Réflexion sur l’après Fukushima 3ème partie
L’accident de Three Miles Island en Pennsylvanie en 1976 avait stoppé nette la prolifération des centrales nucléaires sur le vaste territoire des États-Unis. Le programme était pourtant parti sur des chapeaux de roue, 104 réacteurs en moins d’un quart de siècle… C’était la belle époque où le pétrole à gogo faisait couler à flot le béton et le bitume et menait dans l’euphorie générale l’économie sur un train d’enfer, jusqu’au premier « choc nucléaire »…
Three Miles Island, Tchernobyl, Fukushima, trois « chocs nucléaires », on peut déjà soupçonner où se fera l’inévitable et prochaine déflagration nucléaire. Dans l’internationale des travailleurs du nucléaire la France concentre définitivement sur elle tout le potentiel nécessaire pour accueillir cette future apothéose nucléaire.
Le tremblement de terre et la catastrophe de Fukushima ont ébranlé et décrédibilisé les certitudes nucléaires et remis de l’ordre dans les rangs des écologistes. La surchauffe médiatico-scientifique sur le réchauffement climatique dans l’intervalle entre Tchernobyl et Fukushima avait pu isoler un bloc hétérodoxe d’écologistes pour le compacter au camp nucléaire de « sauvetage de la planète » par l’atome. Avec le temps ce flux toujours croissant « d’écologistes pro nucléaire », la masse critique était assurée pour une prolifération explosive de centrales à travers le monde. Au moment même où le « Peak Oil » était annoncé de manière officielle le nucléaire était fin prêt pour un « come back » salvateur. « Nucléaire le grand retour » (1), les projets de centrales se chiffraient par centaines. Mais c’est une autre réaction en chaîne qui s’est produite à la suite de « l’événement niveau 7 » à Fukushima.
Événement « anti-nucléaire » de niveau 7
L’onde de choc a été d’une violence extrême, à l’événement nucléaire de niveau 7 survenu à Fukushima a succédé un « événement antinucléaire » de même intensité dans un autre pays phare du capitalisme mondial, l’Allemagne.
Presque de la mécanique Newtonienne, la décision de la Droite Allemande de se « rallier » au camp anti-nucléaire a été aussi déterminante qu’inattendue, en répercutant totalement l’onde de choc nucléaire de Fukushima elle produisait une onde de choc en sens opposé, « antinucléaire ». Car ce pays a non seulement choisi une sortie du nucléaire, mais aussi de le faire vite avec une célérité visible à l’échelle humaine. L’Allemagne renonce à ses 20% d’électricité d’origine nucléaire. En toute objectivité, l’effort n’est pas très colossal en soit, puisque dans le mix énergétique de ce pays cela ne représente en fait que 5% en ordre de grandeur de sa consommation totale d’énergie. Dix sept réacteurs vont cesser dans la décennie d’ici 2022 et on sera encore vivant à cette date pour voir ça. Deux mois après un évènement « niveau 7 » survenu dans une centrale des antipodes, ce pays avec sa Droite au pouvoir totalement acquise à une reprise du nucléaire décide de faire machine arrière et de mettre fin à l’Age Atomique.
Plus grave encore, pour l’internationale des travailleurs du nucléaire, l’Allemagne s’apprêtait justement à relancer la construction de centrales avec des « arguments en béton armé ». Prudente elle avait choisi le « meilleur réacteur », « le plus sûr au monde », l’EPR d’Aréva. La sûreté nucléaire était assurée et l’opinion sécurisée, pourrait-on dire… Rien ne laissait prévoir un si radical revirement, car il s’agit bien d’une prise de décision rapide pour une sortie rapide du nucléaire. Par ce choix historique pour ce complexe militaro-industriel né aussi à « La Belle Époque », l’Allemagne répercute en l’amplifiant l’onde de choc de Fukushima et bien au-delà de la mouvance écologiste. Avec toutes ces conséquences cet « événement anti-nucléaire » dépasse certainement le « niveau 7 », la France se retrouve encore plus enfermée dans son exception culturelle, hermétiquement confinée dans sa « folie du nucléaire ».
Fin d’un conflit cornélien sans fin
L’Italie elle aussi, vient de renoncer au nucléaire. Elle avait pourtant quatre EPR, au moins, en commande chez Aréva. Ici aussi l’avenir de l’Age Atomique semblait assuré, rayonnant même tout juste avant Fukushima… Cependant quelques notes dissonantes se faisaient entendre depuis quelques temps. Très nettement perceptibles et persistantes dans ce pays de grande tradition musicale, elles devenaient compromettantes pour une relance rapide du nucléaire.
