On débat ici souvent des méthodes les plus efficaces ou les plus pertinentes pour lutter contre l’aberration du système automobile. Faut-il d’abord promouvoir les modes alternatifs, taxer toujours plus les automobilistes ou prôner l’interdiction pure et simple de la voiture dans certaines zones ou même partout? Je voudrais soumettre aujourd’hui à votre analyse une autre approche, que l’on pourrait appeler la théorie de l’emmerdement maximal.
Il n’y a pas 36.000 méthodes pour réduire l’automobilité de notre société. En fait, on peut distinguer traditionnellement trois grands types d’approches, la théorie de l’offre alternative, la théorie de l’internalisation des externalités négatives et la théorie de l’interdiction réglementaire.
– La théorie de l’offre alternative
Selon cette théorie, il ne faut pas chercher à culpabiliser ou à pénaliser trop les automobilistes, ce qui serait contre-productif. Il faudrait plutôt privilégier toutes les alternatives à l’automobile en pariant sur le fait que le développement de l’offre alternative amènera à long terme un report modal de la voiture vers les autres modes de déplacement. Dit autrement, en développant les aménagements cyclables et piétonniers et surtout les transports collectifs, on les rendrait attrayants ou concurrentiels par rapport à l’automobile, ce qui amènerait les automobilistes à abandonner progressivement leur voiture.
Cette théorie a l’immense mérite (pour ses partisans) de ne pas affronter brutalement l’automobilisation des esprits et des comportements. Elle joue la carte de la rationalité supposée des comportements: si l’automobile devient moins efficace qu’un autre mode de déplacement, l’automobiliste devra rationnellement changer de mode de déplacement. Sauf qu’en matière de mobilité comme dans bien d’autres domaines, les comportements sont loin d’être rationnels. Et beaucoup d’automobilistes préfèreront rester coincés dans les embouteillages au lieu de prendre les transports en commun, le vélo ou un autre mode de déplacement.
En outre, cette théorie a deux inconvénients majeurs: elle coûte très cher et elle est globalement inefficace.
Elle coûte très cher car elle suppose une fuite en avant vers toujours plus d’aménagements alternatifs: plus de transports en commun, plus d’aménagements cyclables, plus d’espaces piétonniers, etc. Même si l’ensemble du budget consacré tous les ans aux modes alternatifs à l’automobile ne représente qu’une faible partie de l’ensemble du budget consacré au système automobile, il n’en demeure pas moins que cette théorie, prise pour ce qu’elle est, à savoir développer l’offre alternative sans poser directement la question de l’automobilité, a un coût élevé pour la société.
Elle est globalement inefficace pour plusieurs raisons. Tout d’abord, pour la raison évoquée plus haut, à savoir le manque de rationalité des comportements en matière de mobilité. A titre d’exemple, le développement des tramways en France depuis les années 80 a pu montrer que le report modal de la voiture vers le tramway n’allait pas de soi. Ce n’est pas parce que vous créez une infrastructure lourde de transport collectif comme le tramway, qui peut pourtant être rapide, pratique et efficace, que tous les automobilistes vont de suite abandonner leur voiture pour se mettre au tramway… L’expérience montre que les meilleurs reports modaux de la voiture vers le tramway ont été obtenus dans les villes où le développement du tramway s’est accompagné d’une politique de réduction de l’espace affecté à l’automobile. Autrement dit, quand vous créez une ligne de tramway, il faut dans le même temps agir sur la troisième approche, celle de l’interdiction de l’automobile, en réduisant le nombre de voies affectées à la circulation automobile ou même en les supprimant sur certains axes.
