Considérations alternatives sur la pagaille®

La galère des automobilistes coincés pendant des heures, et parfois même toute une nuit, pose quelques questions que je n’ai guère entendu poser.

Je ne vais pas traiter en large et en travers la polémique hortefo-fillonesque. D’autres l’ont déjà fait abondamment, et elle se résume en fait à peu de choses : en plus d’être autoritaires et prétentieux (et même raciste pour l’un d’entre eux), ces gens-là sont gravement incompétents, mentent effrontément, sont déconnectés de la vie du Français de la rue (et de la route) et n’assument pas leur responsabilité. Fillon qui se décharge sur Météo-France, c’est tout de même assez cocasse, quand on pense que la politique de ce monsieur consiste essentiellement à tailler dans les budgets publics pour financer les cadeaux fiscaux à ses amis riches et entrepreneurs, on se dit qu’il mériterait de passer quelques nuits au volant d’une saleuse sur la RN118 ou l’A31. J’ai d’ailleurs récemment parlé de cette bouffonnerie qui consiste à ne plus déneiger qu’une voie  sur les autoroutes publiques de l’Est, simplement pour compenser les coupes budgétaires. Et sans en avoir la certitude, je ne serais pas plus étonné que ça que l’insuffisance de salage sur la RN118 ne soit qu’une conséquence d’un malheureux coup de rabot…

Mais cette cata peut aussi s’envisager de manière plus philosophique. On peut d’abord considérer que la neige au mois de décembre n’est pas un phénomène spécialement exceptionnel, et que pour autant que je puisse en juger il n’en est pas tombé des quantités exceptionnelles, certainement moins de 10 cm en Moselle.

Ce qui est beaucoup moins naturel, c’est le nombre exceptionnel de véhicules qui se trouvaient sur la route à ce moment-là.
En fait, ça n’étonne plus personne. C’est ça qui est affolant. Complètement endoctriné par le mode de vie qu’on lui impose, l’automobiliste a des œillères au cerveau, et considère que ce n’est pas sa présence et celle de quelques milliers d’autres, majoritairement seuls au volant d’un véhicule d’acier d’une tonne et demie qui crachote force particules et CO2, qui pose problème, mais bien le fait que la route puisse glisse au mois de décembre.

Je peux en parler d’autant plus librement que je fais partie des andouilles qui se sont fait coincer mercredi soir entre Luxembourg et Metz, et que je correspondais assez exactement à la description que je viens de faire. Il me semble même que j’ai râlé assez fort pendant les pauses de quelques dizaines de minutes à l’arrêt complet, moteur coupé et rallumé pour ne pas congeler, en bouffant les tartines de pain sec et les bananes que j’avais par un heureux hasard achetées à midi.

L’écologie, après avoir eu son heure de gloire lors de la présidentielle de 2007 et un peu après avec le Grenelle de l’Environnement (autre bouffonnerie qui s’est terminée en eau de boudin lorsque Sarkozy a sifflé la fin de la partie (« ça commence à bien faire® !« ) et a annoncé son « plan de relance« . Vu l’implosion probable d »Europe Ecologie Les Verts », qui 20 ans après les bisbilles ridicules entre Lalonde et Waechter, montrent qu’ils n’ont pas vraiment changé et se révèlent toujours aussi incapables de transformer en victoires électorales le capital de sympathie dont ils disposent dans l’opinion, il est à craindre que le sujet ne tienne plus la vedette en 2012, remplacé par de doctes considérations sur l’économie mondiale, dont tout le monde a pourtant perdu le contrôle, et sur lequel les politicards français n’ont de toute façon aucune prise. Ou alors sur « l’insécurité », qui est un grand malheur, ma brave dame. mais de toute façon, comme tous leurs prédécesseurs depuis 35 ans, les candidats vont jurer, la main sur le cœur et des trémolos longuement répétés dans la voix, que leur priorité est l’emploi, et que « de toute façon il faudra se serrer la ceinture« . Alors l’écologie, vous pensez bien, mon brave monsieur…

L’écologie, par exemple, ça pourrait être de faire le constat que beaucoup trop de Français sont obligés de prendre leur bagnole pour aller bosser. Que les ventes de pavillons Sam Suffy à Trifouilly les Oies continuent à prospérer alors que leurs heureux propriétaires, qui se sont endettés sur 30 ans, sont obligés d’accepter n’importe quel boulot dans la grande ville, à 50 voire 100 km.

