Alimentation et/ou énergie au Sénégal: eux aussi en veulent, et de la bonne !

Si d’aucuns n’étaient pas encore persuadés que les questions d’alimentation et d’énergie sont liées, nous apportons ici une preuve de la préoccupation émanant d’un des pays de ce Sud-là qui nous paraît beaucoup trop loin pour pouvoir compatir.

De nombreux articles sur Carfree sont consacrés aux questions de la production et de la gestion énergétiques. Rien de plus anormal puisque la question des transports repose entre autres sur la question énergétique.

De plus, de nombreux articles sur Carfree sont consacrés à l’agriculture productiviste, à l’agriculture polluante, à l’agriculture OGM, à l’agriculture technophile, à l’agriculture des nécro-carburants, à l’agriculture déséquilibrée Nord/Sud, à l’agriculture protectionniste en même temps que néocolonialiste (et on sait dans quel sens marche l’histoire : la souveraineté alimentaire, on la veut parce qu’on arrive ainsi à la faire respecter en Occident, les pays du Sud ont droit à une souveraineté alimentaire dans les textes, mais on répète à l’envi qu’il faut trouver une solution d’aide, aide qui s’accommode bien du marché aussi).

Voici un article du 2 mai 2011 de l’APS (Agence de Presse Sénégalaise) :

« Le président de l’Union nationale des consommateurs du Sénégal (UNCS) a plaidé, lundi à Kolda (sud), en faveur d’une plus grande promotion du lait local et de ses dérivés, afin qu’une partie des ressources utilisées pour l’importation de ce produit soient affectées au secteur de l’énergie par exemple », est-il écrit dans l’article. Bien sûr, le lait en poudre européen (de nos excédents d’élevage productiviste) est implicitement de la problématique, puisque c’est un marché d’écoulement de nos stocks de produits laitiers…: en 2009, l’importation de lait en poudre a coûté 60 milliards à l’Etat sénégalais. 60 milliards de francs CFA, c’est (doucement, ce ne sont quand même ni des euros ni des dollars) 91469.41 euros (euros courants de 2009, puisque l’importation était dans le  budget 2009; nota bene, puisque le cours de l’euro et du franc CFA sont liés, pas besoin de savoir la date de la conversion euro/CFA, 1 euro a toujours valu 655.96 francs CFA).

Pour information, en 2009, le PIB du Sénégal était de 23,16 milliards de dollars. En 2009 aussi, 1 dollar US = 456,27 CFA (le 28 août 2009). Soit un PIB sénégalais de 10567,2132 milliards de francs CFA pour l’année 2009. En euros, cela donnait un PIB sénégalais (2009) de 16.11 milliards d’euros.

Bon, nous arrêtons ici de nous faire tourner la tête avec les chiffres, mais pas avec ce bazar économiciste. La note d’importation laitière est très faible sur l’ensemble du budget sénégalais, mais le Sénégal est confronté à des problèmes d’approvisionnement énergétique, notamment en hydrocarbures (tiens, tiens, il n’y aurait pas un lien avec la bagnole par hasard ?). Pour faire bonne figure face au mécontentement social grandissant, il lui faut augmenter les capacités d’approvisionnement tout en équilibrant les comptes dans ce secteur. Et le Sénégal n’a pas la même marge de manoeuvre que les pays occidentaux en termes d’investissement, même si l’agence de notation financière Moody’s a classé en mars 2011 le pays dans la catégorie « très spéculatifs » [1]. En d’autres termes, la note B1 associée à une tendance de « stabilité » est une incitation à investir plein de flouze dans ce pays. Ah, quand on dit qu’il y a du fric à se faire, tout de suite, je comprends mieux…

Mais, malgré cette nouvelle possibilité démentielle de se lancer sur le marché obligataire international (pour nager dans les billets verts, waouuuu !), le Sénégal est un peu moins bien loti que les Etats-Unis (qui, les pauvres, pourraient peut-être perdre leur sacré AAA) ou que la France (AAA). Et donc de chercher à équilibrer ses comptes un peu à la façon d’une fourmi, en cherchant partout là où il y a à récupérer, plutôt qu’à s’endetter à nouveau.

