Escalade de métal lourd

Un article récent du journal Le Monde fait état de l’inflation galopante du nombre et de la taille des SUV (sport utility vehicles) sur la voie publique et de la contestation écologique qui enfle en conséquence.

L’article du Monde intitulé « Contre les SUV en ville, la contestation enfle » relate les actions menées par des petits groupes d’activistes qui dégonflent les pneus la nuit. C’est triste à dire, mais en 2023, on en est toujours à parler de cela. Le dégonflage des pneus des SUV ou autres 4×4 est en effet encore un sujet de polémique, entre les activistes écologiques qui dénoncent ces véhicules « symboles d’émissions inutiles, effet de mode pour les riches » et les automobilistes extrémistes qui déplorent l’action « d’illuminés urbains démagos qui veulent se contenter du vélo. »

Pourquoi encore? Parce que dès 2005 de nombreux groupes de dégonfleurs de pneus écumaient déjà les grandes villes de France et en 2006 j’écrivais même un manifeste intitulé « Le Dégonflisme politique » dans lequel j’anticipais que « le Dégonflisme serait la nouvelle doctrine politique du 21ème siècle. » On y est.

C’était il y a 17 ans, cela ne nous rajeunit pas. A vrai dire, rien n’a changé si ce n’est l’augmentation continue du nombre de SUV et de la taille moyenne des voitures. Sur la photo suivante prise à Paris, on peut comparer par exemple une voiture de 1963 et une voiturette sans permis de 2023…


Photo : Matthieu Lauraux

Si, pour être honnête, ce qui a changé aujourd’hui, c’est peut-être le fait qu’un grand journal comme Le Monde fasse un article sur le sujet et donne par la même occasion le mode opératoire des dégonfleurs et donc la meilleure méthode pour dégonfler les pneus des SUV…

Repérer une rue sombre, sans piéton ni fumeur au balcon. Un véhicule utilitaire sportif (SUV), 4 × 4 ou pick-up, dépourvu de tout macaron signalant un handicap ou une profession médicale – le siège enfant, lui, suscite le débat. S’agenouiller près de la roue, feignant de nouer un lacet, deux comparses faisant écran de leur corps, tandis qu’une quatrième guette en bout de rue l’éventuelle patrouille de police. Dévisser le capuchon de la valve du pneu, y introduire deux lentilles vertes (les corail s’écrasent) qui font pression une fois le capuchon revissé à moitié, attendre le pschiiiiiiiiit de l’air qui s’échappe… En quelques minutes, le mauvais tour est joué à qui grimpera au volant le lendemain matin.« 

Egalement, ce qui a probablement changé aussi, c’est le nombre de SUV ou 4×4 en circulation qui a explosé depuis une quinzaine d’années avec 38% de part de marché en Europe en 2019 et 43% en France en 2021. Là où les écolos se trompent, c’est quand ils semblent penser que les SUV sont un « phénomène de mode. » Ou alors, c’est une mode qui dure depuis près de 20 ans et qui ne fait qu’augmenter… Car le SUV est en fait plus un phénomène de société qu’une simple mode.

Dans une circulation routière et urbaine perçue comme de plus en plus dangereuse, même si le nombre de morts sur les routes a pourtant été divisé par 5 depuis 50 ans, les SUV apparaissent à leurs utilisateurs comme des cocons de protection surélevés au milieu d’un océan de métal lourd. Et ce n’est pas le récent accident hyper-médiatisé de Pierre Palmade qui va changer la donne. Avec son gros SUV Peugeot 3008, il semble avoir littéralement écrasé comme une canette d’aluminium la « petite » Renault Mégane qui a eu le malheur de se trouver face à lui…

Comme le disait Mike Davis dans un article prophétique de 2003 intitulé « Autoroute de métal lourd, » les SUV sont « des habitations de luxe temporaires pour endurer l’enfer du déplacement. »

Mais le luxe, par essence, cela ne se démocratise pas. Comme le disait André Gorz en 1973 dans L’idéologie sociale de la bagnole, « si tout le monde accède au luxe, plus personne n’en tire d’avantages ; au contraire : tout le monde roule, frustre et dépossède les autres et est roulé, frustré et dépossédé par eux. »

Lire aussi :  Nicolas Hulot et l’automobile

Dès lors, il ne reste plus que l’escalade vers des SUV toujours plus gros et lourds pour se démarquer des autres SUV et ce ne sont donc pas quelques dégonfleurs qui risquent d’inverser le mouvement. Dès 2003, Mike Davis alertait en effet sur cette escalade de métal lourd qui caractérisait les routes californiennes  Selon lui, « l’hégémonie des SUV dans le trafic dicte un réarmement défensif et une logique de dissuasion mutuelle. »

Le principe de cette escalade vers des SUV toujours plus gros et lourds est assez simple à comprendre. Les constructeurs de voitures font des marges très faibles sur les petits modèles et sur les voitures classiques. Avec les SUV, ils ont trouvé un nouvel eldorado permettant de regonfler leurs marges en berne dans les pays occidentaux. Pour que les gens comprennent que le SUV est indispensable, les constructeurs ont utilisé la bonne vieille méthode qui explique pourquoi nous roulons en voiture, à savoir un déversement massif de publicité.