Seulement voilà, ce mode de vie est très lucratif pour les marchands de pavillons, pour les banquiers, et bien sûr pour les sacro-saints vendeurs de bagnoles, qui fabriqueront certes bientôt la quasi totalité de leur camelote à l’étranger, mais qui restent les chouchous du pouvoir. Du coup, ce mode de vie complètement débile (et qui est accessoirement le mien) n’est non seulement pas vilipendé, mais bien encouragé.

Naturellement, une telle situation ne peut pas se transformer radicalement en quelques semaines, ni même en l’espace d’un quinquennat. C’est un projet à l’échelle d’une voire plusieurs générations. Totalement hors de propos pour des politiciens qui ne voient pas plus loin que la prochaine élection.
Mais en attendant, il y a tout de même des choses à faire : encourager les transports en commun, le télétravail, le covoiturage. On reproche à Monsieur Huchon une campagne de pub juste avant les élections, mais on ferait mieux de lui reprocher l’absence totale dans de nombreux cas de transports en commun de banlieue à banlieue, par exemple…
Et quand je dis « encourager », cela signifie aussi « décourager ». Frapper au portefeuille les entreprises qui n’encouragent pas le covoiturage ou qui ne pratiquent pas le télétravail alors qu’elles le pourraient. Interdire carrément les voitures de société qui émettraient plus de 120g de CO2 (seuil à revoir constamment à la baisse). Et faire que le « malus » qui frappe les particuliers devienne un vrai malus, payable tous les ans, à défaut de taxe carbone.

Lire aussi :  La plus extraordinaire machine à défouler les complexes

Autre constat facile à faire lorsqu’on est bloqué par la neige : les camions. Par milliers. Des montagnes de camions empilés les uns derrière les autres. Dans le cas de l’A31 et de son prolongement luxembourgeois, ce ne sont d’ailleurs que quelques camions qui se sont mis en travers dans d’insignifiantes petites montées, et derrière lesquels sont venus en quelques minutes se bloquer des milliers de bagnoles et d’autres camions, qui ont provoqué le chaos. Et comme ça se pousse moins facilement qu’une C3, un camion, et que les blaireaux coincés derrière forment un bouchon compact et difficilement franchissable pour une saleuse ou une dépanneuse, ça peut durer des heures.

Et qu’est-ce qu’ils foutaient là, tous ces camions, me demanderez-vous ? Ben comme d’hab, ils allaient du Nord au Sud de l’Europe, et inversement, transportant tout et n’importe quoi, l’indispensable et le superflu. Et il y en a de plus en plus. C’est l’exacte et prévisible conséquence de la politique de « croissance », du faible coût du gasoil et des camions, des salaires misérables et des conditions de travail dantesque des chauffeurs, qui viennent de plus en plus souvent des pays de l’Est. Et ils sont là tout le temps, Quand on roule un peu on ne peut pas les ignorer, mais quand ils bloquent, on ne voit plus qu’eux.

Et que transportent-ils, ces intrus : c’est simple, tout ce qu’on achète ! L’intégralité de nos courses au Leclerc le samedi (et même le dimanche) : des camions. Le cadeau de Noël de la tante Ursule : un camion. Les tomates bio (ou pas) du sud de l’Espagne que nous achetons à Paris ou à Luxembourg : un camion. Les jambons français qui vont se faire découper en Pologne avant de revenir quelques heures plus tard retrouver leur nationalité d’origine : des camions.  Les meubles Ikea : des camions. La télé géante qui trône dans notre salon et que nous regardons 4 heures par jour : des camions. Les téléphones portables que nous changeons tous les ans : des camions. Les gagdets achetés sur internet ou à la solderie du coin : des camions. Les journaux : des camions. Le matériel acheté par la société qui vous emploie : des camions. Les prospectus publicitaires : des camions. Le gasoil de notre bagnole : des camions. Bref, ces camions, c’est nous, notre mode de vie, notre « pouvoir d’achat », notre con-sumérisme exacerbé. Et quand la neige jette une lumière crue sur la stupidité totale de ce système, c’est un véritable hymne à l’économie locale et à la décroissance.

