Ma bagnole est atomique

On la croyait increvable. En 1908, voilà tout juste un siècle, sortent des chaînes de Detroit les premières Ford T. La bagnole vole ensuite de triomphe en triomphe, remodèle les villes, nos vies, le travail, les paysages, les équilibres géostratégiques (la guerre contre l’Irak).

Hier encore elle semblait indestructible, hier encore Renault lançait en fanfare son nouveau 4×4, hier encore on croyait que chacun aurait le droit inaliénable de rouler toute sa vie dans des bolides de 60 CV qui ne parcourent cent kilomètres qu’à condition d’avaler 6 litres de pétrole et de rejeter 14 kilos de CO2. Et voilà que rien ne va plus. Avec le krach les ventes s’effondrent, les constructeurs appellent les États au secours, lesquels s’empressent à leur chevet – c’est pas moins de 6 milliards d’euros que Sarkozy s’apprête à offrir à Renault et à PSA. On découvre donc soudainement 1) que nos sociétés modernes sont entièrement dépendantes de la bagnole (qui à elle seule occupe 10% des salariés français); 2) que les constructeurs d’automobiles, ces colosses capables de produire chaque année des monceaux de ferraille high-tech (plus de 5 millions d’autos par an pour Renault et PSA), sont de petits êtres délicats à la santé incroyablement fragile; 3) et qu’à force d’annoncer la fin du pétrole celle-ci pointe vraiment le bout de son nez (la hausse de l’an dernier a vu le trafic considérablement baisser). Arrêtons-nous sur ce dernier point.

On le sait, les constructeurs n’ont rien vu venir. La voiture verte, qui consomme un litre aux cent, pas polluante, aux énergies alternatives? Rien dans les cartons. Du coup, ils essaient de donner le change en faisant de la com’. Mais plus ils nous chantent les mérites des moteurs hybrides, des futurs agrocarburants miracles à base de ceci ou de cela, de l’hydrogène que y a qu’à se baisser, plus on déchante: rien ne marche, rien n’est prêt, rien ne dit qu’un jour ça marchera. Au lieu de profiter de cette période d’incertitude pour repenser le rôle de la bagnole, qui s’est monstrueusement développée aux dépens des transports en commun, nos gouvernants se rabattent sur les vieilles recettes. Et c’est ainsi que Sarkozy vient de décider le lancement d’un deuxième réacteur nucléaire EPR.

Lire aussi :  Petite fable écologique et sociale

Quel rapport? Tout simplement celui-ci: cette centrale prépare l’arrivée de la voiture électrique. Pour la faire rouler, il en faudra, de l’électricité. Or comment en produire plus? Centrales à charbon: trop polluantes. Barrages hydroélectriques? Impossible d’en rajouter. Éolien, solaire: insuffisant. Agrocarburants: suicidaire. Reste le nucléaire. Les spécialistes ont sorti leur calculette: « Pour faire rouler, à l’horizon 2020, 1,5 million de voitures électriques en France, un objectif jugé aujourd’hui réaliste par les constructeurs, il faudrait construire une, voire deux centrales nucléaires supplémentaires » (« Les Echos », 26/12/08). Sachant que le parc installé est de 32 millions de voitures, devinez le nombre de centrales atomiques qu’il va falloir construire en France. L’énergie nucléaire au service de la bagnole: ça, c’est Grenelle!

Jean-Luc Porquet
Le Canard enchaîné – mercredi 4 février 2009

9 commentaires sur “Ma bagnole est atomique

  1. O'toh

    Et on va Les laisser faire ? Faut croire que oui. Ils nous ont bien imposé leurs centrales depuis le début sans nous demander notre avis non? D’ailleurs l’émission de la semaine dernière d’Elise Lucet qui traitait des saloperies de déchets de l’uranium et autres joyeusetés dont est farci le territoire français, n’a pas mobilisé les foules ni soulevé aucun débat, parce que en fait tout le monde s’en fout…

    Vous avez vu une manif ou une protestation quelconque sur le sujet dernièrement? Ils sont où les vrais écolos, les soixante huitards qui eux refusaient ce type de société, green peace tout çà?

