« Chez Volkswagen ça marche comme sous le 3e Reich »

Aux origines totalitaires du Big Business automobile (4e partie)

En débutant cette série sur les origines totalitaires du Big Business automobile, nous n’avions pas prévu que l’actualité allait nous prendre de vitesse et soudain abonder dans le sens de nos recherches. L’importance de la manne publicitaire automobile abreuvant l’ensemble de la presse pouvait laisser croire à une certaine discrétion ou retenue dans le propos des journalistes. Les révélations concernant le constructeur allemand se devaient d’être mesurées et en proportion inverse de sa générosité publicitaire. Mais ce fut exactement le contraire qui s’est passé.

A l’occasion du « scandale Volkswagen, » il y a eu un grand déballage médiatique sur les méthodes managériales délétères de la firme. Les langues se sont déliées pour expliquer l’incompréhensible et, pour être à la hauteur de la réalité de terreur dominant les relations humaines au sein de l’entreprise le vocabulaire a dû puiser, comme par hasard, dans le registre du totalitarisme… Notre démarche historique laborieuse dans ce sens se retrouvait ainsi submergée par le tsunami des révélations librement commentées dans les médias… Nous n’en demandions pas tant. Après avoir exposé le cas Renault, laissons les journalistes présenter celui de Volkswagen. Les coups sont directement portés à la « kommandantur. »

Le Monde: « Chez VW, ça marche comme en Corée du Nord »

La presse française s’est fait l’écho de l’expression de la souffrance et de la peur touchant même les strates supérieures des salariés de la firme. Inutile de caricaturer, laissons « un très bon connaisseur du groupe » présenter la culture de management en vigueur au sein de Volkswagen. « La peur est érigée en mode de direction et où exprimer la moindre objection peut signer la fin de la carrière d’un cadre expérimenté. »

« Volkswagen est une entreprise dirigée comme une monarchie absolue, où ce qui n’est pas autorisé ne peut pas arriver. » « On donne des instructions sur les objectifs à atteindre, et personne n’ose dire que cela n’est tout simplement pas possible, pas faisable techniquement. Parce que si quelqu’un dit cela, il peut se chercher un nouvel emploi! » « Le haut management n’avait même pas besoin de savoir qu’un logiciel avait été installé, ils n’ont peut-être rien su effectivement ou n’ont pas voulu le savoir, mais ils ont certainement contribué à faire en sorte que certains ne trouvent pas d’autre issue que de faire cela, » poursuit l’expert. « C’est bien simple: Martin Winterkorn [PDG] ne tolérait aucune discussion ou critique. Cela vaut pour toute la vieille garde du haut management. Si vous comparez avec d’autres entreprises, même du secteur automobile, et que vous observez la façon non prétentieuse et ouverte avec laquelle on y dirige, vous constatez que VW, avec ses chefs inaccessibles, est un cas extrême, » tranche-t-il. « Chez VW, ça marche comme en Corée du Nord, les camps de travail en moins, » dit une célèbre boutade du Spiegel. (1, 2)

Précisons quand-même à propos d’ambiance pénitentiaire que les pensionnaires des camps de déportés en Allemagne nazie durant la Guerre ont largement contribué par leur travail forcé à la montée en puissance des firmes automobiles non seulement allemandes mais aussi américaines. Comme le rappelle l’historien Jacques Pauwels, dans « Big Business avec Hitler, » Volkswagen, Ford et General Motors furent de grands bénéficiaires du travail des morituri condamnés par le régime.

Ce passif allemand ne semble pas faire parti de la culture du Spiegel. Mais l’on peut comprendre la délicatesse amnésique de la boutade de ce titre de presse avec sa référence à un lointain despotisme asiatique. Cependant, en matière d’industrie automobile, de morituri et de totalitarisme, ne faut-il pas rendre à César ce qui appartient à César et à l’Europe occidentale ce qui relève de l’héritage nazi? Plutôt que de parler de Corée du Nord, il serait plus juste de dire que « chez VW ça marche comme sous le 3e Reich. »

Le Monde Diplomatique: « Stakhanov chez Volkswagen »

La masse d’informations et d’accusations du déballage public n’a pas échappé au Monde Diplomatique. Dans un éditorial décembre 2015, Pierre Rimbert opère le travail d’introspection et de relocalisation géographique du problème à l’univers industriel européen. L’occasion lui fut offerte par la présentation quasi concomitante d’un documentaire télé de France 2 sur l’URSS: « Apocalypse: Staline. » Cet éclairage télévisuel sur-mesure pour l’éducation sentimentale des classes moyennes occidentales avec tous les commentaires entendus sur le régime soviétique et son dictateur lui a rendu la tâche facile. Il était donc possible de faire le parallèle avec ceux désormais disponibles dans la presse sur le système VW après le scandale.

