par Alfred Sauvy
L’auteur propose, en 1968, une analyse critique, humoristique et quelque peu explosive de la «grande souveraine» et de son expansion. À l’origine, l’automobile naquit du pouvoir de la fée technique qui remplaça le cheval par trente chevaux, sans réel besoin de les nourrir et fonctionnant par déflagrations: l’automobile bouleversa le monde, son économie, la société et engendra de multiples progrès mais … A. Sauvy passe en revue les différents aspects de la vie quotidienne avec l’automobile.
La fabrication des « conduites intérieures» puis la construction en série ont entraîné la création de nombreux emplois, la mise en place de taxes sur le carburant, et mis en évidence une concurrence de plus en plus forte avec le chemin de fer. Dès le lendemain de la (1re) guerre sont apparus : les exportations, la pression fiscale, la guerre des chiffres et la désinformation sur les coûts réels de l’automobile, le rapport entre les recettes fiscales et les dépenses publiques routières.
La sécurité routière est un problème majeur : vitesse, refus de limitations, alcool, « ceinture d’attache », autant de problèmes non résolus pour ne pas diminuer l’usage de l’automobile. L’assurance obligatoire a vu s’instaurer le système de franchise, bonus malus. Le conducteur devient agressif et violent sur la route, la concurrence entre voiture, piétons et deux – roues apparaît.
Le train est réservé aux classes sociales à faibles revenus, le choix des investissements va vers le tout routier et autoroutier, mais pas vers le ferroviaire, ni l’autobus ni le métro. Tout est fait pour favoriser l’automobile même la réglementation anti-taxi.
L’automobile est consommatrice d’espace : le «logement dans la rue» est libre et gratuit, le garage payant est une annexe du logement, lui-même soumis à de nombreuses taxes. Le financement de la route et de son extension se fait au détriment du logement avec la stagnation des taxes sur les voitures et le carburant. L’utilisation de la voirie et les encombrements créent de multiples difficultés aux services (pompiers), pour l’enlèvement des ordures ménagères, pour l’accès aux aéroports parisiens (plus longs que le trajet en avion pour Genève par exemple), l’accès aux stades sportifs, entraînant la diminution de la vitesse.
On commence à penser à des voies réservées aux transports collectifs, des idées de taxis sans chauffeurs ou de mini – voitures voient le jour ; on pense aussi à des villes «neuves» construites pour la voiture en même temps qu’apparaissent les projets de boulevards périphériques et de voies express dans le SDAU de Paris.
La voiture est un moyen d’évasion, mais « l’appel de la route» se heurte aux contrôles, accidents, encombrements… La voiture donne un sentiment de puissance et on découvre le plaisir de la conduite. Elle accentue les différences sociales en favorisant les classes aisées. Elle entraîne l’écrasement des faibles, les sans – voiture deviennent marginaux.
L’information sur les coûts réels de la voiture, sur les investissements routiers, sur la circulation elle-même est très limitée. On ressent une poussée importante en faveur de l’automobile, même dans les pays communistes, qui entraîne une évolution très rapide, un accroissement des besoins au- delà des frontières; le reste de la consommation stagne au profit des voitures, les crédits se multiplient, de nombreux ménages ne peuvent y faire face…
Malgré ce constat, la fée « automobile » a encore un bel avenir…
Alfred Sauvy
Les Quatre Roues De La Fortune, Essai Sur L’automobile
Éditions Flammarion – Collection « Le meilleur des mondes» 1968. Cet ouvrage n’est plus disponible en librairie mais consultable en bibliothèque.
Alfred Sauvy (1898-1990) est un économiste, démographe et sociologue français. Il est l’auteur de l’expression “tiers monde” (en 1952).
Source : TransFlash