    Les gens ce qu’ils veulent c’est du pouvoir d’achat, de la consommation, c’est pour çà qu’ils manifestent, surtout pas sortir de leur petit confort quotidien, et surtout pas se retrouver confrontés à des problèmes qui les dépassent, puisque les problèmes, c’est à l’Etat de les régler, c’est bien pour çà qu’On les a élus les Messieurs ou je me trompe ?

    Vite, il faut tout changer pour que justement RIEN ne bouge, et surtout laisser l’Etat assis avec son gros cul sur nos faces à nous endormir de bobards et de promesses ! Il n’y a qu’à voir comment On « traite » l’affaire de la Guadeloupe (au fait çà se trouve où la Guadeloupe ?)

    A force de vouloir ignorer les problèmes, les moutons à tête d’autruches que nous sommes doivent s’attendre à y laisser quelques plumes…Et c’est pas une fatalité, c’est juste un retour de bâton qui était prévisible…

    Ce système est une chimère, et chimères nous sommes devenus nous-mêmes…Une minute de silence je propose, car ce début de siècle enterre ce qui reste de notre libre arbitre et de notre soi-disant liberté. Amen.

  2. Philippe Schwoerer

    Encore une connerie du président qui, plutôt que de s’entourer des spécialistes et d’écouter les sages, décide d’agir pour les intérêts d’un secteur hautement dangereux.

    Les voitures électriques (ou les VHR) ne doivent pas être produites en masse sur le marché sans une réflexion sérieuse sur la manière propre (et surtout pas nucléaire) de la recharger. L’idéal étant (voeu pieux) de ne mettre en circulation que ce qui pourra l’être sans aggraver notre dépendance (et même plutôt la réduire) au nucléaire.

    Ce qui se passe en ce moment devrait donner lieu à une véritable réflexion d’ensemble sur la place de l’automobile dans notre société, comme le suggère l’article. Article par ailleurs incomplet qui donne la vision la plus pessimiste des choses, mais c’est sans doute ce qu’il faut pour frapper l’opinion publique. Et en attendant 40 millions de frigos tournent toujours au nucléaire en France…

  3. CarFree

    « Les voitures électriques (ou les VHR) ne doivent pas être produites en masse sur le marché sans une réflexion sérieuse sur la manière propre (et surtout pas nucléaire) de la recharger. »

    C’est bien le problème posé par l’article: il n’y a pas de solution propre et réaliste aujourd’hui pour faire rouler en masse un parc automobile de plusieurs millions de voitures électriques. Et ce n’est pas du pessimisme que de dire cela, c’est tout simplement du pragmatisme. Au contraire, ceux qui nous promettent des solutions définitives ou qui espèrent leur venue sous forme de progrès technologiques à venir se bercent d’illusions et endorment les gens sur la nécessité impérieuse de faire évoluer radicalement le statut de l’automobile dans nos sociétés.

    Hier, je lisais à ce propos un article très intéressant sur le « scandale de la Prius de Toyota » ou comment on nous fait prendre des vessies pour des lanternes. On fait croire aux gens qu’en achetant une Prius, ils font un geste écologique alors que dans les faits, la production de la Prius est fortement polluante et que sa consommation (en pétrole) est du même acabit qu’une petite voiture des années 90… Où est le progrès? Car dans le même temps, pour produire une Prius, il faut en plus une motorisation électrique et une batterie électrique, elle aussi problématique…

    Je pense que cela mérite un article sur Carfree, en finir avec le mythe des hybrides…

  4. O'toh

    Oui Philippe, à la différence que un frigo c’est devenu plus indispensable qu’une voiture et que çà peut durer vingt ans sans broncher. une voiture t’es toujours à mettre la main au portefeuille (j’en sais quelque chose avec ma vielle tire), et surtout un frigo n’est pas fait pour frimer en faisant le tour de la place pour se pavaner dedans…

    Le Monsieur Obama par exemple, il a mis un scientifique comme ministre de l’énergie, c’est pas beau çà ?
    Non c’est LOGIQUE ! Moi si j’ai une formation comme électricien, j’irai sûrement pas m’improviser chirurgien ou estheticienne, on va où ? Les politiciens çà devrait être pareil EN TOUTE LOGIQUE !
    Alors que font tous ces incompétents aux postes-clés ? Et aussi pourquoi ceux qui n’ont pas voté pour ceux-là doivent-ils être gouvernés quand même par eux sous prétexte d’une majorité absolue aux élections ?