Egalement, la théorie des modes alternatifs est globalement inefficace car elle suppose, en pure perte, que l’ensemble des modes alternatifs à l’automobile pourrait amener à remplacer l’automobile dans n’importe quelle situation. Cette supposition est non seulement fausse d’un strict point de vue technique (aucun mode de déplacement ne pourra apporter ce qu’apporte l’automobile en matière de porte-à-porte), mais elle relève de plus d’une certaine forme d’automobilisation des esprits: il faudrait que les modes alternatifs soient aussi compétitifs que l’automobile pour arriver à renverser la vapeur de la mobilité (c’est-à-dire diminuer l’automobilité). C’est non seulement techniquement impossible, y compris en investissant des milliards dans les infrastructures alternatives, mais aussi complétement inadapté, car la question n’est pas de fournir aux gens autant de mobilité alternative que l’automobile le permet, mais de poser la question du sens donné à une mobilité facilitée par la généralisation de l’automobile individuelle.
Autrement dit, la théorie des modes alternatifs ne questionne pas l’agencement des territoires et des réseaux qui s’est opéré depuis maintenant plus de 50 ans en fonction de la généralisation de l’automobile.
Par contre, cette théorie a l’avantage indirect de participer à l’interdiction progressive de l’automobile dans certains secteurs: création d’espaces piétonniers interdits aux voitures, suppression de voies de circulation automobile, diminution de la largeur des voies de circulation, etc. Même si ce n’est pas son objectif premier, bien au contraire, la théorie de l’offre alternative participe à l’accomplissement progressif de la théorie de l’interdiction.
– La théorie de l’internalisation des externalités négatives
Derrière ce nom barbare se cache la théorie plus généralement connue sous le nom de taxe pigouvienne ou taxation environnementale. Cette théorie, dont découle le principe pollueur-payeur, est la solution capitaliste aux problèmes posés par l’automobilité. Autrement dit, l’automobile génère des externalités négatives, c’est-à-dire des conséquences négatives (pollution, bruit, santé, dégradations, gaspillage, etc.) dont le coût n’est pas a priori supporté directement par les automobilistes. C’est pourquoi on parle « d’externalités »… Le but de l’internalisation de ces externalités négatives est de faire payer aux automobilistes ces conséquences négatives.
Dès lors, cette théorie va générer une politique de taxation de ces externalités, dont la plus connue est sans doute celle relative au carbone. Si les automobilistes émettent massivement du CO2 dans l’atmosphère, ils devraient payer pour cette externalité sous forme d’une taxe. On a vu les péripéties relatives à la taxe carbone en France en 2008 et la difficulté à mettre en œuvre un tel mécanisme. On peut voir par ailleurs, à l’échelle des industriels, la mise en place d’un marché du carbone, qui devrait être une application de cette théorie.
Le problème fondamental de cette théorie tient dans le fait qu’elle consacre trois renoncements majeurs en terme moral.
Tout d’abord, premier renoncement moral, elle suppose qu’il est possible d’accorder un prix, à savoir une valeur d’usage ou une valeur de destruction, à tout ce qui compose notre monde (êtres vivants, ressources, etc.). Or, avec la taxe carbone ou le marché carbone par exemple, on voit l’extrême difficulté pratique et morale à donner une valeur économique à des phénomènes comme la destruction du climat, le réchauffement climatique, les catastrophes climatiques, l’augmentation de la famine dans le monde, les morts liés aux changements climatiques, etc.
En outre, second renoncement moral, cette théorie présuppose intrinsèquement que la pollution et la destruction sont des droits que l’on peut exercer sous réserve d’en payer l’usage. Autrement dit, si la taxation pigouvienne de l’automobile rend celle-ci de moins en moins accessible aux plus pauvres, il y aura toujours des riches qui consentiront à payer pour maintenir leur usage de l’automobile, quand bien même cet usage est polluant et destructeur.
Enfin, troisième renoncement moral et sans doute le comble de l’inanité fondamentale de cette théorie, la mise en place de marchés des droits à polluer qui devaient être la réponse capitaliste à la pollution et à la destruction croissante de l’environnement aboutit à des phénomènes typiquement capitalistes de spéculation ou de magouilles sur les marchés qui, au lieu de consacrer le principe pollueur-payeur, aboutissent au bout du compte au principe pollueur-payé!
