Des Bâtons dans les Roues – 1956

Ce texte de Marcel Marien est probablement le premier texte anti-voitures de l’Histoire. Il date de 1956 et apparaît déjà comme radicalement antivoitures. Il s’agit d’une rareté, introuvable à ma connaissance sur le web, tirée de l’Anthologie de la subversion carabinée de Noël Gaudin.

des Bâtons dans les Roues
Marcel Marien – 1956

Les adversaires déclarés d’un progrès absurde et moribond, de toute évidence dépassé, sans attendre le nettoyage politique et moral de la société, se constitueront en fractions occultes et agissantes, et entameront dès à présent une lutte sans merci contre l’automobile. On mobilisera comme on peut, pour cette mission civilisatrice la canaille des bas-fonds, les désœuvrés de toutes catégories (philatélistes, souteneurs, terrassiers, etc.), les enfants des écoles et les vieillards des hospices. Nous laissons aux exécutants le soin de nuancer, de varier au gré des circonstances les moyens qui répondent le mieux à cet impératif: rendre toujours plus intolérable la fonction d’automobiliste, engeance qu’il s’agit littéralement de faire enrager, de façon à la contraindre, par le désespoir ou la honte, à renoncer à sa provocante ferraille.

Au début, on se bornera à provoquer des embouteillages en détraquant systématiquement la signalisation. (En bloquant les feux rouges, par exemple ou encore en faussant les plaques indicatrices: le sens interdit à chaque extrémité de la rue, le sens giratoire multiplié de telle manière que les véhicules soient entraînés dans des remous concentriques avant qu’ils ne puissent réaliser ce qui leur arrive). Une simple interruption du trafic, si elle se prolonge au-delà de quelques minutes, suffit aujourd’hui à paralyser pour des heures la circulation, chaque colonne immobilisée de voitures entravant le trafic latéral et, par ricochet, celui de la ville toute entière. Il conviendra donc d’étudier et de dresser les plans d’une stratégie générale portant sur les fréquences et les densités de la circulation pour l’ensemble de la ville donnée.

Voilà de quoi occuper louablement la jeunesse, cette jeunesse qui ne saurait être assez délinquante. Les enfants, eux non plus, ne sont pas à négliger. Les poètes de 7 ans, méprisant les conférences de presse et les cocktails littéraires, favorisés par leur taille menue, ne manqueront pas de remettre en honneur le morceau de sucre, plus maniable et non moins efficace que la dynamite, et que d’ume main discrète ils glisseront adroitement dans les réservoirs. A ce propos, une propagande sournoise pourra être faite chez les distributeurs d’essence, qui ne négligeraient pas, afin de parfaire le « plein », d’ajouter cette pièce décisive avant de revisser le bouchon. De chacun on attendra en outre qu’il ne sorte plus sans avoir les poches remplies de clous que, sans être vu, il saura semer sur les chaussées, aux bons endroits, comme on fait de l’huile pour apaiser la fureur des flots. Qui préfère crever directement les pneus s’armera d’un canif. Qui préfère détériorer les carrosseries (il faut songer aux côtés esthétiques de la passion que nous entreprenons de combattre), emportera avec lui les outils appropriés. Des farces dites idiotes pourront également être expérimentées, comme par exemple d’enchaîner l’une à l’autre, le soir, deux voitures en stationnement, ou même une demi-douzaine si la chaîne est assez longue et le cadenas qui doit assujettir les extrémités, solide et d’un modèle peu commun. Enfin pour celui que le manque de loisirs ou la crainte réduirait aux simples fonctions de spectateur, il ne résistera point au devoir, lorsqu’un automobiliste l’interrogera sur le chemin à suivre pour gagner tel ou tel endroit, de lui en indiquer un tout opposé, judicieusement choisi cependant, de manière à entraîner sa victime dans des rues notoirement encombrées.

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La propagande pour l’assainissement se développant, l’organisation occulte qui la dirige trouvera maintes occasions de recruter quelque allié au sein même de la gent automobile, au point de susciter dans ses rangs quelques conversions éclatantes. Qu’on ne néglige pas alors de tirer de ces illuminés le meilleur parti. On les maintiendra à leur volant avec la mission de déconcerter « de l’intérieur » le trafic routier, de façon à circonvenir l’ennemi sur deux fronts à la fois.

Marcel Marien – des Bâtons dans les Roues – 1956

Un commentaire sur “Des Bâtons dans les Roues – 1956

  1. feenix

    super texte !!!
    j’ai toujours été contre la bagnole et n’en ai jamais eu…. jusqu’à peu…. il y a un mois, étant un tantinet déprimée, je me suis achetée, sans nécessité, une petite voiture…. (hum… honte à moi !)
    La voiture signe mon mal être. J’en déduis donc, en toute bonne logique, que la bagnole est un reflet général du mal être de toute une société, qui n’a plus les repères nécessaires, hormis ces panneaux de signalisation qui encombrent l’espace, qui ne porte plus de vraies et saines valeurs (ex en vrac : le partage de l’espace, le gout du beau, le plaisir de la marche et de la rêverie, etc)… la voiture vous estampille « bon pour la vie en société » « normal »… vous rejoignez le troupeau qui klaxonne, tout va bien, on ne vous regarde plus comme un paria, un décroissant qui voudrait revenir à la bougie, ou pire comme un pauvre !!!….
    mais je suis bien punie, ma voiture ne m’apporte aucun plaisir, que des ennuis (le sort s’acharne sur moi) donc je pense la revendre bientot…. à perte, tant pis… je continue pour l’instant l’expérience… peut-être vais-je tenir un journal de bord….
    En tout cas vu le nombre d’hérissons écrasés qui jalonnent les routes de campagne, j’affirme : la voiture est une vraie saloperie….

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