Car elles ne venaient pas des écologistes mais bel et bien de la Droite elle-même, héréditairement très favorable au nucléaire. Une harmonisation difficile à surmonter devenait de plus en plus pesante sur les consciences. Le nucléaire est une arme redoutable du pouvoir mais ne doit pas nuire au pouvoir établi. Là était le problème dans ce pays sans grande école polytechnique à la mode française pour sécuriser en coulisse les rouages du pouvoir. Livrée à elle-même, sans chef machiniste en coulisse, la classe politique n’a pas pu maintenir le « bon cap ». Tous les élus de Droite en effet étaient de fervents partisans du nucléaire dans l’hémicycle mais avec la même ferveur aucun ne voulaient en entendre parler dans leur fief.
Trop longtemps tenaillés et partagés, pour les uns entre l’amour du pouvoir et la raison nucléaire et pour les autres entre la raison d’État et l’aventure nucléaire, ils ont laissé au peuple le soin de les départager et c’est l’amour des « Quatre Saisons de l’Italie » qui a été choisi. Lors du référendum de juin 2011 c’est un rejet massif du nucléaire qui s’est exprimé, à plus de 90% les italiens ont voté pour une « sortir de la folie nucléaire »…
Devant ce raz-de-marée historique, les ténors politiques de ce pays sont maintenant soulagés et en paix avec leur conscience, délivrés de leur cruel conflit cornélien.
Pragmatisme très helvétique
La Suisse s’intègre dans le pool de tête avec l’Allemagne et l’Italie. Elle forme l’axe antinucléaire ou encore le cordon sanitaire autour de l’exception culturelle française. Une semaine avant l’Allemagne le Conseil Fédéral Helvète a décrété la sortie progressive du nucléaire, le début de la fin commence en 2019 et une fin définitive est prévue en 2034. Une sortie lente toute helvétique mais une décision énergique tout à fait logique et même urgente pour ce petit pays de montagne. Ce ne sont pas l’air frais des montagnes ni l’aérologie liés aux reliefs qui ont rebuté les nuages radioactifs, mais ceux-ci préfèrent les grands espaces libres et ouverts, les vents géotropiques et la circulation générale de l’atmosphère pour s’étendre et faire le grand voyage planétaire.
Avec 5 réacteurs assurant 30% de l’énergie électrique, la sortie du nucléaire apparaissait difficilement « réaliste » comme disent les économistes… Mais le pragmatisme a quand même triomphé, comme on dit : « les affaires sont les affaires ».
La Suisse est une puissance financière reconnue et respectée dans le monde des affaires, elle ne peut raisonnablement pas être suspectée de compromission écologiste. Un célèbre sociologue spécialiste des « questions internationales » confirme et parle « d’Une Suisse au dessus de tout soupçon ». De gros clients lui font entièrement confiance. Il est donc normal que les Banquiers Helvétiques se montrent à la hauteur de leurs responsabilités financières internationales.
« La Suisse lave plus blanc » (2) insiste le célèbre sociologue, ce serait dommage de gâcher les bonnes et volumineuses transactions financières pour des centrales nucléaires. De plus le blanchiment de l’argent sale ou propre a dû encore se perfectionner depuis le siècle dernier. Très certainement aujourd’hui la Suisse doit « laver plus blanc que blanc » avec des transactions financières « moralisées » mais toujours très peu consommatrices d’énergie contrairement aux transactions marchandes. Pourquoi prendre des risques inutiles avec le nucléaire? Que deviendrait les flux financiers si une fissure venait lézarder un réacteur?
Dans ce pays miraculeusement capable d’assurer un volume exceptionnel de transactions financières nettement supérieur à celui des transactions marchandes, le pragmatisme doit rester de rigueur en toute chose. Il ne peut pas se laisser divertir par des mythes devenus archaïques du type de la « sureté nucléaire » même française.
Non, il est impossible de soupçonner la Suisse de manquer de pragmatisme dans sa décision de sortir du nucléaire.