– La théorie de l’interdiction réglementaire
C’est sans doute à la fois la théorie la plus simple, dans son concept, et la plus délicate à mettre en œuvre dans ses modalités d’application et dans le choix de sa portée. Si l’interdiction de la voiture est limitée (à quelques quartiers, à quelques rues), elle se heurte par principe à un fort mécontentement des commerçants, des associations d’automobilistes et souvent des automobilistes eux-mêmes. Malgré tout, l’interdiction peut parfois réussir, on l’a vu dans le cadre de la théorie de l’offre alternative, en complément d’autres mesures comme par exemple la mise en place d’un tramway ou l’essor des rues piétonnes. Toujours est-il que cette interdiction limitée de l’automobile est souvent cantonnée à quelques espaces très particuliers (hyper centre) dans des configurations qui actent plus des situations pré-existantes qu’en véritable rupture avec les situations antérieures. En outre, ces interdictions restent souvent partielles et soumises à de nombreuses exemptions (riverains, livraisons, etc.).
Si l’interdiction proposée est totale, on entre alors dans le domaine de l’utopie: qui propose une interdiction générale de la voiture? En fait, quasiment personne à part nous, quand bien même il s’agit probablement de la solution la plus « raisonnable » d’un point de vue environnemental, climatique, social et de santé publique.
« La bagnole est tellement devenue le réel que sa critique sera perçue comme une tentative « extrémiste », « non-réaliste », relevant même d’une maladie mentale, « l’autophobie », pour nier l’ordre absolu et nécessaire des choses et des gens. Comment être contre la bagnole? De nombreuses personnes s’étonnent avec dans la voix un accent de détresse (pour nous ou pour eux?) et un accent de révolte. Nous dirions: « nous sommes contre le ciel bleu » que la réaction ne serait pas plus forte ».
Contre la bagnole, « Regroupement d’opposants à la bagnole », 1987.
Ce qui n’est pas « raisonnable », c’est de penser qu’on pourra résoudre les problèmes posés par la généralisation de l’automobile soit en développant uniquement les alternatives à l’automobile soit en taxant les automobilistes.
Par contre, si l’interdiction générale de la voiture est sans doute l’option la plus « raisonnable », elle se heurte de manière frontale aux fondements mêmes de notre société de « pétainistes à roulettes« , pour reprendre l’expression du philosophe et mathématicien Gilles Châtelet:
« L’automobile, c’est d’abord le travail, la famille et la bêtise montés sur pneus ».
Gilles Châtelet, Vivre et penser comme des porcs, Editions Folio actuel/Gallimard 1998
Et pourtant, interdire la voiture, du moins en ville et dans tous les secteurs couverts par un Périmètre de Transports Urbains (PTU), ne relève pas d’une lubie d’écologistes anti-voitures. Pour preuve, dès 1991, la Communauté économique européenne (CEE) publiait un rapport intitulé « Proposition de recherche pour une ville sans voiture », rapport vite oublié qui concluait:
« Des villes sans voitures, urbanistiquement conçues d’après le modèle qui se dégage du Livre vert et dotées d’un nouveau système de transport expressément pensé pour elles, sont non seulement plus vivables à tous égards (tant socialement qu’écologiquement), plus accessibles et traversables en peu de temps, mais elles pourraient être réalisées au prix d’investissements en mobilité nettement moindres que ceux d’aujourd’hui, avec un système de transport moins coûteux à gérer, des économies d’énergie significatives, un plaisir visuel amélioré et une restitution, à chacun de ses habitants, d’une part importante de son temps ».
Tecnoser, Proposition de recherche pour une ville sans voiture, Roma, Ing. Fabio Maria Ciuffini (Coordonnateur), Ing. Francesca Ciuffini, Arch. Aldo Tarquini, 10/12/1991
Le seul véritable problème de la théorie de l’interdiction (totale) de l’automobile, c’est donc son faible degré d’acceptation sociale. C’est pourquoi, le plus « raisonnable » est sans doute de croiser les approches: un peu d’offre alternative, un peu de taxation, un peu d’interdiction.
Et c’est ce qui est opéré avec un succès tout relatif depuis maintenant quelques années, à savoir depuis le moment où il apparaît assez clairement que l’automobilisation totale de notre société n’est ni viable ni souhaitable.