Sur l’A31 Lorraine, le trafic est actuellement estimé à 15000 camions par jour (pour 80 000 véhicules au total). Une initiative louable de ferroutage a été lancée en 2006 entre Bettembourg (à la frontière franco-luxembourgeoise, coté Luxembourgeois, évidemment…) et le Boulou, à la frontière franco-espagnole. Quand on connaît les nuisances causées par les camions sur les routes (à commencer par les accidents), on ne peut qu’être d’accord. Cette initiative, qui est aujourd’hui qualifiée de « succès », a permis en 2010 de transporter l’équivalent de 32000 camions. Soit en gros… 2 jours de trafic ! Comme pour les éoliennes qui ne compensent même pas l’accroissement annuel de la consommation électrique, il est de surcroît probable que l’accroissement (alias « la croissance ») annuel(le) du trafic des camions soit très supérieur(e) aux camions enlevés par cette plateforme de ferroutage…

Et encore, je ne parle que des camions, car la neige les a rendus particulièrement visibles. Mais le con-sumérisme échevelé fait aussi tourner autour de la terre des milliers de bateaux, d’avions-cargos (au Luxembourg, ils décollent et atterrissent quasiment en continu)…

Je l’ai déjà dit 100 fois, mais ce système est tellement fou et voué à s’écraser dans un mur qu’il est incroyable que la quasi-totalité des dirigeants du monde s’y accroche, et n’entrevoie même pas le problème. Ceux qui attendent que « La Gauche » reprenne le pouvoir à Sarkozy n’ont aucune illusion à se faire. Il suffit d’entendre madame Aubry ; « Je vais le dire très simplement : il faut relancer la croissance®« . Alors on continue. Il faut de la « croissance », sinon tout s’écroule. Quand il n’y a plus d’argent pour nourrir la machine infernale, on en invente, et on endette la planète sur 10 générations. Et quand les pauvres se mettent à « consommer » un peu moins, on engueule ces inconscients.

Mais quand ce sera la pénurie d’énergie et de matières premières qui provoquera l’arrêt inexorable de cette ineptie ? À qui s’adressera-t-on ? La production de pétrole a déjà atteint son maximum et ne pourra que diminuer, de plus en plus vite, à l’avenir. Les pays occidentaux et la Chine en sont réduits à piller les dernières richesses minérales des pays africains. Déjà on manque de cuivre !

Finalement, le seul espoir est que le réchauffement climatique qui résulte de ces politiques funestes empêche toute nouvelle pagaille chute de neige à Paris ou en Lorraine…

11 commentaires sur “Considérations alternatives sur la pagaille®

  1. apanivore

    Je ne suis pas spécialement choqué qu’on ne déneige qu’une voie sur les autoroutes. La neige c’est la « pagaille » à peine quelques jours par an ça me parait sensé de ne pas investir dans de lourds moyens qui vont rester au garage 355 jours par an. (je parle de la région parisienne)

    Le peu de prévoyance des automobilistes par contre est navrant. « On va y aller quand même, les autorités nous sauveront c’est leur boulot. »

    Ce qui m’a attristé le plus se sont les réactions enjouées de mes collègues face à l’annonce par la ville de Paris d’avoir répandu 350 tonnes de sel en une nuit. Youpi ! Personne ne se demande quel est l’impact de ce sel sur l’environnement déjà pourri de la région.
    En plus ça bousille la chaine du vélo.

  2. MOA

    Comme d’habitude, très bon article de SuperNo.

    Apanivore : « […]La neige c’est la « pagaille » à peine quelques jours par an ça me parait sensé de ne pas investir dans de lourds moyens qui vont rester au garage 355 jours par an[…] »

    Sauf que le bon sens n’a rien à voir dans cette pseudo économie de nos deniers.

    Mais bon… allez, je vote pour ne déneiger aucune des voies ! ça, ça « fait » sens… (comme on dit maintenant pour faire frime car ça fait comme la langue anglaise).

  3. Alain

    Ah la neige!!!!