    Pourquoi en France n’y a t il jamais eu de référendum sur le nucléaire comme en Italie par exemple ?Au passage les italiens ont dit non en masse et aussitôt on a démantelé les trois malheureuses centrales du pays qui n’ont d’ailleurs jamais produit le moindre Kw, mais çà ne leur empêche pas de se fournir chez EDF en ayant la conscience tranquille, et aussi ils ferment les yeux quand des tonnes de déchets hautement nocifs sont régulièrement enterrés ni vu ni connu dans la campagne de Naples…

    Berluscozy et Sarconi même combat !

  5. Philippe Schwoerer

    Plus polluante à sa production, la Prius l’est sans doute.

    Le progrès m’apparaît bien présent à 2 niveaux :
    – une voiture moyenne d’aujourd’hui qui consomme pas plus qu’une petite des années 90, cest déjà ça, même si c’est peu.
    – en revanche, en ville, pour les piétons et cyclistes, il n’y a plus de pollution sonore, ni d’émission à l’échappement. Et c’est pas rien tout de même quand on fait du vélo ou qu’on se promène dans les rues..

    Qu’en penses les cyclistes et piétons des grandes villes ? Jugez-vous que la Prius amène un progrès pour le confort des cyclistes et piétons par rapport à un véhicule thermique conventionnel.

    Quand je parle de pessimisme dans l’article, c’est tout simplement parce que les chiffres avancés ne tiennent même pas compte des possibilités annoncées par ailleurs par quelques revues ou groupes écologistes en termes de diminution de la consommation électrique possible au quotidien. Comme je le disais sur un autre poste, pourquoi ne pas établir des quotas de consommation d’électricité par foyer. Celui qui veut s’accrocher à la télé grand écran dans plsieurs pièces, aux lampes hallogènes, four micro-onde quotidien pour la décongélation… devra se passer de voiture électrique. En revanche, celui qui veut rouler avec sa voiture électrique devra économiser sur le reste. Plutôt réglo, non ? En temps de guerre, il a bien fallu instaurer des restrictions. La santé de la planète est de cet ordre.

    Pour moi, le vrai pragmatisme dans le domaine, c’est de chercher comment, en attendant que la société puisse muter profondémment, quelqu’un qui vit aujourd’hui en campagne, peut vivre son quotidien. La voiture thermique, faut l’oublier à cause du réchauffement climatique. En revanche, équiper son véhicule actuel d’un moteur électrique et de batteries rechargeable par exemple par la méthanisation agricoles, l’éolien ou le solaire : c’est possible.

    L’article en référence alerte sur le pire scénario possible… et qui sera bien celui qui se déroulera si on ne fait rien. Présenter des voies possible au cas par cas, est plus salvateur : les possibles pour les citadins ne sont pas les mêmes que pour les rurbains.

    En attendant ces projets ambitieux et hautement intéressants de villes linéaires, il faut faire avec l’existant. C’est à ce niveau qu’on peut parler de pragmatisme.

  6. Philippe Schwoerer

    O’toh, je suis d’accord avec toi sur quasiment tout ce que tu viens de dire.

    La seule chose qui me chagrine, c’est qu’aujourd’hui en France, on peut changer de fournisseur d’électricité et faire fonctionner son frigo à l’énergie renouvelable. Beaucoup sont contre le nucléaire, mais très peu font la démarche militante de rejoindre une coopérative qui se débat (et a été encore il y a peu dans la tourmente) pour développer l’utilisation de cette énergie.

    Personnellement, ça me blesse. Ca ne devrait peut-être pas, mais c’est comme ça. Nous consommateur d’électricité, que ce soit pour les frigos ou les VE ou la lumière, on a en France un formidable moyen de pression pour faire avancer les choses et dire non au nucléaire, et seulement 3.000 personnes au franchi le pas. Si déjà là ça bloque, je doute fort que tous les beaux projets régulièrement mis en valeur sur Carfree trouvent une suite rapide.

    Il suffit parfois de l’impulsion d’un seul pour faire basculer des choses… comme le maire de Barjac par exemple (Voir le film Nos enfants nous accuseront).

