…« Économie d’énergie » et « décroissance énergétique ». Ces deux notions peuvent parfois se confondre mais dans la plupart des cas, elles s’avèrent radicalement antinomiques.
Le mot « économie » est ambigu. Entre l’apathique « homme de la rue » et le dynamique « homme d’affaire » il y a constamment deux niveaux de lecture antinomique de ce même mot. Pour « l’homme d’affaire » dynamique et « l’homme politique » son complice, l’ambiguïté du mot est « l’eau trouble » nécessaire, où ils viennent y pêcher leurs victimes respectives.
Dans le champ sémantique, le singulier et le pluriel suffisent déjà à changer le sens du mot : « faire de l’économie » et « faire des économies ». Pour comprendre cette ambiguïté permanente, il faut se rappeler la longue aventure de ce mot ; elle s’étale sur des millénaires d’une histoire particulièrement tumultueuse. C’est celle de « L’Occident », berceau de la civilisation industrielle …
Naissance du « capitalisme vert »
Dans le monde contemporain dominé par l’omniprésence de l’énergie, l’éclairage permanent des « Lumières » n’améliore toujours pas la lisibilité du mot et les choses s’obscurcissent inexorablement. Non seulement l’ambiguïté du mot « économie » ne se lève pas, mais en plus elle s’aggrave dans son association avec le mot « énergie ». « L’entropie sémantique atteint son paroxysme !» « L’eau trouble s’épaissit et devient même bitumeuse ! » Pour continuer à pêcher en « eaux troubles » et accroître le volume des prises l’association des mots économie et énergie est devenue redoutable.
Comme il fallait s’y attendre, dans « l’eau trouble » bouillonnante des affaires, un nouveau secteur d’activité économique vient de faire son apparition avec les bénédictions appuyées du monde politique : « l’économie des économies d’énergie ». C’est un « green business » qui surgit dans « l’eau trouble » des affaires et confine aujourd’hui aux « boues bitumeuses » encore plus favorables aux affaires.
Spontanément dans le monde de la mondialisation on avait bien compris que des « gains de productivité » pouvaient être fait par des « délocalisations » et des « compressions de personnel ». A ces deux « grandes découvertes » de la fin du 20e siècle, il faut ajouter maintenant, le nouveau secteur économique innovant des « économies d’énergie ».
Se présentant sous une « bannière verte » il reste cependant, à part entière, un « business » conforme aux lois du marché. Le capitalisme vient de subir, en quelque sorte, une métamorphose salutaire aux affaires. Le nouveau Capitalisme Vert s’attaque aux conséquences dévastatrices des « années noires » et « marées noires » du Capitalisme Noir des TEP et des Mégawatts ostentatoires…
Ce « Capitalisme Vert » est ouvert et s’adresse à « tout le monde » en laissant « tout le monde » dans son rôle économique d’origine. L’homme d’affaire continue à faire des affaires, l’homme politique continue à soigner son image politique et l’homme de la rue acquière un nouveau statut un peu plus gratifiant « d’éco- citoyen » « éco-économe » (en énergie).
Tout le monde reste dans son rôle, les règles sont les mêmes pour accroître encore plus le volume des affaires ; avec en prime, la gratification d’apporter sa contribution financière à la « bonne cause » du « green business » pour « sauver la planète ». Tout le monde donc est concerné pour que tout aille pour le mieux dans « Le Meilleurs des Mondes ».
Ce nouveau secteur économique consiste à vendre et à bonifier des « économies d’énergie ». De nouveaux produits, à vrai dire tout aussi industriels que l’ensemble des autres produits industriels, apparaissent sur le marché…
Dans un monde dominé par les machines énergivores il était devenu inévitable qu’émerge un nouveau marché de « l’efficience énergétique » avec ses experts techniques et juridiques, ses hommes d’affaires et sa fiscalité spécifique.
Comme tous les nouveaux marchés, toujours « porteurs et prometteurs » à leur émergence ; il fallait s’attendre à la collusion intime du monde des affaires et de la classe politique et elle est exemplaire.