« Gouverner c’est mentir !», mais il y a des limites…
Lorsque l’on en arrive à se mentir à soi-même et que le déni de réalité devient un mode de pensée systématique l’on entre de plein pied dans le domaine de la pathologie psychiatrique, même si l’on est détenteur absolu du pouvoir. Le clone des nucléocrates à la française a certainement subi une mutation terminale pour en être arrivé à cette impasse de la surenchère dans le mensonge systématique. Certes « gouverner c’est mentir » mais il y a des limites. Plus d’un demi-siècle de consanguinité dynastique dans la « Noblesse d’État », a abouti à cette nécessaire déchéance mentale du mensonge total pour le perfectionnement du pouvoir …
Non seulement l’événement nucléaire de niveau 7 à Fukushima ne semble pas avoir affecté la caste gouvernante des technocrates à la française, mais en plus, elle est restée presque insensible aux « événements antinucléaires » de niveau 7 survenus en Europe à la frontière même du territoire national.
Le déni de réalité est devenu durable et flagrant, il structure l’organisation idéologique du pouvoir. Mais dans la sphère psychiatrique il relève d’une structure psychotique de la pensée.
Un haut responsable d’Aréva, interrogé sur la sortie du nucléaire en Italie avec la perte de gros contrat d’EPR représentant plusieurs milliards d’Euros, a annihilé l’événement. Blindée, la belle « Atomic Anne » a répondu : « Nous réalisons plus de 80% de notre chiffre d’affaire avec le nucléaire installé [en France et à l’étranger] (3)». L’offre de Mox, comme à la centrale de Fukushima, en fait partie … Cinq milliards d’euros pour les quatre premiers EPR qui partent en fumée c’est quand même un gros coup dur pour Aréva…
L’interminable « Bérézina » technico-financière de l’EPR en Finlande comme en France ne semble pas affecter non plus la caste gouvernante française, entièrement immergée sous l’emprise mentale d’une dynastie consanguine de nucléocrates. L’hermétisme psychotique de la pensée est maintenant caractéristique… Même « Les Verts », nos « écolos » nationaux qui sont loin d’être des « Khmers Verts » antinucléaires, aboutissent au même diagnostic psychiatrique et exigent dans leur programme électoral une « sortie de la « folie » nucléaire »…
Technocrates contre nucléocrates.
En Europe, le cas Français semble désespéré. Mais il ne faut pas trop se faire d’illusion pour les autres nations.
L’écologie ne progresse pas à grand pas en Europe, même si le nucléaire vient de subir un échec historique. Cette série de désertions soudaines, ou, plus exactement, ces prises de décision urgentes d’état-major naguère très favorables au nucléaire doivent être interprétées bien au-delà des stricts aspects techniques d’une politique énergétique et encore des craintes écologiques d’une éventuelle catastrophe atomique.
Pour des États européens, héritiers blindés d’un long et très glorieux passé guerrier remontant à la Haute Antiquité, ce ne sont pas les graves et insolubles inconséquences écologiques archi-connues du nucléaire qui sont la cause de ces désertions, mais bien l’impasse technico-financière de cette entreprise. Les conséquences économiques catastrophiques et durables d’un événement nucléaire sont maintenant très nettement perceptibles depuis Fukushima.
Platon disait que le courage est de savoir prendre la fuite au bon moment quand dans l’évolution d’un combat la victoire apparaît illusoire. La lucidité dans l’action et en situation de crise définissait le courage pour le vieux philosophe, mais un demi-siècle de consanguinité dans le clone polytechnique l’a anéanti pour la France. Pour les autres pays, c’est bel et bien le pragmatisme bête, prudent et intelligent qui s’est manifesté devant l’absence d’avenir économique de l’entreprise nucléaire.
« L’âge Atomique » est à inscrire au passif de la grande époque des États-Nations, historiquement fondés sur la spoliation massive des deniers publics. Il est difficile de lui imaginer un avenir avec la montée en puissance d’une économie dominée par transnationales. Il n’est plus viable ou immédiatement rentable dans une économie qui fantasme en permanence sa dématérialisation. Le mensonge ne peut plus continuer. Le gouffre financier monopolisé est une certitude économique et en lui-même n’est plus acceptable dans un monde gouverné par les transnationales la dette publique doit être partagée.
Seules l’exacerbation de l’arbitraire et l’exception culturelle du clone polytechnique français peuvent faire survivre le nucléaire.
Pour le capitalisme mondial le sacrifice d’un territoire sur l’autel de la science et de ses mythes, « atome pour la paix » et « sureté atomique », appartient à un autre âge. Il est en définitive devenu contre-productif. Le souci minimum d’un État, même totalitaire, doit être au moins en toute logique élémentaire d’assurer son intégrité territoriale. Cette exigence, un militaire peut la comprendre. Préserver les terres dans un état viable et présentable pour être négociables dans la spéculation immobilière, là ça relève de la science économique, on s’élève au dessus des possibilités intellectuelles d’un militaire.