Sauf que notre société est dans son ensemble victime du syndrome de la grenouille plongée dans une casserole d’eau froide que l’on chauffe progressivement, et qui n’aura plus la force de sauter hors de la casserole quand l’eau sera devenue bouillante. Quand l’eau commence à chauffer un peu trop, la grenouille tente de s’adapter à la nouvelle situation sans percevoir que cette adaptation sera la condition sine qua non de sa cuisson définitive!
C’est pourquoi, le croisement des approches destinées à limiter l’automobilité est condamné à échouer dans la mesure où il se cantonne à une « mesure d’adaptation » à l’automobilisation.
– La théorie de l’emmerdement maximal
Selon cette théorie, la question n’est ni de développer des alternatives à l’automobile, ni de taxer spécifiquement certaines catégories d’automobilistes au bénéfice d’autres, mais de rendre insupportable la condition même d’automobiliste. En rendant la condition d’automobiliste insupportable, quel que soit l’automobiliste, on s’assure de l’abandon progressif de l’usage de l’automobile.
La théorie de l’emmerdement maximal a en outre un père fondateur, en la personne de Marcel Mariën, qui dès 1956 théorisait les méthodes permettant de faire « enrager l’automobiliste » pour l’amener à renoncer à sa « provocante ferraille »:
« Les adversaires déclarés d’un progrès absurde et moribond, de toute évidence dépassé, sans attendre le nettoyage politique et moral de la société, se constitueront en fractions occultes et agissantes, et entameront dès à présent une lutte sans merci contre l’automobile. On mobilisera comme on peut, pour cette mission civilisatrice la canaille des bas-fonds, les désœuvrés de toutes catégories (philatélistes, souteneurs, terrassiers, etc.), les enfants des écoles et les vieillards des hospices. Nous laissons aux exécutants le soin de nuancer, de varier au gré des circonstances les moyens qui répondent le mieux à cet impératif: rendre toujours plus intolérable la fonction d’automobiliste, engeance qu’il s’agit littéralement de faire enrager, de façon à la contraindre, par le désespoir ou la honte, à renoncer à sa provocante ferraille ».
Marcel Mariën, des Bâtons dans les Roues, 1956.
in Noël Gaudin, Anthologie de la subversion carabinée
Dans ces conditions, comment rendre la condition d’automobiliste insupportable? C’est sans doute là le génie d’une telle théorie, à savoir qu’il n’y a pas de limites aux capacités humaines quand il s’agit d’emmerder son prochain, tout particulièrement quand il s’agit d’un automobiliste. Mis à part les clous pour crever les pneus ou le sucre dans le réservoir des voitures, Marcel Mariën proposait aussi des méthodes tout à fait légales comme par exemple répondre « lorsqu’un automobiliste vous interroge sur le chemin à suivre pour gagner tel ou tel endroit, en lui indiquant un tout opposé, judicieusement choisi cependant, de manière à entraîner sa victime dans des rues notoirement encombrées« .
Au-delà de la boutade, il y a mille actions permettant de faire enrager les automobilistes jusqu’à les dégouter définitivement de l’automobile. Une seule règle doit cependant être suivie pour s’assurer que la méthode utilisée réponde bien à la théorie de l’emmerdement maximal: la nécessité d’emmerder tous les automobilistes sans distinction de modèle de voiture, de puissance fiscale ou de couleur de carrosserie!
Pour parvenir à faire enrager cette engeance automobile, on peut s’appuyer sur toutes les actions brimant la « liberté de circuler » des voitures. En cela, la théorie de l’emmerdement maximal constitue un syncrétisme, elle s’appuie sur tout le corpus des trois méthodes précédentes, mais en retenant seulement les approches qui font réellement enrager les automobilistes.
Ainsi, pour ce qui relève de la théorie de l’offre alternative, l’objectif est moins d’obtenir des espaces réservés par exemple aux piétons ou aux vélos que d’obtenir des espaces débarrassés des voitures. Si la méthode peut paraît semblable (mettre en place des espaces piétonniers ou des pistes cyclables par exemple), l’objectif final est radicalement différent.