Dans la double perversion du monde économique moderne où « l’offre » précède la « demande » et où la « demande » est elle-même aussi un produit industriel, une « demande fabriquée » pour une « offre obligatoire » (1) ; le marché des « économies d’énergie » renforce le caractère obligatoire et nécessaire du rôle économique de la « consommation ». « L’économie des économies d’énergie » s’impose au consommateur, renforcé dans son rôle, comme une injonction supplémentaire à consommer de nouveaux « produits ».
Il s’agit de satisfaire un nouveau « besoin » ou une nouvelle « demande » « d’efficience énergétique » imposée pour « sauver la planète ». Le tout est rendu administrativement obligatoire dans le cadre de la « menace climatique ». L’apocalypse réhabilitée dans la religion du Progrès, se fait aussi pour raison économique, le lancement de « l’économie des économies d’énergie ».
Pour ne pas déboussoler l’honnête consommateur dans son rôle, ses repères et ses habitudes, les vieux produits de l’ancienne économie sont requalifiés dans la nouvelle économie : Une labellisation spécifique permet facilement de les identifier: « Voiture verte », « Maison propre », « Voiture propre », « Maison verte », « basse consommation » et « zéro émission ».
Le dénominateur commun de toutes ces nouvelles entités économiques est « l’énergie verte » ou « énergie propre », dite aussi « énergie renouvelable »…
Le marché est rassuré, dans tous les cas il y a « à vendre » et « à acheter », les perspectives sont fabuleuses. C’est l’occasion d’une nouvelle aventure économique, celle ou s’affirme « l’éco- citoyenneté » « éco-responsable ».
Avec de telles perspectives jusqu’ici insoupçonnées, le « business vert » est lancé sur des chapeaux de roues. Dans le marasme de la vieille économie, devenue « éco incompatible », l’arrivée salvatrice de cette « éco-économie, des économies d’énergie » a de quoi faire « perdre la tête ». Le « vertige de la fortune » libéré par les labellisations nouvelles « en chaînes et boules de neige », s’empare des « hommes d’affaire » et siphonne les « hommes politiques », leurs complices.
Les mots « durable », « renouvelable » et « recyclable » sortent de toutes les bouches et en boucle labellisent à leur tour les discours politiques ou économiques. Plus aucun homme politique dans ses discours ne peut se permettre de « faire l’économie » de ces mots spécifiques de « l’économie des économies d’énergie »…
La spirale s’emballe. Puisque plus d’économies d’énergie c’est plus d’économie et plus d’économie c’est plus de conversion d’énergie, il faut plus d’économies d’énergie pour plus de diversité d’économie, la spirale vertueuse devient véritablement infernale…
L’irruption inespérée de la nouvelle « économie des économies d’énergie » a imposé dans sa foulée, l’institution urgente d’un nouveau cadre législatif. Les instances supérieures du capitalisme mondial ont donc légiféré, pour accueillir favorablement la nouvelle économie.
De sommets de la Terre en sommets de la Planète, de Kyoto à Rio, la nouvelle économie s’est octroyée à l’unanimité des « invités » au banquet, de nouveaux « droits innovants ». L’un d’eux est une remarquable réussite politico-économique, le « droit à polluer » dans le nouveau « marché carbone » avec sa célèbre et innovante « Taxe Carbone ». Une machinerie complexe juridico-fiscale, politico-économique interétatique et de dimension mondiale… Indéniablement, il doit s’agir d’une « avancée majeure » pour « sauver la planète ».
Un « grand pas en avant » a été fait en rupture totale avec le sempiternel négationnisme des années noires du « Capitalisme Noir »…
Une première mondiale dans l’histoire de la « communauté des nations », pour préserver « La Richesse des Nations », le Grand Législateur a délibérément institué, inscrit dans les « Droits de l’Homme » un « droit à polluer ».