    Bon, je vais encore me faire taper dessus parce que je vais critiquer un service soi-disant public:
    J’attends un colissimo parti le 09/12 garantie J+2 et devant parcourir 150 kms.
    Pas arrivé samedi, j’ai essayé de me renseigner ce matin. Il est à 5 kms de chez moi parait-il, il sera livré dans la journée. Vu que c’est de l’outillage vélo professionnel, pas vraiment envie qu’ils le perdent, et vu que pas de livraison dans la journée, je retourne au bureau de poste ce soir: il parait que c’est la faute de la neige. Quelle neige? Y’a pas de neige! Et vu que mon colis est bloqué depuis samedi midi à 5 kms de chez moi, que le facteur est passé ce matin mais sans rien, j’ai trouvé cela fort.
    Le gars m’a parlé des 5000 camions bloqués. Qu’est-ce que j’en avais donc à faire des ces camions. Je lui ai dit qu’ils avaient qu’à aller faire un stage au Québec, ou mettre des pneus neige… et puis j’ai coupé cette conversation ubuesque. Il n’y a pas de neige dans ma région. Leur excuse était foireuse mais plus personne n’a peur de rien pour mentir.

  4. MOA

    Eh ben… on a pas le cul sorti des ronces.

    Tenez nous au courant de la date a laquelle vous recevrez votre colis… pour évaluer ce retard inadmissible.

  5. CarFree

    Alain tu es la victime du complot mondial de la fonction publique dirigé par les puissantes forces qui gouvernent ce monde (Cuba, corée du nord et Bolivie).

  6. Pierogi

    Très bon article de SuperNo. Honnêtement (mea culpa) je fais aussi parti des nombreuses andouilles, obligé de prendre ma voiture de société pour « travailler » dans un boulot de services qui consiste à vendre du vent à des sociétés qui n’en n’ont pas besoin mais qui achètent… Cet article me met en face de l’absurdité quasi-complète de ma vie professionnelle : mais que faire ? Démissionner et me retrouver à la rue ? – non merci ! En attendant, la valeur travail chère à l’UMP ne vaut plus grand chose aujourd’hui en raison de l’absurdité croissante des tâches, de la précarité et le pillage de la nature.

  7. Tommili

    Je suis aussi une andouille motorisée (pas trop, je prends surtout le train et mes baskets) bien obligé d’aller au taf’ à 50 km. Et comme dit Pierogi (qui vend du vent): QUE FAIRE face à l’absurdité, à l’incohérence généralisée de ce monde ? Trouvons de nes idées nouvelles, par exemple : récoltons la neige et vendons-la au Sahel, ils aimeront certainement faire du ski là-bas aussi. Voilà un business qu’il est pas mal…
    Pour un monde meilleur, partageons.

  8. Vélops

    En France, 100 millions de tonnes de sel ont été répandus l’an dernier. Ce qui représente une concentration moyenne de l’ordre de 1 pour 2000 dans les rivières. L’effet sur les écosystèmes aquatiques de cet apport de sel est mal connu, mais ce n’est sans doute pas très bon.

    Tout ça pour pas que les totos mobiles et les piétons glissent. La plupart des gens préfèrent cette pollution invisible à l’adaptation. Portant s’adapter coûterait bien moins cher. Il suffit d’adopter un pas plus court et plus rapide quand ça glisse (comme en descente sur pente raide), et pour ceux qui veulent marcher tranquillement, il existe des crampons de ville.

    Le vélo reste remarquablement efficace quand les chaussées sont glissantes : il ne connaît pas les bouchons et on peut toujours le pousser si ça ne passe pas.

  9. Vive_Les_Routes_Infernales

    « ce système est tellement fou et voué à s’écraser » … Ben oui, et une solution c’est la « décroissance personnelle » :

    * Eviter de faire partie de grosse structures pyramidales, donc si possible travailler comme indépendant, ce qui laisse beaucoup plus de choix qualitatifs.

    * Se focaliser sur sa propre santé et celle des autres en évitant absolument d’en rajouter (des autres 🙂 ), dans le sens ou enfants = plus de stress pour soi et pour la planète.

    A part ça ne pas déneiger, saler etc c’est très bien, plus l’utilisation de la motorisation individuelle est inconfortable mieux c’est! Tout simple comme concept! Mais vous allez me dire que ça va faire des morts (de froids ou d’inconfort) , et bien non, car en prenant en compte le renoncement à la motorisation individuelle qui découlerait de son inconfort criard fautes d’infrastructures correctes on aboutit forcement à une meilleure santé générale et a moins d’accidents!

    Il s’ensuit que pour faire baisser le nombre de victimes de la route, il faut que les routes soient infernales pour les automobilistes!

    Salutations,
    Vive_Les_Routes_Infernales 🙂

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