Pourquoi cette campagne ?
Sous couvert de lutte contre le dérèglement climatique et face à l’augmentation du prix des carburants, les responsables politiques proposent de recourir massivement aux agrocarburants. Sans avoir mesuré les impacts écologiques, sociaux et agricoles de ces nouveaux carburants « verts », les Etats européens s’apprêtent à adopter une législation imposant des objectifs très ambitieux d’incorporation d’agrocarburants dans l’essence et le diesel !
Les terres agricoles vont être destinées à nourrir… les automobiles, sans qu’un bilan énergétique et environnemental sérieusement étayé ait démontré un quelconque bénéfice ! En effet, les intrants chimiques, fertilisant une terre malmenée par des décennies de productivisme agricole et l’épandage de pesticides en guerre contre la biodiversité contribuent à la dégradation de l’environnement.
Pour atteindre leurs objectifs, les Etats européens n’ont d’autre alternative que de faire appel à certains pays du Sud. Les cultures à vocation énergétique du Brésil, Indonésie, Malaisie, Colombie… entraînent déjà une déforestation massive de forêts primaires, abritant pourtant une biodiversité inestimable. Les pénuries alimentaires, débouchant sur des tensions géopolitiques croissantes, sont le fruit d’une modification de la destination productive des terres arables. Les cultures alimentaires tendent à être remplacées par des cultures à vocation énergétique, responsables, pour partie, de l’augmentation des prix des matières premières agricoles.
L’Europe doit agir sur les racines du mal plutôt que de traiter superficiellement les conséquences de notre dépendance au tout-pétrole. Limiter les vitesses sur route, réduire les émissions de CO2 des véhicules, adopter un véritable moratoire sur le programme autoroutier, privilégier le ferroutage et les modes de déplacement doux… La France, qui préside aux destinées de l’Union européenne durant le deuxième semestre 2008, doit accepter de revoir sa copie en limitant le recours aux agrocarburants.
Demandes et cibles
Malgré les sérieuses mises en garde d’institutions internationales aussi diverses que l’Agence européenne de l’environnement, la Banque Mondiale, le FMI ou la FAO pour réfuter les bienfaits supposés des agrocarburants, l’Union européenne semble incapable de réétudier des objectifs européens fixés sans débats sérieux et qui reposent sur des arguments peu étayés scientifiquement. Nous demandons donc :
Au Président de la République Française (Président de l’Union européenne du 1er juillet 2008 au 31 décembre 2008), au Ministre de l’Ecologie (Président du Conseil européen des ministres de l’environnement du 1er juillet 2008 au 31 décembre 2008), au Président du Parlement européen :
– D’organiser une conférence de citoyens sur les agrocarburants avant toute décision d’ordre législatif ;
– D’évaluer en toute rigueur, indépendance et de façon contradictoire le bilan énergétique et environnemental des agrocarburants ;
– De commander un audit évaluant sérieusement la pertinence des aides fiscales dédiées aux agrocarburants ;
– D’abandonner définitivement l’objectif européen contraignant de 10% d’incorporation d’agrocarburants à échéance 2020 ;
– Dans le cadre du règlement européen « 120g/CO2 », exclure tout recours aux agrocarburants pour réduire les émissions de CO2 des véhicules particuliers
Bio, agro, nécro ?
Malgré le feu de critiques frappant les agrocarburants, la Commission européenne s’arc-boute sur son objectif de 5.75% en 2007, 7% en 2010 et 10% d’incorporation de ce carburant produit principalement à partir de végétaux d’ici 2020. Or, d’après un rapport de la Commission européenne, l’Europe peinait à atteindre, fin 2007, 4.2% d’incorporation.
Les deux principaux agrocarburants utilisés à ce jour sont le bioéthanol et le biodiesel, respectivement incorporés à l’essence et au diesel. Ces agrocarburants sont issus de la transformation du blé, du maïs, du colza, du soja, de la canne à sucre, de l’huile de palme ou de la betterave.
