La consommation d’espace-temps de l’automobile

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Par personne transportée, les véhicules individuels motorisés demandent un espace beaucoup plus important que tous les autres modes. L’utilisation du m2.h permet d’en rendre compte.

En terme de stationnement, cet inconvénient est manifeste. Une voiture a besoin, en moyenne en Ile de France, d’1,7 place (8 millions de places pour 4,7 millions de véhicules), soit 40 m2. C’est plutôt faible car 28 % des voitures ne bougent pas de la journée et les places à fort taux d’occupation (le long de la voirie, au domicile ou dans une moindre mesure au travail) sont beaucoup plus nombreuses que les places moins occupées (près des centres commerciaux ou des centres de loisir…). Mais les voitures stationnent 23 h par jour. En revanche, un bus ne stationne que brièvement en centre-ville, un vélo prend 8 à 13 fois moins d’espace par personne qu’une voiture et le piéton n’est pas concerné. Le stationnement est, sans conteste, le talon d’Achille de la voiture (d’où l’intérêt d’ailleurs du taxi et de l’autopartage).

En terme de circulation, le désavantage est un peu moindre, du moins sur des voiries limitées à 50 km/h: l’usager d’un véhicule individuel motorisé (voiture transportant 1,3 personne ou 2RM respectant à peu près le code) apparaît en effet 5 fois plus consommateur d’espace que le piéton, 3 fois plus que l’usager d’un bus transportant 17,4 voyageurs (moyenne en Ile de France) et 2,5 fois plus que le cycliste. Car au-delà de 50 km/h, la voiture utilise un espace qui croît rapidement avec la vitesse : la demande d’espace-temps étant minimale vers 30 km/h et 3,5 fois plus grande à 130 km/h, à cause de la largeur d’emprise des autoroutes et de leurs échangeurs et malgré un temps d’occupation de l’espace bien moindre. Et la vitesse augmente aussi la consommation d’espace via l’allongement des parcours. Par leur attractivité, les voies express drainent des véhicules qui n’hésitent pas à doubler les distances parcourues pour gagner un peu de temps. En créant des effets de coupure, ces infrastructures allongent en outre les trajets des piétons et des cyclistes qui finissent par se reporter vers les modes motorisés.

Pour répondre à cette forte demande, émanant des véhicules hippomobiles dès le 19e siècle puis de l’automobile, l’offre d’espace viaire s’est fortement développée. En un siècle et demi, dans Paris elle est passée de 10 à 15 % de l’espace urbanisé à 25 % (160 m de voirie à l’ha), mais en Grande couronne elle n’est que de 15 % de l’espace urbanisé au prix d’un faible maillage du réseau (environ 100 m de voirie à l’ha) très pénalisant pour les usagers non motorisés contraints à de grands détours.

En conséquence, à cause de leur importante demande d’espace et parfois à l’insuffisance de l’offre de voirie, les véhicules individuels motorisés exercent une forte pression sur les modes non motorisés et les usagers des bus et tramways beaucoup plus économes en espace, mais aussi sur l’usage des sols, au centre comme en périphérie. Cette situation entraîne deux types de conflits d’usage :

– sur la voirie existante entre modes de déplacement, l’automobile stationnant sur les trottoirs ou empêchant la circulation des cyclistes et des bus,
– et, plus largement, dans l’affectation des sols entre le transport et les autres activités, l’automobile rognant les espaces bâtis, récréatifs ou agricoles.

Pour y remédier, il existe trois types de mesures aux impacts assez différents.

1/ Augmenter l’offre d’espace. La création de nouveaux espaces de circulation et de stationnement devrait satisfaire a priori tout le monde, mais elle est très coûteuse et n’est jamais sans inconvénients, qu’il s’agisse:
– d’espaces souterrains avec leurs trémies d’accès qui provoquent des effets de coupure,
– d’espaces aériens qui posent des problèmes d’insertion dans le paysage,
– d’espaces aménagés en surface dans le tissu urbain existant qui supposent des terrains disponibles soustraits à d’autres usages ou des expropriations,
– d’espaces aménagés en surface sur des terrains non encore urbanisés participant directement à l’étalement urbain.