Car la lutte contre l’automobilisation de notre société est avant tout une guerre de tranchées, chaque m² gagné sur l’espace automobile nous rapproche de la victoire. En cela, la théorie de l’emmerdement maximal est avant tout une théorie spatiale visant le contrôle d’un maximum d’espace au détriment de l’automobile.
Ensuite, dans le cadre de la théorie de l’internalisation des externalités négatives, toute taxation généralisée est bonne à prendre, sous réserve qu’elle ne pénalise pas seulement certaines catégories d’automobilistes au bénéfice d’autres sensés être « respectueux de l’environnement ». A ce titre, les exemples récents concernant les péages urbains ou les Zones d’Action Prioritaire pour l’Air (ZAPA) ne participent pas de l’emmerdement général, mais d’une idéologie destinée à faire peser sur les plus pauvres le coût de la destruction de l’environnement causée principalement par les plus riches.
Autre exemple caricatural, le système de bonus-malus mis en place par Feu Jean-Louis Borloo et qui consiste quand même à donner de l’argent à certains automobilistes sous le prétexte fallacieux qu’ils rouleraient avec des voitures qui polluent un peu moins que la moyenne!
Également, dans le cadre de la théorie de l’emmerdement maximal, il ne sert strictement à rien de pénaliser ou stigmatiser spécifiquement les conducteurs de 4×4. C’est d’une part méconnaitre le fait que la plupart des 4×4 ne consomment et ne polluent pas vraiment beaucoup plus que la plupart des grosses berlines actuellement en circulation et, d’autre part, déculpabiliser l’immense majorité des automobilistes qui voient là un satisfecit accordé à leur propre pratique « raisonnable » de l’automobile. Sauf que dans le détail, on rencontre très fréquemment des conducteurs de 4×4 qui roulent moins de 5.000 km par an et des conducteurs « raisonnables » qui roulent eux plus de 15.000 km par an avec leur « petite voiture respectueuse de l’environnement » et avec un bilan global en matière de consommation et d’émissions de polluants (dont le CO2) bien plus mauvais que le conducteur de 4×4…
Véritablement, la meilleure taxation qui soit reste la Taxe Intérieure sur les Produits Pétroliers (TIPP), calée sur l’usage qui est fait de l’automobile. Et, à terme, c’est l’augmentation des prix du pétrole et donc des carburants qui constituera sans doute la meilleure taxe environnementale.
Mais le prix du stationnement (et des amendes) ainsi que la diminution du nombre de places de stationnement automobile constituent également deux objectifs majeurs dans le cadre de notre théorie, les difficultés de stationnement au sens large participant pleinement à l’écœurement général des automobilistes.
Enfin, en matière de taxation automobile, un seul objectif doit guider notre action, à savoir parvenir à faire essaimer dans les conversations de tous les bistrots de France la célèbre phrase, bien que foncièrement fausse, mais particulièrement douce à nos oreilles: « L’automobiliste est vraiment la vache à lait de l’Etat« . De manière générale, quand cette phrase est prononcée, on peut être sûr que la théorie de l’emmerdement maximal vient de sévir quelque part.
Du côté de la théorie de l’interdiction, de nombreux éléments positifs participent de l’exaspération générale de l’automobiliste moyen: développement des surfaces piétonnes, suppression de voies de circulation dans le cadre de la mise en place de Transports Collectifs en Site Propre (TCSP), quartiers sans voitures, etc. Encore faut-il que ces projets soient portés par les associations locales et les citoyens!
Pour le reste, l’objectif final d’une société sans voitures doit plus que jamais continuer à être porté, car il se présente comme un mouchoir rouge agité face au pare-brise des automobilistes. D’une part, il permet de rappeler aux automobilistes que de simples interdictions partielles de l’automobile restent au bout du compte peu de chose face à l’hypothèse de l’interdiction généralisée de l’automobile, ce qui augmente donc leur acceptabilité sociale.