Le préfixe « bio » associé à ces nouveaux carburants laisse à penser que leur production serait liée au label biologique « AB ». Il n’en est rien et c’est la raison pour laquelle les associations ont opté pour un nom plus conforme à la réalité, à savoir les agrocarburants.
Une agro… cratie ?
La détermination de l’Union européenne à endiguer les effets du dérèglement climatique passe par une action volontariste ciblant le secteur des transports. Entre 1990 et 2005, faute d’actions appropriées et concertées, les émissions de gaz à effet de serre de ce secteur ont crû de 23%. Fort de ce constat, la Commission européenne a proposé aux Etats membres de parvenir, à l’horizon 2020, à une part minimum de 10% d’énergies renouvelables –provenant essentiellement des agrocarburants- dans le secteur des transports. La France s’est fixée pour objectif d’atteindre 10% d’incorporation dans les carburants d’ici 2015, dépassant donc les objectifs prévus par l’Europe en anticipant les dates butoirs.
Fonder une partie de sa politique énergétique sur de tels objectifs doit faire l’objet d’un débat démocratique, transparent, pluraliste et contradictoire. Une conférence de citoyens doit associer les acteurs en présence afin d’évaluer objectivement les conséquences alimentaires, climatiques, environnementales, agricoles.
Un homme énergivore ou une voiture omnivore ?
Les agrocarburants sont présentés comme un moyen de produire du carburant à partir de cultures vivrières ou fourragères mais ils nécessitent un apport énergétique important tout au long du processus de fabrication. Le bioéthanol français, produit à partir de blé, de maïs ou de betterave, a une efficacité énergétique médiocre. De la graine à la roue, l’efficacité énergétique de ce bioéthanol avoisine le « un pour un », nécessitant presque autant d’énergie primaire fossile qu’il n’en restitue au final ! En revanche, le biodiésel et les huiles végétales brutes, produits à partir de colza et de tournesol, ont un bilan énergétique globalement positif mais nécessitent des moteurs diesels adaptés. L’Allemagne qui avait décidé d’incorporer largement l’éthanol à l’essence a dû abandonner son objectif, plus de trois millions de véhicules n’étant pas aptes à le supporter pour des raisons techniques.
Agroculteur ?
La Politique Agricole Commune (PAC) doit d’avantage s’accorder avec les attentes de la société en matière d’alimentation de qualité, de protection de l’environnement et de développement rural. Dans sa communication de 2007 sur le « Bilan de santé » de la PAC, la Commission européenne place le développement des agrocarburants comme un des défis à relever par l’agriculture.
Mais la politique agricole européenne ne doit plus se réduire à la seule satisfaction des intérêts agricole et agroalimentaire, et se concentrer principalement sur la production alimentaire de qualité et respectueuse de l’environnement. L’absence de conditionnalité des aides agricoles permettrait de poursuivre, si ce n’est accentuer, une agriculture irriguée, fortement dépendante d’intrants chimiques et de pesticides. Pire, les agrocarburants risquent d’être un moyen de justifier le recours massif aux organismes génétiquement modifiés, disséminant de façon irréversible, des chimères dans la nature.
