Un « Manuel de sabotage simple sur le terrain » écrit par l’ancêtre de la CIA en 1944 caracole actuellement en tête des téléchargements gratuits sur le site du Projet Gutenberg. Cela en dit long sur la défiance actuelle d’une partie de la population américaine suite à l’élection de Donald Trump.

Le « Simple Sabotage Field Manual » que l’on peut traduire en français par « Manuel de sabotage simple sur le terrain » ou « Manuel pratique du sabotage simple » est un document surprenant écrit en 1944 par l’Office of Strategic Service (OSS) – l’ancêtre de la CIA, et destiné principalement aux espions américains présents en Europe durant la seconde guerre mondiale. Il avait pour but de les aider à maximiser les possibilités de sabotage dans les pays occupés par les Allemands, comme la France par exemple. L’objectif de ce guide était de donner des conseils pour entraîner des citoyens à des techniques simples mais efficaces pour poser le maximum de problèmes à l’occupant sans éveiller les soupçons.

Selon un article de France 24, ce manuel de « sabotage pour les nuls couvre un très large éventail de situations de la vie quotidienne, et tout particulièrement dans le monde professionnel. »

On peut accéder à la version française de ce manuel déclassifié par la CIA en 2008 sur le site wikisource. Dès l’introduction, le ton général est donné : « Lorsqu’il s’agit de destruction, les armes du citoyen-saboteur sont le sel, les clous, les bougies, les cailloux, le fil ou tout autre matériau qu’il devrait normalement posséder en tant que chef de famille ou en tant que travailleur dans son métier particulier. »

A vrai dire, l’approche n’est pas sans faire penser au texte de Marcel Marien écrit en 1956 et intitulé « Des bâtons dans les roues » dans lequel il appelait chacun à ce « qu’il ne sorte plus sans avoir les poches remplies de clous que, sans être vu, il saura semer sur les chaussées, aux bons endroits, comme on fait de l’huile pour apaiser la fureur des flots. »

Mais, le Manuel de sabotage simple sur le terrain va bien au-delà, en proposant une multitude d’approches permettant le sabotage à l’échelle individuelle, y compris des approches que l’on pourrait qualifier de « grève du zèle » ou même « d’incompétence simulée. » L’objectif était d’enrayer autant que possible la marche en avant de la machine économique en territoire occupé et donc de rendre invivable la position d’un ennemi donné en situation d’occupation. En cela, on s’approche ici de la théorie de l’emmerdement maximal proposée par Marcel Robert.

Quel rapport avec l’automobile? Dans le manuel, un certain nombre de conseils concernent les transports en général et l’automobile en particulier. Ainsi, il est dit par exemple que « le saboteur devrait être encouragé à attaquer les installations de transport de toutes sortes. Parmi ces installations figurent les routes, les chemins de fer, les automobiles, les camions, les motocyclettes, les bicyclettes, les trains et les tramways. » Au-delà des traditionnels « clous et pierres pointues sur les routes pour crever les pneus, » il est aussi proposé de « changer les poteaux de signalisation aux intersections » ou de « supprimer les signaux de danger des virages et des intersections. »

Admirons au passage l’ingéniosité des espions de la CIA : « Mettez un clou à l’intérieur d’une boîte d’allumettes ou d’une autre petite boîte et placez-la verticalement devant le pneu arrière d’une voiture à l’arrêt ; lorsque la voiture démarre, le clou traversera parfaitement le pneu. »

Les sabotages peuvent même concerner les routes : « N’importe qui peut creuser des ornières dans les routes en asphalte et en macadam qui deviennent molles par temps chaud; les camions qui passent accentueront les ornières à un point où des réparations substantielles seront nécessaires. Les chemins de terre peuvent également être creusés. Si vous êtes un ouvrier routier, il ne vous faudra que quelques minutes de travail pour détourner un petit ruisseau d’une écluse afin qu’il déborde et ronge la route. »

Que ce manuel, vieux de plus de 80 ans, retrouve actuellement un regain d’intérêt dans le contexte actuel semble intéressant.

« Si vous voulez comprendre la popularité du ‘Simple Sabotage Field Manual’, il suffit de se rendre sur les forums de fonctionnaires américains sur reddit [influent portail communautaire]« , écrit le site 404 Media, spécialisé dans l’impact des technologies de l’information. Ces forums regorgent, en effet, d’appels « à la résistance » contre les efforts déployés par Donald Trump et Elon Musk pour prendre le contrôle total de l’appareil d’État et en faire un corps loyal à 100%.

Pour être tout à fait honnête, la popularité de ce manuel a débuté il y a un an environ, mais l’arrivée au pouvoir du président républicain n’a fait qu’amplifier ce phénomène. La popularité de ce manuel était alors davantage liée à la lassitude des salariés en entreprise et au phénomène de ‘quiet quitting’ (démission silencieuse), une attitude qui consiste à en faire le moins possible en entreprise pour protester contre la dégradation des conditions de travail.

Assiste-t-on à l’émergence d’un mouvement de résistance, au moins passive, face à la montée des populismes ou à la déshumanisation des conditions de travail? L’avenir le dira…

 

MANUEL DE SABOTAGE SIMPLE SUR LE TERRAIN
Bureau des services stratégiques
Washington DC.
17 janvier 1944