2/ Réduire la demande d’espace. La réglementation du trafic motorisé consiste à limiter l’accès des véhicules à des espaces de stationnement ou de circulation situés dans les lieux les plus fortement congestionnés, en général le centre ou ses voies d’accès. Ce filtrage réduisant le trafic automobile favorise un certain report vers les modes économes en espace. La réglementation peut être réalisée par les quantités ou par les prix. Dans le premier cas, il s’agit de modifier les plans de circulation ou les plans de stationnement. Dans le second, la tarification peut concerner la circulation avec l’instauration d’un péage, ou le stationnement quand il est rendu payant.

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3/ Redistribuer l’offre d’espace. La réaffectation des espaces existants – le « partage de la voirie » – vise à réduire les espaces du mode le plus envahissant par nature – l’automobile – au profit des modes alternatifs.

Elle peut se faire de trois manières :
– par la protection des espaces menacés d’envahissement (trottoirs, aménagements cyclables, couloirs bus…), via des obstacles physiques (potelets, banquettes…) ou des mesures de police (verbalisation accrue, radars…) ;
– par l’extension des espaces viaires destinés aux modes alternatifs à l’automobile : l’élargissement des trottoirs, la création d’aménagements cyclables ou la réalisation de lignes de transport en commun en site propre. Ces mesures n’affectent pas forcément tout de suite le trafic automobile, la ville ayant hérité de la période du « tout automobile » des espaces surdimensionnés en moyenne de 10 à 20 % ;
– par la mixité des espaces de déplacement en favorisant la cohabitation entre les modes, car la cohabitation est en effet bien plus économe en espace que la ségrégation, mais elle suppose une modération de la circulation reposant à la fois sur la réduction des vitesses et du trafic. Cette mixité est réalisable dans des zones 30, des zones de rencontre et des aires piétonnes dont le potentiel est considérable, puisqu’elles peuvent concerner 80 % du linéaire de voirie.

Le partage de la voirie fait craindre a beaucoup d’économistes une baisse des vitesses et de l’accessibilité. Il est pourtant possible de montrer, qu’en milieu urbain, les avantages de la vitesse sont surestimés et ses inconvénients sous-estimés.

Si la mobilité facilitée a incontestablement joué un rôle positif au départ en réduisant la promiscuité, en améliorant l’accessibilité et la taille des marchés, les acquis sont maintenant largement suffisants. D’abord parce que les gains de temps sont illusoires, tout le monde en convient.

Mais aussi parce que les réseaux actuels de transport rapide contribuent si fortement à dédensifier les agglomérations (d’un facteur 12 en Ile de France entre le centre et la Grande couronne) que l’accessibilité s’en trouve réduite au moins de moitié en périphérie par rapport au centre. Et enfin parce que l’impact globalement positif d’une diversité croissante des destinations accessibles tend à se réduire, à cause des effets pervers de l’hyperchoix.

De plus, la vitesse ne permet pas un accès au foncier à moindre coût quand les coûts de transport finissent par dépasser les coûts du logement, ni même aux biens de consommation, alors qu’en revanche l’étalement urbain et l’accroissement des trafics qu’il génère provoque un cortège de nuisances bien réelles. Si certaines sont aisément perceptibles et correctement évaluées, comme les accidents, le bruit et la pollution, d’autres sont bien plus difficiles à appréhender, comme la ségrégation sociale, la consommation d’espace, la perte d’attractivité des transports publics, la disqualification des modes non motorisés ou la dépendance automobile…

Ainsi, la densité s’avère plus efficace que la vitesse pour varier et intensifier les échanges, ce qui justifie à la fois les politiques de densification et de modération de la circulation.

Enfin, il est maintenant clair que la consommation excessive d’espace par l’automobile représente bien une nuisance, dans la mesure où elle restreint de diverses façons l’usage des autres modes. Dès lors, le coût social de la consommation d’espace est un compromis entre le coût des dommages correspondant au surcoût des déplacements qui doivent être réalisés en voiture, au lieu de pouvoir l’être en modes alternatifs, et les dépenses de protection liées à la création de nouveaux espaces, à la réglementation du trafic motorisé par les quantités ou par les prix ou à la réaffectation des espaces existants. Cette voie de recherche reste à étayer, mais le cadre est désormais posé.

Source: La consommation d’espace-temps des divers modes de déplacement en milieu urbain – Application au cas de l’Ile de France – Rapport final – juin 2008, Frédéric Héran et Emmanuel Ravalet