L’Avenir est radieux, la menace planétaire est écartée, les sombres nuages de l’apocalypse sont dissipés, « La Richesse des Nations » est hors de danger, sauvée par la nouvelle économie ; « l’économie du carbone, des économies d’énergie » ou « l’éco-économie »…
Cependant dans cette affaire trop bien ficelée on éprouve le sentiment que quelque chose cloche, « quand même un peu » et nous échappe. Le problème initial est passé à la trappe…
Quel était le problème initial à traiter ? Le réchauffement climatique !
Récapitulation, pour aborder le problème environnemental, il nous faut sortir des cercles vicieux et cybernétiques des boucles positives auto amplificatrices. Le mot « économie » est donc inapproprié et ambigu dans l’économie actuelle pour parler « d’économie d’énergie ».
Dans l’espace ouvert au capitalisme par la Seconde Guerre mondiale, le mot « économie » est devenu « synonyme » du mot « énergie », et «activité économique » est équivalente à « conversion énergétique ». Moyennant un facteur correctif ou de conversion de l’une en l’autre entité, « activité économique » et « conversion énergétique » sont des processus intimement liés.
L’essence de l’économie, c’est l’énergie et la notion scientifique moderne d’énergie n’a de sens que dans le monde étroit de l’économie.
Par opposition, la diversité du monde vivant peut difficilement se réduire à ces deux notions : « énergie » ou « économie ». La prédation des ongulés sauvages sur les diverses espèces végétales et des divers carnivores sur les ongulés n’ont d’intérêt que saisis dans leur complexité, c’est-à-dire dans leur biodiversité.
Il en est de même des différentes activités humaines des indiens et populations indigènes impliquant le feu, toutes ces manifestations de la vie végétale, animale et humaine ne se posent jamais en termes simplement économiques ou thermodynamiques.
Les scientifiques peuvent les penser ainsi, pour produire une connaissance scientifique à leurs usages internes et économiques éventuels. Mais la diversité « d’être au monde » des espèces du Règne Végétal et du Règne Animal, sans oublier le Règne secret, « souterrain » mais toujours « souverain » des micro-organismes bactériens (2), ne peut se réduire à une seule science aussi savante soit elle… Il en est de même pour la diversité culturelle des peuples indigènes…
Les notions thermodynamiques ayant émergé au 19e siècle dans le monde occidental avec la Machine à Vapeur, elles acquièrent leurs sens envahissants, que dans un monde dominé par des machines « énergivores » sur leur socle historique, de « l’économie » du monde industriel.
Ces notions thermodynamiques se renforcent en boucles positives avec l’invasion incessante des machines occupant dans l’espace temps tous les champs de l’activité économique. Production, consommation, transformation, transport, conversion, conservation et aujourd’hui « économie » de l’énergie sont la base, l’essence même, de l’économie « moderne »…
Le pouvoir envahissant de ces notions thermodynamiques, après avoir conquis et construit un « mode de penser », va jusqu’à s’emparer du monde vivant, biocénose, « biomasse égale énergie »…
Pour sortir de l’ambiguïté et de la spirale infernale et ainsi traiter réellement le problème de « la pénurie d’énergie », sans abolir la diversité du monde vivant, il faut faire l’économie du mot « économie ». Et même aller encore plus loin, il faut faire aussi l’économie de l’économie tout cours, sortir du carcan de l’économie. Puisqu’en définitive, il s’agit de préserver la « biodiversité » menacée aujourd’hui et de lutter contre la menace future du « réchauffement climatique » ; alors parlons de « décroissance énergétique ».
(Extrait de : La notion d’énergie dans le Meilleur des Mondes »)
Tours novembre 2009 Relu et modifié janvier 2010
JMS
(1) Voir Günther Anders « L’obsolescence de l’homme » Ed. IVREA 2002
(2) Stephen Jay Gould « L’éventail du Vivant » (le Mythe du Progrès) Seuil 1997
Crédit image: Décroissance (économie) sur Wikipédia