Les « innovations » d’Elon Musk ne sont pas l’avenir – elles le retardent

Les PDG de la Silicon Valley ne manquent pas de grandes idées dans le domaine du transport. Dans leur vision du futur, nous utiliserons des voitures autonomes pour parcourir de courtes distances – nous pourrions même nous déplacer en voiture dans un réseau de tunnels souterrains soi-disant plus rapides – et pour les déplacements interurbains, nous nous enfermerons dans des tubes sous vide qui nous mèneront à destination à la vitesse de 1 200 km à l’heure.

Cependant, ces fantasmes de riches PDG de la technologie ne sont que cela: des fantasmes. Aucune de ces technologies ne se concrétisera comme elles le promettent – si jamais elles deviennent une réalité. La vérité, c’est que les technologies dont nous avons besoin pour transformer nos réseaux de transport existent déjà, mais les gens sont restés longtemps bloqués par un système auto-dépendant daté alors que la technologie du présent – sans même parler du futur – est refusée par les politiciens à la solde du lobby des combustibles fossiles et accros à l’idéologie néfaste du « libre marché », selon laquelle ils croiront n’importe quel charlatan – ou riche entrepreneur – qui vient avec une solution.

Et, de tous, Elon Musk est le pire.

Le culte imparfait du Musk

Pour une grande partie de la presse technique, chaque parole d’Elon Musk est un évangile. En plus des comparaisons fréquentes (positives) avec Steve Jobs, il y a l’idée que simplement parce que Musk a bâti des entreprises prospères, il doit être infaillible; s’il prétend connaître la solution à la crise du transport à laquelle nous sommes confrontés, il doit avoir raison. Après tout, c’est un riche entrepreneur, et s’il y a quelque chose que les deux dernières décennies du discours politique nous ont appris, c’est que vous devez toujours faire confiance à l’entrepreneur.

Mais la réalité est que les idées de Musk sur le transport au mieux ne tiennent pas debout ou, au pire, sont conçues pour retarder la construction d’infrastructures de transport qui pourraient entraîner nos sociétés dans le XXIe siècle.

Est-ce que cela signifie que tout ce que Musk touche est problématique? Pas nécessairement. Il mérite sans aucun doute d’être félicité pour avoir rehaussé le profil des véhicules électriques et contribué à pousser l’industrie dans cette direction, mais en ce qui concerne le transport, c’est à peu près tout. Sa vision de l’avenir n’est pas émancipatrice, ni même particulièrement innovante; elle est plutôt conservatrice.

L’imagination de Musk peine à s’éloigner en dehors des limites de l’automobile; chacune de ses prétendues solutions a des voitures – Tesla – à sa base. La publicité de SolarCity (société appartenant à Elon Musk) met l’accent sur la vie en banlieue, dépendante de l’automobile; la société Boring Company (appartenant aussi à Elon Musk) est une tentative inefficace et irréalisable de résoudre la congestion routière sans réduire le nombre de voitures; et même sa proposition Hyperloop envisage de faire circuler des voitures encombrantes dans des tubes sous vide.


L’avenir suburbain (et insoutenable) envisagé par Elon Musk

Cela ne devrait pas surprendre, compte-tenu des commentaires récents de Musk selon lesquels le transport en commun est « un casse-tête » où « on se retrouve au milieu d’étrangers dont l’un pourrait être un tueur en série« . Il valorise le transport individuel parce qu’il ne veut pas être avec d’autres personnes – il semble même les craindre, d’après ses commentaires – mais le fait de les enfermer dans son propre véhicule ne fonctionne tout simplement pas dans le monde de plus en plus dense et urbanisé dans lequel nous vivons.

La vérité, c’est qu’au lieu de se moquer de Musk et de ses collègues génies de la technologie, nous devons jeter un regard critique sur leurs propositions pour voir qui en bénéficierait vraiment et comprendre si leurs visions ne font pas abstraction des considérations fondamentales qui sont essentielles pour les rendre viables dans le monde réel. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être trompés par des PDG de sociétés de la high-tech qui placent leurs propres désirs de transport et leur soif de profits avant les besoins du plus grand nombre.

