L’homme sur le pont – 1984 – et Sainte sœur Anne

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Cinquante millions de degrés au-dessus de l’hôpital de la ville. Il est 8h30 du matin, c’est l’été, le soleil se lève exactement comme il y a des millions d’années. Dans le ciel, un avion, son bourdonnement est soudain devenu inaudible. La mission est accomplie, conformément aux instructions, le pilote regagne sa base, il a « bien mérité » sa solde. En une fraction de seconde, le destin de milliers de personnes a été soudé en un seul destin, la mort instantanée. Il regagne sa base, mission accomplie, selon les instructions. Le pilote ne connaît pas les milliers de gens qu’il a rassemblé en un seul destin. Il ne les a jamais vus, il ne les a jamais entendus, il n’en connaît absolument aucun. Ce sont les habitants d’Hiroshima. On est le 6 août 1945. Cinquante millions de degrés, à soixante mètres seulement, au-dessus de la ville…

Sa mission accomplie, conformément aux instructions il regagne sa base. Il a plus que mérité sa solde, maintenant, il est un héros. C’est ainsi que toute une nation veut le célébrer. Il a donné la Victoire à son pays ; une Victoire nouvelle, sur tous les hommes de la terre et sur l’ensemble du monde vivant. C’est le jour « J » zéro de l’âge atomique. Le Japon pour sa part avait déjà perdu la guerre depuis longtemps, depuis très longtemps. Sa défaite remonte à un autre temps, bien avant le jour « J » zéro de l’âge atomique.

Un jour peut être, ce jour « J » zéro de l’âge atomique deviendra un jour de commémoration internationale, d’un « crime contre l’humanité ». Un jour, en mémoire des victimes du premier holocauste scientifique de tous les temps. Un jour de silence, non travaillé, pour être à l’écoute, en communion avec les autres êtres vivants sur la Terre. Un jour inscrit dans tous les calendriers nationaux de tous les pays. Un jour peut-être, mais dans combien de temps ?

En octobre 2008, le même mois de la même année, un autre livre sur le nucléaire que celui de Sainte sœur Anne (1), a fait sa sortie en librairie, celui de Günther Anders : « Hiroshima est partout » (2).

Cet Homme est un philosophe de formation. Il ne connaît pas les Équations de Maxwell, ni la Physique Quantique ni non plus la Mécanique Ondulatoire, encore moins la Physique Nucléaire, il n’est pas un « expert », il ne connaît rien de tout cela. Mais il a compris. Ce jour-là, il a compris qu’il s’était passé quelque chose de totalement nouveau sur la Terre, quelque chose d’inimaginable jusque-là, pour tous les hommes.

Comme personne n’a pu voir ce qui s’est passé à l’instant zéro du jour « J » zéro de l’âge atomique, comme ceux qui étaient là, dans l’instant zéro, sont morts dans l’instant zéro, ou peu de temps après l’instant zéro, comme ceux qui ne sont pas morts le jour « J » zéro, n’ont pas eu la force de rassembler leurs forces ou le temps suffisant de la réflexion ; Alors Günther Anders a tenté d’imaginer la chose pour témoigner devant tous les hommes, l’ensemble de l’humanité… Une énergie colossale, cinquante millions de degrés à soixante mètres seulement au-dessus de la ville…

A l’âge atomique « tous les hommes, où qu’ils se trouvent sur la Terre, peuvent être mortellement frappés à partir de n’importe quel point de la Terre ». Devant cette réalité nouvelle, quotidienne, « l’aveuglement devant l’apocalypse » s’impose à tous les hommes pour continuer à vivre comme avant ; avant le jour « J » zéro de l’âge atomique. La réflexion, l’effort d’imagination de Günther Anders est celui de toute une vie. Günther Anders s’est éteint en 1992.