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Commentaires dans le documentaire télé: « L’industrie soviétique entre dans l’ère du mensonge. Affolés par les terreurs, ouvriers et directeurs d’usine, menacés s’ils ne remplissent pas les quotas, mentent sur tout… » Le spectateur comprend qu’une telle organisation, fondée sur la falsification et l’effroi ne saurait prospérer ailleurs que dans les régimes communistes, en tout cas pas en Europe occidentale… Du moins jusqu’à ce qu’un hasard de calendrier produise, une semaine plus tard, un étonnant télescopage.

Mise en parallèle avec les révélations actuelles: « VW, la culture de la peur au cœur du scandale, » « Au sein du groupe, les témoignages se multiplient; face à des objectifs irréalisables, les ingénieurs préféraient tricher qu’affronter la colère du patron, » « VW était (sic) dirigé comme une monarchie absolue, où ce qui n’est pas autorisé ne peut pas arriver. On donne des instructions sur des objectifs, et personne n’ose dire que ce n’est tout simplement pas possible, pas faisable techniquement. » « Les porteurs de mauvaises nouvelles sont guillotinés, même s’ils ne sont pas responsables. »

Bien évidemment, le grand constructeur allemand d’aujourd’hui avec son glorieux passé, n’a pas eu besoin de prendre exemple sur la Russie soviétique des années 1930 et encore moins sur la Corée du Nord.

Mais pour l’Europe dans son ensemble, il y a plus grave encore. Le monde du mensonge par le déni de réalité face à la crise environnementale et sanitaire n’est pas confiné à la firme automobile germanique. L’éditorial du Monde Diplomatique nous révèle encore qu’il concerne l’institution européenne elle-même par le même mécanisme de censure arbitraire. L’Europe (des eurocrates) « n’échappe pas à la manie du déni bureaucratique consistant à supprimer les problèmes qu’on ne souhaite pas résoudre. » « L’union européenne devait imposer en 2017 des tests de pollution automobile sur route plutôt qu’en laboratoire. Problème: aucun moteur diesel ne les aurait passés (…) »

Les Eurocrates décidèrent donc en toute logique servile envers les constructeurs de « relever le seuil d’émission des oxydes d’azote de… 110%. » Il n’est cependant pas certain que cette mesure libérale, en transformant l’Europe en une sorte de vaste chambre à gaz de basse intensité puisse permettre de démocratiser la culture d’entreprise régnant chez Volkswagen et les autres constructeurs automobiles. Un chroniqueur du Financial Times, apparemment conscient du risque mortifère de la pollution automobile se permit ce commentaire désabusé: « on peut ainsi interpréter cette réglementation technique de l’Union [européenne] comme la décision de tuer plusieurs milliers de personne. »

Même s’il se trompe un peu sur l’ordre de grandeur en minorant le nombre des victimes potentielles, on peut à notre tour nous poser la question de savoir: quelle type de culture règne au sein de la commission européenne puisque le problème d’empoisonnement de masse se pose depuis un demi-siècle avec les pesticides et se confirme à nouveau avec l’inaction fautive de l’institution envers les perturbateurs endocriniens?

Pour sa part, l’éditorialiste du Monde Diplomatique suggère une réponse en proposant le titre d’un futur documentaire « Apocalypse: Bruxelles… »

JMS
Janvier 2016

(1) LE MONDE ÉCONOMIE | 07.10.2015 | Par Cécile Boutelet (Berlin, correspondance) « Chez Volkswagen, ça marche comme en Corée du Nord »
(2) Le Monde | 09.11.2015 | Par Cécile Boutelet (Berlin, correspondance) « La culture de la peur à l’origine du scandale Volkswagen »
(3) Le Monde Diplomatique, décembre 2015 Pierre Rimbert « Stakhanov chez Volkswagen »