D’autre part, au regard de la théorie du tape-cul mise en place par Randall Ghent, il importe de garder toujours à l’esprit un objectif radical qui ne se résume pas à une position moyenne (développer les alternatives à l’automobile ou la taxation environnementale par exemple), position moyenne qui se trouve en fait très proche des positions déjà presque entièrement partagées par le gouvernement, le grand public et parfois même les industriels:
« Si notre mouvement se montre aussi (peu) radical que les bureaucrates de l’union européenne, alors quel effet propre pouvons-nous avoir sur l’opinion publique? Et si la réponse est “aucun”, alors pourquoi continuer dans cette direction? Réponse: ça ne sert à rien. Notre rôle en tant que mouvement est d’attirer l’attention du public vers des réformes plus radicales que ce qu’ose le gouvernement. Nous obtiendrons toujours moins que ce que nous demandons, et nous devons donc prendre la position la plus radicale dans le raisonnable: “soyons réalistes, demandons l’impossible” et laissons les politiciens faire des compromis ».
Et Randall Ghent enfonce le clou (dans le pneu):
« Plutôt que de se focaliser sur la réduction de l’usage de la voiture dans les centre-villes, et d’autres réformes que le public approuve déjà (en théorie), nous devons aider tout le mouvement et nos alliés à travailler sur d’autres aspects pour attirer l’attention du public sur les possibilités de changements plus fondamentaux« .
L’équilibre de Randy, Randall Ghent, fondateur de la revue Carbusters (”Les pèteurs de bagnoles”)
Et ces changements plus fondamentaux ne peuvent être qu’une théorie générale de l’emmerdement maximal! Il faut désormais effectuer un saut qualitatif et passer à la généralisation du harcèlement automobilistique, en allant au-delà des méthodes habituellement employées.
C’est pourquoi, la théorie de l’emmerdement maximal ne se cantonne pas à fusionner les trois grandes théories habituellement utilisées pour lutter contre l’automobile. Elle reprend à son compte les méthodes provenant d’autres champs pour parvenir à son objectif final.
Ainsi, de nombreuses mesures relevant de la sécurité routière par exemple participent indirectement de la théorie de l’emmerdement maximal: le développement des radars en ville et sur les routes, le développement des zones 20, des zones 30, l’avènement de la ville 30, ou même la suppression des panneaux de circulation telle que préconisée par l’ingénieur hollandais Hans Monderman, suppression qui aboutit à une perte totale de repères pour les automobilistes, et donc à une augmentation de l’attention, une diminution de la vitesse et des accidents de la route.
Déjà, la vitesse moyenne de l’automobile ne dépasse pas 15 ou 16 km/heure dans les agglomérations françaises, soit environ la vitesse d’un vélo. Tout ce qui participe à la diminution de la vitesse est bon à prendre. En particulier, si on fait passer la vitesse autorisée en ville à 30 km/heure au lieu de 50 km/heure, il faudra alors abaisser la vitesse autorisée par exemple à 15 km/heure aux abords des écoles!
Mais la diminution de la vitesse peut aussi être obtenue par le biais d’embouteillages planifiés organisés dans le seul but de… développer les embouteillages! Et bien sûr, les masses critiques de cyclistes et les vélorutions participent également de l’emmerdement général des automobilistes. Mais, au lieu de les organiser une fois par mois, ne faudrait-il pas les planifier au moins une fois par semaine et, pourquoi pas, tous les soirs à la sortie du boulot?
On le voit, les mesures relevant de la théorie générale de l’emmerdement maximal sont quasiment infinies et ne se cantonnent pas à des mesures spécifiques destinées à diminuer l’automobilité. Presque toutes les mesures ayant un impact probable sur la répartition de l’espace, la régulation des trafics, la sécurité routière, la vitesse, le coût de l’automobile, etc. peuvent devenir des outils participant à la théorie de l’emmerdement maximal.
A nous de nous saisir de tous ces outils et d’en inventer d’autres pour faire enrager les automobilistes « de façon à les contraindre, par le désespoir ou la honte, à renoncer à leur provocante ferraille ».