Si le grand public a le droit de se laisser bercer de promesses, de croire aux « énergies propres » « pas chères » « zéro émission » ou encore d’être mal informé, les autorités politiques d’un pays par contre ont d’autres grilles d’analyse très pragmatiques. Chargées d’assurer la pérennité de la dette public, « l’aliénation de l’État » au profit des transnationales, elles ne peuvent pas se permettre d’ignorer les conséquences économiques durables d’un « événement nucléaire de niveau 7 »
Un gouvernement ne peut pas ignorer les données de ses propres experts et entre autres les graves « incertitudes techniques » qui pèsent sur l’avenir de l’EPR d’Aréva même par amitié politique. En 2009, « trois autorités de sûreté nucléaire » ont mis en doute « la fiabilité de l’EPR », le « réacteur le plus sûr au monde » d’après Aréva. « La remise en cause sans précédent de l’EPR est un coup dur pour la filière nucléaire française » tirait Le Monde du mercredi 4 novembre 2009. Et il ne peut pas s’agir de guerre ou de concurrence industrielle et encore moins de patriotisme économique, car la solidarité est reine dans l’internationale des travailleurs du nucléaire. Les trois autorités, française (ANS), britannique (HSE/ND) et finlandaise (STUK) « demandent aux futurs exploitants de ces centrales, « d’améliorer la conception initiale de l’EPR », c’est le système de contrôle-commande, le cerveau du réacteur qui est en cause. » (4)
Sortir du nucléaire pour libérer la dette publique
Le capital est une machinerie très complexe mais aussi très bête dans son fonctionnement. Si l’on s’en tient aux fondamentaux du capitalisme : « la dette publique », « l’aliénation de l’État », le nucléaire est une arnaque très efficace pour la spoliation des contribuables. Mais elle a trop duré, plus d’un demi siècle d’Age Atomique pour une production toujours dérisoire d’énergie dans le « mix énergétique » total dans les pays industrialisés… Avec en plus la menace permanente et aujourd’hui palpable d’une catastrophes nucléaire, trop c’est trop!
Dans un monde où, depuis « La Belle Époque », « les affaires sont les affaires », de l’avis général les arnaques les plus courtes sont les meilleures. C’est ça la « démocratie avancée », la dette publique fait vivre, elle doit être partagée, le monopole nucléaire doit être aboli. Les convives dans le domaine énergétique se sont multipliés et réclament leur part du gâteau.
« Le crédit public voilà le credo du capital » (3) et le nucléaire doit s’y soumettre et surtout pas le menacer. Après Fukushima dévoilant si nécessaire l’insécurité intrinsèque du nucléaire et les interminables « Bérézina » technico-financières de l’EPR d’Aréva en Finlande et à Flamanville, pour l’économie il devient urgent de tourner la page et de sortir de l’Age Nucléaire. « Il faut bien que les affaires reprennent un cours normal ! » L’argent « propre » et l’argent sale doivent pouvoir s’ébattre ensemble en toute quiétude dans la discrétion feutrée des banques spécialisées pour ça.
Il n’y a donc pas que des raisons écologiques pour sortir du nucléaire. Raisons techniques et raisons économiques, la sérénité des transactions financières, ont eu raison du nucléaire dans des pays phares du capitalisme mondial.
Tours le 25 août 2011
JMS
(1) Courrier International n° 956 février mars 2009 « Nucléaire le grand retour. » « 240 « centrale en projet dans le monde » titre de la couverture.
(2) Jean Ziegler « Une Suisse au-dessus de tout soupçon » Seuil 1976, « La Suisse lave plus blanc » Seuil 1990.
(3) Le Monde Jeudi 16 juin 2011 « Le rejet massif du nucléaire par l’Italie, nouveau coup dur pour la filière française. » « EDF devait construire, en partenariat avec Enel, quatres réacteur EPR dans la Péninsule.
(4) Le Monde mercredi 4 novembre 2009
(5) Karl Marx Le Capital Livre 1er Le développement de la production capitaliste, Section 8: L’accumulation primitive, Chapitre 31: Genèse du capitaliste industriel.
Crédit image: Abri atomique disponible ici! http://atomic-annhilation.blogspot.com/