Les solutions techniques de transport ne fonctionnent pas

Les voitures sans conducteur sont l’élément central de la vision de la Silicon Valley en matière de transport et les médias ont largement repris les affirmations des grandes entreprises selon lesquelles elles étaient sur le point de voir le jour, même lorsque des gens comme Musk ont promis qu’elles seraient généralisées dans deux ans, puis, deux ans plus tard, ces mêmes personnes ont de nouveau promis qu’elles seraient là dans deux ans.

La réalité, c’est qu’il n’y aura pas de généralisation de la voiture autonome dans deux ans, du moins pas de voitures sans conducteur qui n’ont pas de volant et qui peuvent parcourir tous les types de routes à travers toutes les conditions météorologiques qu’elles rencontrent. Beaucoup d’entreprises de technologie et d’automobiles avaient des échéanciers semblables à ceux de Musk, et presque toutes ont repoussé leurs projets à 2021 ou plus tard. Et alors que les voitures autonomes faisaient de grands progrès pendant un certain temps, alors qu’elles apprenaient à conduire sur des routes de banlieue larges et vides avec un temps clair et ensoleillé, les données récentes de Waymo – l’un des leaders de l’industrie – montrent que depuis les progrès ont stagné.

Nous verrons davantage de services de taxi sans chauffeur se mettre en place au cours de la prochaine année ou des deux prochaines années, mais il est important de reconnaître que ces véhicules auront des capacités limitées. Cela signifie qu’ils seront limités à opérer dans certaines zones, comme le service de Waymo dans une banlieue de Phoenix, en Arizona, et ils lutteront dans des centres urbains denses avec des rues achalandées et dans des zones avec beaucoup de pluie et de neige qui pourraient obstruer leurs capteurs. Les entreprises qui les mettent dans ces situations, comme Uber et Tesla l’ont fait, pourraient bien avoir des ennuis à mesure que les rapports sur les accidents et les infractions routières continuent de s’accumuler.

Mais si nous mettons tous les gens dans leur propre véhicule, où vont-ils tous aller? Musk veut construire un métro pour voitures pour ceux qui veulent éviter la congestion. Sa rhétorique suggère qu’il serait ouvert à tous, mais la réalité de l’espace limité et des coûts de construction élevés réduirait son utilisation aux riches – ou peut-être à un groupe beaucoup plus restreint, étant donné que le premier tunnel planifié par Musk s’étend commodément de son lieu de travail à son domicile.


Le gigantesque exploit d’ingénierie nécessaire à Musk pour réaliser son rêve d’une automobilité urbaine sans congestion

Musk n’admettra pas que ses tunnels seront exclusifs. Il fait la promotion de l’entreprise Boring Company comme moyen de réduire massivement le coût des forages dans les tunnels, ce qui pourrait même profiter au transport en commun! Mais encore une fois, son affirmation montre son ignorance. Musk dit que son approche va finalement réduire le coût des tunnels, mais les projets de métro à Madrid, Séoul et Stockholm ont déjà atteint des coûts similaires à ceux promis par Musk.

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Une enquête du New York Times sur le coût élevé des projets de métro à New York a révélé que, bien que le coût du métro de la deuxième avenue a coûté 1,5 milliard de dollars par kilomètre, une expansion similaire du métro de Paris est sur la bonne voie pour ne coûter que 280 millions de dollars par kilomètre. De nombreux facteurs entrent en compte dans le coût élevé des projets de transport aux États-Unis que Musk n’aborde pas, soit par ignorance, soit parce qu’il est délibérément trompeur. C’est peut-être le cas avec Hyperloop.

