Pour le Sénat, la libéralisation du transport ferroviaire ne va pas assez vite

La réforme de la SNCF passe bientôt entre les mains des sénateurs et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle va être entre de bonnes mains. La majorité sénatoriale (Les Républicains et centristes de l’UDI) compte bien accélérer le calendrier de la libéralisation du transport ferroviaire.

C’est bien simple, pour eux, les projets actuels du gouvernement ne vont pas assez vite. Au moment même où le gouvernement prépare l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire et la fin du statut des cheminots, les sénateurs LR et UDI souhaitent « que la libéralisation se fasse le plus rapidement possible. »

Un article de Public Sénat nous détaille les projets de la majorité sénatoriale qui feraient presque passer les réformes macroniennes pour des mesures bolchéviques.

Car, si la majorité sénatoriale est sans surprise « en accord avec l’esprit global de la réforme« , c’est pour aussitôt dénoncer la lenteur de sa mise en application. Au passage, il faut rappeler que les députés LR et UDI avaient très largement voté pour la réforme ferroviaire du gouvernement.

Donc, nous avons en fait, que ce soit à l’Assemblée Nationale ou au Sénat, une écrasante majorité d’élus de la République en Marche, des Républicains (Droite) ou du centre-droit (UDI) qui sont globalement sur la même ligne. Il y a juste une sorte de course à l’échalote entre eux pour savoir qui sera pour la libéralisation la plus forte ou la plus rapide…

Et à ce petit jeu du « c’est moi le plus libéral« , on retrouve quelqu’un qu’on commence à bien connaître sur Carfree France, à savoir Hervé Maurey (photo), sénateur centriste de l’Eure et président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat. Ce brave sénateur déclare ainsi: « Par rapport au texte de l’Assemblée nationale, on souhaite que la libéralisation se fasse le plus rapidement possible, tout en respectant la volonté des régions d’avoir un peu de temps pour mettre tout cela en place. On observe qu’à l’Assemblée, l’ensemble des dérogations prévues par les textes européens ont été reprises. (…) Dans ce cas, on limite fortement l’ouverture à la concurrence. Si on applique ce qui a été voté à l’Assemblée, l’ouverture pourrait n’intervenir qu’en 2033. »

Le pauvre Hervé Maurey va presque verser une larme, vous vous rendez compte, à cause de ces bolchéviques de l’Assemblée Nationale, l’ouverture à la concurrence ne pourrait intervenir qu’en 2033 seulement! Heureusement, les sénateurs vont remédier à cela et vont tout faire pour que la concurrence puisse s’installer sur les rails dès 2023…

Pour rappel, Hervé Maurey est le sénateur qui voulait imposer le casque vélo obligatoire pour les cyclistes et qui est contre la limitation de vitesse à 80km/heure sur les routes nationales. On peut remarquer une certaine cohérence idéologique dans les positions d’Hervé Maurey: comment à la fois tout faire pour compliquer la vie des cyclistes tout en favorisant au maximum les automobilistes et en achevant définitivement le service public ferroviaire. C’est un métier et il faut au moins être président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat pour savoir cela.

Et encore, il faudrait rappeler tout le travail réalisé par Hervé Maurey pour révéler aux Français les dangers des motorisations diesel. J’en parlais en 2016 dans cet article.

M. Maurey s’est en effet fait connaître en 2015 pour avoir organisé, en tant que président de la commission du développement durable du sénat, un débat sur les « effets des motorisations diesel sur la santé et l’environnement« . C’était le 14 janvier 2015, soit quelques mois seulement avant le dieselgate de septembre 2015 qui a éclaté suite au scandale Volkswagen.

C’est assez piquant (pour les bronches) de relire aujourd’hui la teneur des échanges auxquels participaient entre autres des représentants de Renault et Peugeot. A vrai dire, ce débat de deux heures avait abouti à un résultat proche de zéro. La seule annonce officielle qui en était ressortie est la « création d’un comité d’experts chargé de mesurer et contrôler les émissions des nouveaux moteurs« .