Ca chauffe pour les « agros »
La substitution d’un carburant pétrolier par un carburant d’origine végétale est l’une des pierres angulaires de la politique européenne de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Or, il existe de sérieux doutes quant à l’intérêt des agrocarburants en matière de lutte contre le dérèglement climatique. Les méthodologies retenues par le gouvernement français pour procéder à un bilan objectif omettent certains éléments qui sont de nature à invalider les résultats de ces études. Selon le Réseau Action Climat France, « compte tenu de la faible production en carburant par hectare, du moins pour les graines oléagineuses produites en Europe, se pose le problème de la forte emprise sur les surfaces agricoles, même pour des niveaux d’incorporations modestes. Ainsi, le développement de ces productions entraîne très rapidement des changements d’affectation des sols, directs ou indirects, qui, à cause du déstockage du carbone consécutif à la mise en culture de certaines prairies ou forets, annihile pendant plusieurs dizaines, voire centaines d’années, le bénéfice obtenu lors du remplacement des carburants pétroliers par des agrocarburants. »
Il est à noter que les agrocarburants ne sont pas la solution à l’effet de serre. Même en ignorant l’impact du changement d’affectation des sols, l’incorporation de 7% d’agrocarburants dans les carburants pétroliers d’ici 2010, prévue par l’Etat français, entraînerait au mieux une bien modeste baisse de 5% des émissions de gaz à effet de serre du secteur « transport », soit une réduction des émissions nationales globales d’environ 1,3%. En prenant en compte le changement d’affectation des sols, ce qui est indispensable, le bilan serait vraisemblablement très négatif.
Agrocarburants : une faim en soi ?
En qualifiant les agrocarburants de « crime contre l’humanité », Jean Ziegler, rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation a jeté un pavé dans la mare. Selon une note de la Banque mondiale, l’accroissement de la production de biocarburants a contribué en partie à la flambée des prix alimentaires, dépassant les 83% en seulement 3 ans ! Cette inflation débouchant sur des « émeutes de la faim » est renforcée par le changement de destination de centaines de millions d’hectares de terres arables. Selon la Direction Générale « Agriculture » de la Commission européenne, pour atteindre l’objectif de 10 % d’incorporation en 2020, 15 % des terres arables devront être occupées par des cultures énergétiques. Aux Etats-Unis, 25% du maïs cultivé est désormais dédié aux agrocarburants, quand 60% du colza français a été transformé en 2007 en biodiesel …
Pour atteindre cet objectif, les pays européens réduisent déjà leurs exportations alimentaires ou importent des agrocarburants ou de l’huile de palme des pays du Sud. La concurrence entre agrocarburants et alimentation entraîne une multiplication des tensions géopolitiques. Selon l’association Greenpeace, un véhicule diesel moyen correspondrait aux besoins alimentaires annuels de trente personnes !!!
Un environnement peu favorable aux « agros »
La production d’agrocarburants se fait à grand renfort d’engrais, de pesticides et à l’aide d’une irrigation menaçant les ressources en eau. Pollution des sols et de l’eau, monoculture et remembrement, impact sur les milieux naturels et les espèces inféodées à une certaine diversité agricole… prorogent un système agricole productiviste bien connu pour ses effets délétères.
Pire, l’emprise de ces cultures grignote les milieux naturels. L’expansion du soja et de la canne à sucre au Brésil et dans d’autres pays d’Amérique du Sud, ainsi que l’expansion des plantations des palmiers à huile en Indonésie et dans d’autres pays de l’Asie du Sud-Ouest et de l’Afrique, ont été une des causes directes les plus importantes de la destruction des écosystèmes forestiers qui contiennent la plus grande diversité biologique de la planète. Une augmentation croissante de la demande en agrocarburants fait craindre une aggravation de ces processus et de l’impact social sur les communautés indigènes.
Pauvreté au Nord, famine au Sud !
Les agrocarburants entrent en concurrence avec les cultures à vocation alimentaire. Le faible rendement des agrocarburants oblige les Etats européens à procéder à des importations massives. Dans une note d’information de novembre 2007, Oxfam indique « qu’avec l’augmentation de la demande en biocarburants, un plus forte corrélation s’établit entre les prix des denrées alimentaires et le prix du pétrole. Le résultat sera une plus grande fluctuation des cours des denrées alimentaires puisque la volatilité des marchés énergétiques se répercutera sur ceux des denrées alimentaires ».
Dans les faits, une alimentation de plus en plus riche et carnée alliée à la spéculation sur les produits alimentaires de base, à de mauvaises récoltes et à la montée en puissance des agrocarburants explique des déséquilibres grandissants qui frappent en priorité les déshérités du Sud et du Nord.
