L’avenir de notre planète ne peut faire l’économie d’une remise en question radicale, à la fois de nos pratiques et de notre imaginaire. Aujourd’hui, nous ne sommes qu’au début de ce dur labeur. De combats menés de l’échelle individuelle à celle globale des instances internationales pourrait alors naître l’espoir de voir l’humanité emprunter ce chemin parsemé d’embûches. Extrait de l’ouvrage de Simon Charbonneau « Résister pour sortir du développement – Le droit entre nature et liberté ».
« S’il y a donc une utopie du développement durable, véhiculée par l’imaginaire de nos sociétés modernes, pour y faire face, une utopie de la décroissance, au sens positif du terme, serait-elle possible? Ma conviction est qu’il s’agit là d’une mauvaise réponse à une bonne question et ceci pour plusieurs raisons.
En premier lieu, faut-il rappeler les ravages commis au XXe siècle par les utopies héritées du siècle précédent qui au nom de la justice sociale et du progrès ont accouché de réalités situées à l’opposé de ce dont elles avaient rêvé. Les immenses espoirs que les révolutions* du XIXe siècle ont fait naître dans les esprits portés par l’idéologie du progrès se sont révélés illusoires. Il est vrai que cette idéologie fondée sur un déterminisme optimiste concernant l’avenir de l’humanité pouvait donner l’illusion que les choses étaient de toute manière acquises sans avoir besoin de se battre. Or, l’histoire moderne s’est malheureusement évertuée à démentir cette illusion à partir de la première grande boucherie du XXe siècle. De l’utopie, il n’est plus alors resté que les scories du pragmatisme, représentées par les diverses formes de social-démocratie. Le passage brutal de l’idéalisme désincarné au réalisme le plus désenchanté a eu lieu souvent très rapidement, autant chez les individus que dans les sociétés comme l’histoire du communisme l’a très bien montré. Le mouvement écolo a très bien connu ce processus incarné par de jeunes militants qui, dans les années 1970, croyaient à l’avènement prochain de la révolution écologique et quelques années plus tard, déçus par l’absence d’avancées dans ce domaine, se sont transformés en technocrates compétents en matière d’environnement ou en politiciens très au fait des stratégies de pouvoir. Après avoir rêvé et abusé des formules incantatoires (L’an 01 de Gébé !), la réalité économique sociale et politique les a rattrapés. Et à partir des années 1980, certains ont alors renoncé à la critique radicale en s’abandonnant aux délices de la carrière et du pouvoir. Pour se faire écraser par la réalité, prenez donc vos désirs pour la réalité ! Pour disparaître absorbé par la société que l’on a jadis contestée, rien de tel que de renoncer à ses convictions !
C’est un peu le reproche essentiel que je ferai à l’utopie qui a toujours eu pour fonction de fuir la réalité, comme nos sociétés le font avec le développement durable. La décroissance est d’abord une obligation résultant du principe de réalité et ayant pour but d’aboutir à un état d’équilibre durable entre l’humanité et sa « terre patrie » qui l’a fait vivre durant des millénaires. Pour être crédible, l’utopie positive doit alors prendre la mesure des énormes bouleversements entraînés par une révolution écologique prise au sérieux et qui pour cela doit englober les autres dimensions de l’humanité. Un dossier aussi gigantesque que celui de la diminution des émissions de gaz à effet de serre implique par exemple au plan mondial la fin de l’expansion de l’industrie automobile et la remise en question des transports internationaux des marchandises et des hommes par bateaux et par avions. Face à de tels défis, il n’est pas possible de faire semblant de prendre des décisions ménageant les lobbies concernés comme cela a justement été fait par les États en faveur de l’industrie automobile. Il n’est donc pas non plus possible de renoncer aux exigences initiales qui ont fondé cette extraordinaire nouveauté qu’a été à l’époque la naissance du mouvement écolo pour adopter la posture du pragmatisme ordinaire qui a été celle des grandes associations de protection de l’environnement lors des négociations de Grenelle. Un défi comme celui de la crise environnementale accompagnée aujourd’hui de celle de l’économie mondiale ne peut se contenter de réponses médiocres et superficielles. »
Résister pour sortir du développement
Simon Charbonneau
Editions Sang de la Terre, mai 2009
Accéder à l’aperçu de l’ouvrage sur Google Books
si j’apprécie ce billet, je mettrais tout de même un bémol à un concept que je pense faux, celui consistant à séparer le social (où plutôt le changement social) de l’écologie (mais peut-être ai-je mal compris)…
Pour moi, hors du social, aucun changement écologique n’est possible. Seul un changement radical de société pourrait encore nous permettre, par une redistribution équitable, par un mode de vie autre que purement consummériste, d’éviter la catastrophe vers laquelle nous nous précipitons. Déjà parce qu’une grande partie du monde, les pays en voie de développement, refusera avec raison que l’on stoppe l’évolution de ses conditions de vie (ces pays, rappelons le nous, sont principalement la Chine et l’Inde qui, dans une continuité de la société de consommation, verrons leurs rejets de CO2 multipliés par 6 dans les 5 prochaines années), ensuite parce que l’autre grande partie du monde, les pays dits pauvre, ne peuvent être écartés du concept d’un monde écolo !
C’est d’autant plus vrai que l’évolution de la société actuelle démontre quasi quotidiennement que les possédants n’ont nullement l’intention de mettre un frein à leur soif toujours grandissante d’un pouvoir destructeur, y compris dans nos pays occidentaux soi-disant évolués.
Ce changement de société, de système, demande justement une réflexion approfondit et exempte de toute barrière idéologique afin d’éviter l’erreur faite déjà d’un communisme n’ayant, sur le fond, pas grand chose à voir avec ce qu’en disait Marx, liberticide et surtout reprennant l’horreur consummériste, mais aussi l’erreur d’une pseudo démocratie basée sur l’exclusion de la majorité de la population et sur un mode de fonctionnement non pas social, comme on voudrait nous le faire croire, mais uniquement compassionnel, pour réduire et canaliser la colère et la conscience.
Tant que nous ne serons pas capable de reconnaitre que si nous ne savons pas défendre l’homme, nous serons incapable de sauver la nature, nous pouvons être certains d’aller dans le mur !
Tu (pardon, mais, comme je l’ai dis ailleurs, pour moi, le tutoiement est une marque de respect, la meilleure preuve étant que je tutoie les personnes que j’aime), tu, donc, parle des « vieux écolos », je pense que la pensée et les écrits de certains de ceux-là, dont, pour exemple, Yves Paccalet, est à prendre en compte pour l’avenir d’un mouvement non encarté mais actif au possible !
« de jeunes militants qui, dans les années 1970, croyaient à l’avènement prochain de la révolution écologique et quelques années plus tard, déçus par l’absence d’avancées dans ce domaine, se sont transformés en technocrates compétents en matière d’environnement ou en politiciens très au fait des stratégies de pouvoir. »
Ceux-là sont minoritaires, il ne faut pas généraliser à partir des exemples les plus voyants…
Le processus de « récup » est inévitable, c’est un mal nécessaire, avec même des aspects positifs comme une plus large prise de conscience. Il convient de sans cesse le discerner pour l’écarter… Et, à mon sens, parfois composer temporairement avec lui, car il peut être naïf d’avoir un comportement trop prévisible…