Des centaines de bombes ont explosé, « essai atomique » pour « faire avancer La Science »… Depuis la fin de la Guerre Froide, le monde à changé, il a « bien » évolué ; en pire… Par chance pour nous, les morituri, le processus totalitaire est beaucoup plus ambitieux que tous les militaires et tyrans pris individuellement, et reste encore plus ambitieux qu’eux, pris collectivement. Nous sommes encore vivants…

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Cependant « l’aveuglement devant l’apocalypse » est devenu la politique officielle et nécessaire de tous les gouvernements, elle est devenue l’unique politique possible pour perpétuer ce que l’angélique Sainte sœur Anne appelle encore « notre mode de vie », « c’est-à-dire l’électroménager débile, mais aussi les pesticides, le diktat absolu, polluant et assourdissant de la circulation automobile, les milliers de pollutions autres que celles responsables de l’effet de serre, la déforestation pour l’industrie papetière et la propagande publicitaire, l’amoncellement des déchets pas seulement radioactif » …

L’énergie nucléaire dans sa forme militaire, a donné à certains hommes le « droit de vie ou de mort » instantané sur tous les hommes. Mais, ce « droit » aussi immense qu’il soit, n’est qu’un « droit de mort » sur la vie. Le processus totalitaire s’anéantit lui-même, instantanément avec la mise en œuvre, sous sa forme militaire, de l’énergie nucléaire.

Nous sommes encore vivants, mais c’est seulement par les simples ambitions supérieures du processus totalitaire. Elles ont été clairement exprimées en « 1984 ». Le bourreau, l’explique simplement au supplicié : « notre maitrise sur la matière est déjà absolu », « le pouvoir est le pouvoir sur d’autres êtres humains » (vivant), « sur le corps et surtout sur l’esprit » (3)…

C’est exactement le projet de La Science contemporaine. « L’aveuglement devant l’apocalypse » est devenu aussi la politique scientifique de tous les gouvernements du Monde Civilisé, la politique officielle de « La Civilisation Occidentale », celle qui s’affirme comme « La Civilisation civilisatrice ». C’est la chance de Sainte sœur Anne, les tyrans de demain l’attendent avec ses centrales nucléaires. Le projet des « Sciences de la Vie », des nanotechnologies, des neurosciences, des sciences du clonage et de la reproduction du vivant … se veut à la hauteur des ambitions du processus totalitaire : « le pouvoir sur les corps et surtout sur les esprits ».

C’est par sa clairvoyance « lucide » et sa « bonne foi » que Sainte sœur Anne a compris à sa manière l’importance supérieure de l’énergie nucléaire sous sa forme « civile ». Le projet totalitaire est grandiose il aura, en conséquence, besoin de beaucoup d’énergie, sous sa forme électrique. Beaucoup de Mégawatts pour faire travailler et sécuriser les « cerveaux » (scientifiques) astreints au travail (productif) dans l’hermétisme des nouveaux laboratoire-usines. Mais aussi beaucoup de Mégawatts, pour étayer durablement la hiérarchie sociale des morituri, beaucoup de Mégawatts, pour gérer les pollutions, délocaliser les déchets pas seulement nucléaires et encore beaucoup de Mégawatts pour perpétuer la « verticalisation totalitaire » de la « société méga-machine énergivore ». Toujours en encore beaucoup de Mégawatts, c’est la chance de Sainte sœur Anne avec ses centrales nucléaires… (4)

Notes

(1) Anne Lauvergeon « La troisième révolution énergétique » Ed. Plon 2008. Le livre destiné à un public « d’automobiliste téléspectateur », a certainement été écrit par un professionnel de la propagande publicitaire, un spécialiste de la « communication de masse ». Il est en effet difficile d’imaginer qu’un agrégé de science puisse débiter autant d’âneries avec une telle aisance et autant d’inconséquence…

(2) Günther Anders « Hiroshima est partout » Ed. Seuil 2008 « L’Homme sur le pont » est le titre de l’un des chapitres du livre.

(3) George Orwell « 1984 » Ed. Gallimard 1950

(4) Ce texte est un extrait d’un long article critique des nombreuses âneries sur l’énergie débitées à longueur de pages par le spécialiste en communication de masse d’un « agrégé de science », PDG d’Aréva. Voir note (1)…