrocarbures imbrûlés (goudrons) et de NOx. Le moteur diesel est plus nocif pour la couche d’ozone que le moteur à essence.

“le diesel est meilleur contre l’effet de serre.”

PAS VRAI SI ON COMPARE CE QUI EST COMPARABLE. Les productions de CO2 sont à peu près équivalentes à puissance égale (voir plus haut, à propos du CO2). Evidemment un moteur diesel de Polo produira moins de CO2 qu’un moteur à essence de Jag… En revanche, la production de NOx (également gaz à effet de serre) est très supérieure sur un diesel. Le diesel est donc plus nocif que l’essence pour ce qui est de l’effet de serre.

Conclusion

Des mesures politiques concrètes ont déjà été prises dans certains pays, notamment au Japon, où toute circulation de véhicule diesel (même utilitaire) est interdite dans l’agglomération de Tokyo. Cette interdiction tend à se généraliser, et on m’a dit qu’il y avait actuellement une grande opération de conversion des véhicules existants à moteurs diesel en moteurs à essence. Je ne sais pas si cette opération est aidée financièrement par l’Etat.

La Norvège (pays à faible densité de population mais où l’opinion publique est sensibilisée aux problèmes de santé et à l’évolution du climat) a tiré la sonnette d’alarme cette année (2005) car la vente de diesel atteint 30% du total des voitures neuves: le ministère des transports estime que le seuil de sécurité sanitaire est dépassé et le gouvernement prépare des mesures hautement dissuasives.

Au Danemark, la proportion de diesel est restée faible, suite à une bonne information des consommateurs, et à la présence d’une taxe spéciale “diesel” de 8000 couronnes (1100 Euros) par an et par véhicule.

Aux Etats Unis, où la proportion de diesel-tourisme est négligeable, le gouvernement fédéral prépare des mesures pour limiter la pollution dûe aux poids lourds (qui est pourtant relativement plus faible sur ces gros moteurs, cf. plus haut). C’est aux Etats Unis que les études sur les effets sanitaires du diesel sont les plus nombreuses et approfondies, bien que ce soit probablement le moins touché parmi les pays développés.

En France, pays à assez forte densité de population, 70% des nouvelles immatriculations de véhicules de tourisme sont des diesel, et aucune mesure n’a été prise. L’Espagne et la Belgique sont dans des situations analogues.

Jean Louchet

Edit février 2021: Selon les dernières études disponibles, la pollution de l’air serait en fait à l’origine de 100.000 morts par an en France, soit 17,3 % de l’ensemble des décès chaque année.

Un commentaire sur “Diesel: et si on nous trompait?

  1. cbonneau76

    Hé béh !!!!
    Pour ma voiture perso, je roule à l’essence sans plomb 95 et je ne regrette pas.
    De plus côté agrément de conduite, les essences sont plus plaisantes !!!
    (et je suis moniteur d’auto école… j’en conduit des voitures !!!)

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