Musk a publié sa proposition Hyperloop en 2013, après que le projet de train à grande vitesse de la Californie ait été approuvé par les électeurs, mais avant le début des travaux de construction. Cela ressemblait à l’avenir: un tube à vide qui vous transporterait entre San Francisco et Los Angeles en une demi-heure et coûterait seulement 6 milliards de dollars – beaucoup moins cher qu’un train à grande vitesse. Quel mal y a-t-il la-dedans? Pas mal de choses.

Non seulement la vitesse proposée serait incroyablement inconfortable, voire nauséabonde, pour les passagers en raison de la force qui s’exercerait sur eux, mais Hyperloop transporterait beaucoup moins de personnes que le train à grande vitesse: 3 360 par sens et par heure, contre 12 000. Les coûts de construction ont également été jugés tout à fait irréalistes, tandis que Musk a carrément menti sur la consommation d’énergie des trains à grande vitesse. Les entreprises qui tentent actuellement de construire Hyperloop ont constaté qu’il coûte beaucoup plus cher que la proposition initiale de Musk: une ligne de 107 milles (172 km) dans la baie coûterait le double de ce que Musk avait prévu pour l’ensemble de la ligne San Francisco-Los Angeles (plus de 600 kilomètres).

Comme dans le cas des tunnels, la ligne à grande vitesse californienne est coûteuse par rapport aux normes internationales. En Chine, ces projets représentent entre 17 et 21 millions de dollars par kilomètre, contre 29 à 39 millions de dollars par kilomètre en Europe; en Californie, ils s’élèvent plutôt à 56 millions de dollars par kilomètre. L’Hyperloop de la région de la baie se situerait dans une fourchette de 52 à 75 millions de dollars par kilomètre. Le coût élevé du train à grande vitesse n’est pas un problème technologique, mais un problème lié à la façon dont les États-Unis abordent les projets d’infrastructure.

Retarder le progrès pour se servir soi-même

Mettre en avant des idées pour retarder le progrès n’a rien de nouveau pour la Silicon Valley, même si ce n’est pas ainsi que les médias le présentent. N’oubliez pas que bon nombre des « innovations » technologiques dépendent du financement public de la recherche, alors que les grandes sociétés de technologie sont des chefs de file mondiaux en matière d’évasion fiscale. Chaque fois qu’il y a un scrutin populaire au sujet du transport en commun, on se sert des véhicules autonomes pour convaincre les électeurs de s’opposer à l’augmentation du financement des autobus et des métros, les présentant comme des technologies du passé – et pourtant, rien n’est plus faux.

Dans notre monde de plus en plus urbanisé, le transport en commun est essentiel à la circulation rapide et efficace d’un grand nombre de personnes. Le transport individualisé favorisé par les technologues n’offrira pas le même niveau d’efficacité parce qu’il n’y a pas de place pour que tout le monde ait son propre véhicule, quand bien même il est autonome, d’autant plus que nous réduisons l’espace routier pour élargir les trottoirs et ajouter des voies cyclables.

Musk et ses comparses du secteur de la technologie font la promotion des véhicules sans conducteur comme étant l’avenir parce que c’est l’avenir qu’ils souhaitent. Ils ne veulent pas être dans un métro ou un train à côté des gens ordinaires – comme Musk l’a déjà dit, l’un d’entre eux pourrait être un tueur en série! Il est troublant de constater à quel point ils veulent s’isoler des gens ordinaires, mais la réalité de la mobilité urbaine est que seule une petite partie de la population peut se déplacer en transport individuel jusqu’à ce qu’il cesse tout simplement de fonctionner. C’est en partie la raison pour laquelle la congestion de la circulation est si importante dans nos villes; toutes ces voitures individuelles ne fonctionnent tout simplement pas, et la solution n’est pas de laisser l’intelligence artificielle prendre le volant, mais de déplacer les gens de façon plus efficace.