Energie : de l’évolution à la révolution ?
Comment expliquer la précipitation et l’entêtement des Etats européens à développer quoi qu’il en coûte ces agrocarburants ? N’y-a-t-il pas un très grand cynisme à faire abstraction des famines à venir pour le seul bénéfice de l’homauto ? La crainte d’une pénurie énergétique produit un effet de panique qui se traduit par des solutions irraisonnées. Les options choisies tendent à proroger un statu quo qui repose sur la supériorité du moteur à combustion autorisant le mouvement et la vitesse. Les agrocraburants font partie intégrante de cette logique. En parallèle, la Commission européenne a proposé aux Etats membres d’imposer un règlement visant à réduire à 120 grammes par km parcouru les rejets de CO2 des véhicules particuliers d’ici 2012. Par extraordinaire… les constructeurs auraient le droit de commercialiser des véhicules rejetant dix grammes de plus par kilomètre, soit 130 g/CO2, si les automobiles font appel aux agrocarburants !
En remplaçant les carburants pétroliers par ces carburants « verts » », l’Europe cherche à faire croire que le dérèglement climatique et la fin du pétrole à bas prix peuvent trouver des solutions indolores, ne modifiant en rien les comportements individuels et collectifs… Ceci est un leurre que la multiplication des solutions techniciennes ne saurait cacher très longtemps ! Nous sommes à l’aube d’une révolution énergétique qui nécessitera ambition et ténacité ; une simple évolution assurée par des petites modifications d’ingénieries est un non-sens qui débouchera inévitablement sur des désillusions certaines !
Les pays de l’Union européenne doivent miser sur une stratégie cohérente reposant sur une multiplicité d’actions tout à la fois individuelles et collectives, structurelles et ponctuelles.
Climat : du global au local !
Pour réduire sensiblement notre dépendance à l’égard des produits pétroliers tout en réduisant l’impact climatique du secteur des transports, les pays de l’Union européenne doivent repenser leur schéma d’aménagement routier et autoroutier afin de privilégier le transport par rail à tout développement du fret routier. Les vitesses maximales autorisées sur le réseau routier doivent être abaissées progressivement (en première étape, 120 km/h sur les autoroutes, 100 km/h sur les voies rapides, 80 km/h sur les routes nationales et départementales), L’écoconduite doit être systématiquement enseignée.
L’Etat doit évaluer toute orientation politique à l’aune de son impact climatique. L’annonce de la suppression de la carte « familles nombreuses » de la SNCF ou la volonté d’inciter les chômeurs à plus de mobilité pour trouver un emploi situé à une heure de leur domicile peut entrainer un surcroit de rejet de CO2 non négligeable. Pour atteindre un facteur 4 en réduisant de 75% nos émissions de CO2, il n’y aura pas de place aux décisions non coordonnées et contradictoires.
Les collectivités locales doivent faire la part belle aux modes de déplacement doux (marche à pieds, vélo, transports en commun…) reposant sur des plans de déplacements urbains équilibrés. Il est indispensable de privilégier les transports les plus efficaces énergétiquement et un urbanisme qui encadre strictement l’étalement urbain.
Enfin, il est de la responsabilité des constructeurs automobiles d’anticiper la rupture énergétique à venir en proposant des véhicules peu consommateurs et peu émetteurs de CO2. Pour que le consommateur ne soit plus systématiquement incité à acheter les véhicules les plus énergivores et climaticides, les constructeurs doivent s’astreindre à ne plus promouvoir, au travers de campagnes publicitaires, des usages irrationnels de l’énergie. Les labels qualitatifs mis en place par ces mêmes constructeurs pour venter les mérites de véhicules « écologiques » doivent proscrire les agrocarburants.
Source: www.agirpourlenvironnement.org