Et les constructeurs n’y sont pas allés avec le dos de la cuillère : le WWF nous apprend ainsi qu’avec 1,8 milliards d’euros de dépenses publicitaires par an, 18 pages de presse quotidienne et 3h50 de publicités télévisées par jour, les SUV sont partout et quotidiennement présents.

Résultat: les automobilistes que vous côtoyez sur les routes achètent de plus en plus de gros SUV, ce qui agresse mécaniquement les autres usagers de la route. Ceux qui ne s’étaient pas encore fait laver le cerveau par la pub vont se mettre eux aussi à acheter un SUV pour avoir l’impression d’être protégé… des autres SUV. Les autres automobilistes réagiront en conséquence en achetant de nouveau un SUV encore plus gros et plus lourd, pour la plus grande joie des constructeurs de voitures qui renouent avec les bénéfices. Le cercle est sans fin, au moins jusqu’à la mise en circulation sur les routes de véritables divisions Panzer de « sport utility vehicles » destinées à conquérir leur Lebensraum routier.

D’ailleurs Mike Davis le disait lui-même: « À la suite d’une montée en flèche des prix de l’essence, j’ai vendu mon camion de gangster (un pickup Toyota Tundra) et acheté un SUV plus petit (mais à peine plus vert); mais après avoir été bousculé de tous côtés par la mégafaune yuppie sur l’autoroute I-5, j’ai décidé de revenir à un lourd blindé aussitôt que possible (de préférence équipé spécialement d’une double mitrailleuse calibre 50). Cédez le passage ou mourez. »

A vrai dire, être contre les SUV aujourd’hui, c’est quasiment être contre la voiture tout court… Sauf que les SUV sont plus lourds et plus énergivores, demandent plus de ressources pour être construits et pour rouler, sont plus dangereux pour les piétons et les cyclistes et sont de plus en plus anachroniques dans une société qui devrait tendre vers la sobriété. Et on ne parlera même pas des hérésies comme les SUV hybrides qui cumulent double motorisation et batteries électriques qui alourdissent mécaniquement le véhicule.

C’est pourquoi, la seule véritable solution pour remédier au problème, on la connaît déjà: c’est l’interdiction pure et simple de la publicité automobile, sous toutes ses formes (télévision, presse, internet, etc.). Et c’est exactement ce que n’avait pas voulu faire la précédente ministre de l’écologie Barbara Pompili. Au lieu de cela, le précédent gouvernement avait imposé des mentions obligatoires lors des publicités pour les voitures du type « Pour les trajets courts, privilégiez la marche ou le vélo. » Des messages écrits évidemment en arial 2 et qui apparaissent une demi-seconde lors des spots télévisés…

Ce serait presque amusant si la situation n’était pas si pathétique.

2 commentaires sur “Escalade de métal lourd

  1. pedibus

    bah ! le mieux c’est que le général Bidasse s’échine tous les jours à faire son bon coup de pub sur le… :

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Renault_TRM_700-100#/media/Fichier:TRM_700-100_055.JPG

    et que les industriels de Ste-Gnognole se reconvertissent dard-dard… :

    au bout d’un certain temps quarante millions de pétainistes sécurisés reconvertis (encore une communauté des « gens des voyages »… ) joueront aux chenilles processionnaires urticantes à l’allure de l’escargot sur nos rubans de macadam, histoire de foutre la paix aux non-motorisés pour un bon bout de temps, celui de la dissipation des super-bouchons qu’ils ne manqueront pas d’engendrer, sûrement quelques années sans dommages (?)… puisque tout le nécessaire sera dans la remorque pour poireauter confortablement, et même s’épargner un loyer ou un prêt immobilier !

    quand j’vous dis qu’ils savent s’adapter nos chers bagnolards…

  2. Andy

    Ah ouais un Panzer pour régler l’invasion des Stupid Useless Véhicule….juste une tir par jour et Badaboum….

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