  7. CarFree

    « En revanche, équiper son véhicule actuel d’un moteur électrique et de batteries rechargeable par exemple par la méthanisation agricoles, l’éolien ou le solaire : c’est possible. »

    C’est bien là qu’on est pas d’accord, mais on a déjà abordé ce sujet sur d’autres articles… Pour rester sur cet article, là où tu te trompes à mon avis, c’est que tu raisonnes de ton unique point de vue: des solutions de voitures électriques fonctionnant avec de l’énergie renouvelable provenant de coopératives (solaire, éolien, etc.), on sait que c’est possible (tu le fais je crois?), mais pour quelques dizaines ou peut-être centaines de milliers de voitures au grand maximum… A grande échelle, cela ne résout rien car le parc actuel est composé de plus de 30 millions de voitures. Que fait-on pour elles? C’est bien ce que dit l’article, l’éolien ou le solaire constituent des énergies largement insuffisantes pour faire rouler un parc de plusieurs dizaines de millions de voitures…

    Alors, tu nous dis qu’il faut supprimer les télés, mettre des ampoules basse consommation (qui polluent beaucoup au passage…), arrêter les micro-ondes, ok, pourquoi pas? Je suis d’accord bien entendu pour réduire de manière drastique nos consommations énergétiques énormes par rapport à ce que peut supporter la planète et par rapport à la moyenne mondiale de consommation énergétique par habitant. Sauf que tu préconises ces solutions pour… pouvoir continuer à rouler en voiture. Donc, l’équation ne change pas vraiment, toujours autant de consommation par personne, c’est-à-dire plus que ce que la planète peut supporter et plus que ce que consomme le terrien moyen…

  8. Philippe Schwoerer

    La solution de quota que j’évoque a plusieurs objectifs :
    – éducatif : chacun doit apprendre à gérer sa consommation en faisant des choix,
    – informatif :chacun doit connaître les impacts de sa consommation,
    – limitatif : si l’Etat juge qu’il faut encore diminuer la consommation d’électricité, soit on se débrouille pour produire soit même le complément nécessaire si possible, soit on roule encore moins avec sa voiture électrique si on en a une, soit on cherche une autre solution (déménagement, vélo…).

    C’est finalement assez ouvert et adaptable comme principe.

    Je ne cherche pas à raisonner simplement de mon point de vue, mais de voir comment la crise écologique peut se gérer lorsqu’on habite en campagne.

    J’ai reçu récemment un article qui mentionnait l’installation de 4 premières chaudière au gaz qui produisent de l’électricité en même temps que de l’eau chaude pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire. Le gaz, c’est pas l’avenir. Ce système couplé à une chaudière à granulés offrirait une solution individuelle dans les campagnes pour une recharge de VE.

    Je suis sûr qu’on pourrait tout de suite réduire le parc automobile des 2/3 ou 3/4 en France. La dernière tranche sera plus difficile à compresser car elle va toucher les habitants des campagnes.

    Bonne nouvelle : chez nous, une concertation a été lancée pour réouvrir une épicérie de proximité. Elle a toutes les chances d’aboutir : les habitants commencent à comprendre l’intérêt d’avoir des commerces dans le village.

  9. François Carré

    Très bonne analyse de la situation, merci.
    Pour ce qui me concerne, je tiens à éclairer votre lanterne sur une filière très en vogue, et qui, selon les écologistes remplacerait (en partie et à terme) le fournisseur atomique : l’éolien.
    Il faut mettre en exergue 2 notions fondamentales, à savoir :
    – que le couple moteur d’une hélice est en rapport direct avec la pression de vent exercée sur celle-ci, et,
    – que, ce couple multiplié par la vitesse de rotation permet de générer une puissance.
    Or, que ne voit-on pas . . . Des hélices offrir au vent la plus misérable surface utile afin tout simplement d’éviter la destruction de ces machines . . . Beaucoup de puissance installée pour la frime . . .
    puisque présentes moins de 10% du temps en cours d’année, 8 à 9% le plus souvent sur les meilleurs sites.
    Je me ferais un plaisir de vous en dire plus, en faisant partager mes recherches et constatations . . . sur soufflantes aérodynamiques.
    Observations et constatations très dérangeantes pour tous les intervenants de l’éolien, très motivés par les retombées financières, en se disant, comme Mme Léatitia, « pourvu que ça dure ».
    A votre service. Tél. 09 53 21 26 68 ou
    e. m. « associationeolpro@free.fr »
    Bien cordialement.
    François Carré

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