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Pour information, la dette extérieure du Sénégal est de 24% du PNB (2009) tandis que celle de la France est de 75,8% du PIB (2009). Le Sénégal, qui rentre presque pleinement dans la ronde du monde financiarisé, est quand même en difficulté pour ses approvisionnements énergétiques et se plaint d’importer du lait en poudre dans des quantités pourtant faibles sur l’ensemble du PIB. Mais quand on n’est pas noté financièrement AAA et que notre dette s’accroît, on a moins de marge de manoeuvre que d’autres.

L’argent alloué à l’importation du lait en poudre pourrait être redirigé vers le secteur de l’énergie (secteur pourtant bien moins important qu’en France). Alimentation et énergie sont tellement liés dans ce cas que l’exportation de notre excédent laitier nuit à l’approvisionnement énergétique d’un pays du Sud. Comme le marché est bien fait… Que c’est attendrissant.

Nous le répétons : si la souveraineté alimentaire n’avait pu être un droit reconnu largement au secours des pays du Nord, alors les mots de souveraineté alimentaire n’auraient peut-être jamais eu le poids idéel qu’on leur connaît actuellement.

Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il faut bien de la décroissance pour les uns, et ce ne sont pas les Sénégalais qui devront s’y plier !

Recette pour une décroissance: prendre un pays du Nord; trancher sans pitié une agriculture qui tue la terre… « Ager, agri » veut quand même dire « terre », ce serait bien de ne pas la bousiller… Mais aussi, découper menue une économie entière qui bousille tout, y compris par le biais des classements « très spéculatifs » rendus par les agences de notation financière… Faire bouillir cette économie-là jusqu’à ce que le homard économique en question ne bouge plus (une économie qui se base notamment sur un manège incessant et très souvent irrationnel des transports).

Le « rattrapage économique » effectué par les autres ne créera ainsi pas une monstruosité environnementale, si la décroissance a été suffisante. Il faut au moins que cette décroissance, qui est nécessaire, soit suffisante, pour reprendre des termes de la mathématique. Le rattrapage économique (thèse défendue mordicus dans le milieu des économistes) ne pourra jamais se faire à un niveau dont on voit déjà les limites: notre Europe est déjà malade de sa croissance ! Les Etats-Unis aussi ! Que dire du Japon qui vit un drame pourtant prévisible et prévu par certains ?

En France, il y a un mécontentement social quand l’essence est trop chère. Mais n’en déplaise aussi aux Français, le mécontentement social est aussi au Sénégal, à plein de détails près: entre autres, la souveraineté alimentaire n’est pas acquise là-bas. Mais attention pour nous aussi: la souveraineté alimentaire n’est peut-être pas éternelle, avec notre modèle agricole productiviste monstrueux…

Alors, décroissance ? Ou au-Sénégal-je-pars-en-vacances ?

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[1] http://www.popxibaar.com/NOTATION-FINANCIERE-Moody-s-classe-le-Senegal-dans-la-categorie-tres-speculatifs_a4285.html

Image: publicité sénégalaise pour le lait Nestlé Gloria

23,16 milliards de dollars (2009)

2 commentaires sur “Alimentation et/ou énergie au Sénégal: eux aussi en veulent, et de la bonne !

  1. Legeographe Auteur

    Et le 11 mars dernier :
    http://www.pressafrik.com/Wade-sur-les-delestages-Les-senegalais-sont-d-une-grande-intolerance_a52245.html

    Les Sénégalais sont toujours mécontents de ne pouvoir compter sur une électricité fiable dans le temps, ils manifestent contre les délestages à répétition.

    Si quelqu’un connaît mieux que moi le problème (contexte géographique ou question énergétique et réseaux électriques) ou qui la vit, qu’il nous explique la situation. J’avoue que mon entrée est clairement économique et donc amputée de beaucoup.

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