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On était en janvier 2015… puis plus rien. On ne sait pas si le « comité d’expert » s’est réuni une seule fois. En tout cas, aucune production officielle en est ressortie. Jusqu’à septembre 2015 où le scandale mondial Volkswagen faisait apparaître au grand jour que l’ensemble des normes de pollution des moteurs diesel n’étaient pas respectées par les constructeurs de voitures… dont Renault et Peugeot.

On ne peut pas dire que M. Maurey avait été alors particulièrement mordant avec les représentants de Renault et Peugeot… Faible avec les forts et fort avec les faibles, comme dit le proverbe.

Revenons toutefois à la mise à mort du service public ferroviaire, car Hervé Maurey a aussi un point de vue sur l’entreprise Gare & Connexions, qui gère les gares.  Alors que dans le texte voté par les députés, Gare & Connexions est rattaché à SNCF Réseau, le Sénat n’y sera « pas favorable« . « Ça risque de plomber Gare & Connexions, qui fonctionne bien, à cause de la dette de SNCF Réseau. Cela freinera son développement à l’international » met en garde Hervé Maurey, qui souhaite en faire « une troisième entité » aux côtés de SNCF Mobilité et SNCF Réseau.

Admirons l’argument d’Hervé Maurey: il ne faut pas rattacher Gare & Connexions à SNCF Réseau car cela « freinera son développement à l’international ». Donc, si on comprend bien, Gare & Connexions qui est censé gérer les gares françaises a vocation à se développer à l’international. Vous comprenez, gérer les gares de San Francisco ou Stuttgart, c’est quand même un peu plus sexy que de gérer les gares de Vesoul ou Roanne…

On se demande ici quel est l’objectif réel, surtout depuis les révélations croustillantes du Parisien concernant les discussions du gouvernement avec les cadres de la SNCF au sujet d’un projet caché de privatisation. Dit autrement, en faisant de Gare & Connexions une troisième entité, on maximise les chances de la privatiser, étant entendu que seule la holding de tête resterait propriété de l’Etat.

En parallèle, dans le cadre d’une proposition de loi que le même Hervé Maurey avait corédigé avec Louis Nègre (proposition adoptée par le Sénat fin mars 2018), les sénateurs prévoient pour les lignes à grande vitesse qui seront ouvertes à la concurrence le principe de « l’open access », soit l’accès libre, où plusieurs compagnies pourront venir faire face à la SNCF, sans appel d’offres. Une concurrence frontale, censée être encadrée par l’Arafer, l’autorité de régulation. En gros, c’est « viens avec tes trains et pose-les sur les rails« , c’est open!

Enfin, on peut constater la grande compétence ferroviaire des sénateurs qui souhaitent « assurer la desserte des villes moyennes par le TGV. » Dans le cadre de la mise en concurrence, ils comptent imposer aux entreprises qui exploiteront les TGV de les arrêter dans les villes moyennes. Euh, comment dire, ils comptent réinventer le TER ou bien? Il faudrait quand même leur dire que si les TGV doivent s’arrêter dans toutes les villes moyennes, cela risque de ne plus être de la « Grande Vitesse »…

Pour le coup, avec ce genre de propositions, on retrouve les sénateurs que l’on connaît bien, à savoir des élus proches de leur territoire qui veulent leur gare TGV près de chez eux, enfin surtout près de leurs électeurs (car eux, ils sont en bagnole à plus de 80km/heure sur les routes nationales). Vous comprenez, on passe son temps à libéraliser et à détruire le service public, mais il faut quand même bien être réélu lors des prochaines élections…

2 commentaires sur “Pour le Sénat, la libéralisation du transport ferroviaire ne va pas assez vite

  1. Arnold à vélo

    Et on s’étonne que les gens comptent sur internet pour s’informer plutôt que sur les médias officiels! Merci pour cet article.

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