En plus de ses désirs personnels, Musk a un intérêt financier à maintenir la domination de l’automobile au XXIe siècle – il dirige une entreprise automobile! Le transport en commun et le train à grande vitesse sont directement opposés à ses intérêts, et c’est pourquoi il diffuse des idées qui ne se réaliseront jamais, mais que certains groupes peuvent utiliser pour faire campagne contre le financement d’un transport efficace.


Construction de lignes de train à grande vitesse (Source: The Transport Politic)

Alors que l’infrastructure ferroviaire des États-Unis s’effrite et que l’accent est mis sur la réparation de ce qui s’y trouve au lieu de construire pour l’avenir, la Chine et l’Europe ont construit des réseaux étendus de trains à grande vitesse et de transports en commun. Leurs citoyens profitent de technologies conçues pour déplacer efficacement un grand nombre de personnes, tandis que les Américains sont malheureusement coincés dans leurs véhicules avec des temps de déplacement toujours plus longs.

Les Américains doivent cesser de boire les paroles des gourous de la Silicon Valley et commencer à exiger de meilleures options de transport qui les libèrent de la dépendance à l’automobile. La tendance semble effectivement s’inverser, alors que les villes de tout le pays adoptent des initiatives électorales visant à élargir le transport en commun et que la Californie pousse plus loin sa ligne de chemin de fer à grande vitesse en dépit des pressions intenses exercées par les conservateurs à courte vue.

Il n’est pas vrai que l’investissement public ne génère pas la prospérité – il suffit de regarder le réseau autoroutier – mais il faudra de la volonté politique, un examen plus minutieux des entrepreneurs en technologie et la fin du programme d’austérité pour que le gouvernement investisse à nouveau dans l’avenir. D’énormes investissements dans la science et l’infrastructure ont aidé les États-Unis à devenir la première puissance mondiale, et la construction d’un réseau ferroviaire national à grande vitesse et l’expansion massive du transport en commun – semblables à ce que la Chine a accompli au cours des dix dernières années – seraient la démarche prospective nécessaire pour montrer aux Américains que leur pays peut encore accomplir de grandes choses.

Paris Marx
https://medium.com/

2 commentaires sur “Les « innovations » d’Elon Musk ne sont pas l’avenir – elles le retardent

  1. moimeme

    Il mérite sans aucun doute d’être félicité pour avoir rehaussé le profil des véhicules électriques et contribué à pousser l’industrie dans cette direction

    La il vas falloir qu’on m’explique en quoi rajouter plusieurs quintaux des lithium dans une voiture, devoir le renouveler entièrement tous les 4-5 ans, et délocaliser la production d’électricité a des centaines de kilometres et d’heures de sa consommation, avec toutes les pertes considérables que ca entraîne , merite des « félicitations »?

    sans compter le renforcement et l’agrandissement indispensable des infrastructure et du bétonnage, nécessaire a des automobiles plus grosses et plus lourde, toute chose égale par ailleurs?

    je suppose donc qu’une fois électrique, la voiture resoudra par magie les innombrable nuisances qu’elles provoquent? par exemple je me ferait pas continuellement agresser quand je suis a pied ou a vélo par cette racaille? il n’y aura plus de coupure urbaine? on pourra connaître le luxe de dormir les fenetres ouvertes? ou les enfants pourront sortir de chez eux sans risquer plus leur vie que pendant l’epoque la plus sombre du moyen age?

    Ou bien je suis cynique, et je constate que la voiture a energie delocalisée fait tout en pire que la voiture à energie immediate (aussi appellé essence), et n’apparait aujourd’hui que parceque le pétrole disparait. Seule la magie de la novlangue marketing arrive a faire passer pour un progres ce qui est une regression de plus.

  2. pedibus

    qu’il se recycle dans le secteur du microdrone insecticide…

    des méga-myriades de microdrones biodégradables pour zigouiller criquets, sauterelles, mouches et moustiques, avec un quota réservé aux espèces insectivores, pour l’occuper jusqu’à sa retraite, avec la permission de sous-traiter avec les Chinois et Poupoute…

    boaaaaaaaaaaa

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