A quoi bon construire des LGV si c’est pour élargir des autoroutes?

Le Président Hollande a déclaré sa flamme aux dirigeants du bétonneur Vinci Autoroutes, qui appartient au même groupe que le contractant du projet d’aéroport de Notre-Dame des Landes et de la LGV « L’Océane » Tours – Bordeaux, à l’occasion du lancement d’un chantier d’élargissement autoroutier sur un axe desservi par une LGV ouverte il y a six ans.

Le 28 juillet dernier, le Président Hollande s’est rendu à Rivesaltes, dans les Pyrénées Orientales, pour inaugurer le chantier d’élargissement de l’autoroute A9 vers l’Espagne. Il a, en présence du PDG de Vinci Autoroutes, célébré les vertus de l’autoroute A9, en précisant que « [ses] travaux (…) représentent un investissement de 180 millions d’euros pour le groupe Vinci. L’A9 est un ouvrage majeur pour la grande région, son attractivité, son rayonnement ». Il aurait pu expliquer pourquoi l’ancienne région Languedoc-Roussillon, traversée quasiment de part en part par cette autoroute, tutoie les records de France en matière de pauvreté et de chômage…

Viva Vinci !

Et, au cas où les choses ne seraient pas assez claires, il a fait les yeux doux à Vinci Autoroutes (qui appartient au groupe qui doit construire et exploiter l’aéroport de Notre-Dame des Landes, pour rappel) : « Je veux remercier les sociétés concessionnaires, car elles contribuent à la sécurité des automobilistes. L’autoroute A9 est stratégique pour notre pays, c’est la troisième autoroute la plus fréquentée de France après l’A7 et l’A1. (…) L’A9 est une infrastructure européenne. Ici, c’est l’Europe ».

L’Europe ? Certes, mais une Europe des bétonneurs, et il fallait cela pour plaire à Vinci.

Le Président s’est fendu, comme il était prévisible, d’une envolée écolo : « les grands ouvrages ne sont pas contraires à la préservation de la biodiversité ». Il n’est pas allé jusqu’à dire que prendre l’autoroute était plus écolo que de prendre le train, comme il l’avait fait à propos des autocars au début de l’année 2015, mais cela lui a probablement brûlé les lèvres.

Lancé à l’automne 2015 par le gouvernement, le plan de relance autoroutier prévoit 3,27 milliards d’euros d’investissements sur trois ans, sans qu’il en coûte au contribuable, d’après le Président. En fait, les concessionnaires lancent ce plan en échange d’un allongement de la durée de leur concession, pendant laquelle l’Etat ne pourra pas récupérer l’exploitation des autoroutes ni les recettes qui en découlent. Le coût pour le contribuable prend donc la forme d’un amoindrissement des recettes futures.

Quant au plan d’investissement, il n’est pas énorme dans l’absolu, mais il compte dans un contexte où l’Etat s’engage dans la voie d’un désengagement ferroviaire sans rivage, avec un mépris complet pour les problèmes d’environnement et de société que cela pose, et dans un consensus complet parmi les partis établis.

La LGV entre Perpignan et Barcelone : un grand projet inutile…

Enfin, un détail concerne plus spécifiquement l’axe de l’A9 entre Perpignan et l’Espagne à cet endroit, et il croustille sous la dent. En 2010, les autorités ont inauguré une ligne ferroviaire parallèle à cet axe autoroutier, la LGV Perpignan – Figueras, prolongée jusqu’à Barcelone depuis. Or, le consortium privé qui gérait la ligne est en redressement judiciaire, reflet du fait que la LGV transporte un trafic de marchandises faible voire résiduel, et un trafic bien faible en voyageurs, de l’ordre de 800 000 voyageurs par an, ce qui équivaut à une quinzaine de jours de trafic sur l’A9 à cet endroit, selon les chiffres donnés par Vinci. Autrement dit, non seulement la LGV n’a provoqué aucun report de la route vers le rail, mais l’augmentation de la mobilité rend nécessaire un élargissement de la voirie routière parallèle.

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Pour le dire autrement, on s’aperçoit, quatre ans après sa mise en service, que la LGV Perpignan – Figueras a été un grand projet inutile. Cette notion n’est pas qu’un phantasme d’écolo attardé, et peut donc s’appliquer à un projet ferroviaire. Le souci est qu’une infrastructure ferroviaire n’a de sens que si un contexte favorable accompagne son développement. Or, du point de vue du fret ferroviaire, l’Espagne est dans une seconde division en Europe, et la France l’y suit d’assez près ; or, une ligne ne va pas créer de trafic de son propre fait, si le trafic ferroviaire ne fait pas l’objet de mesures volontaristes, compte tenu de surcroît de la stagnation économique que connaît l’Europe.

… qui préfigure le tunnel entre Lyon et Turin

Or, cette ligne se compare, par un certain nombre d’aspects, au projet de tunnel entre Lyon et Turin : un massif montagneux à franchir, un axe transfrontalier où les trafics ferroviaires sont minoritaires. Et les justifications de la mise en service de la LGV Perpignan – Figueras (dans le style : « un symbole de l’Europe unie qui doit permettre un report modal vers un mode ferroviaire non polluant », et blablabla), sont exactement les mêmes que celles des défenseurs du Lyon – Turin aujourd’hui, selon un spectre qui va de certains syndicats cheminots à l’ensemble des partis politiques établis, en passant par la FNAUT. Or, les mêmes causes produisant les mêmes effets, le Lyon – Turin n’aura sans doute aucun effet sur la circulation routière à travers les Alpes, comme le Perpignan – Barcelone n’en a eu aucun sur la circulation à travers les Pyrénées. Les partisans du Lyon – Turin ne pourront pas dire que ce phénomène était imprévisible, puisqu’il se sera déjà produit ici dans les Pyrénées.

Bien cordialement,

Vincent Doumayrou,
auteur de la Fracture ferroviaire, pourquoi le TGV ne sauvera pas le chemin de fer,
Préface de Georges Ribeill. Les Editions de l’Atelier, Ivry-sur-Seine, 2007.
https://blogs.mediapart.fr/vincent-doumayrou/blog

3 commentaires sur “A quoi bon construire des LGV si c’est pour élargir des autoroutes?

  1. Marie LABAT

    absurde, injuste, dramatique pour notre écosystème. je ne vois plus qu’une solution : qu’ils s’en aillent tout et qu’on puisse enfin démarrer la grande transition.

  2. alain

    Les LGV sont comme les autoroutes. Cela ne correspond pas vraiment à un besoin général (sauf pour ceux qui croient aux discours) mais qu’à une chose: faire du fric sur le dos du pays pour que quelques larrons s’enrichissent et payent un bon diner à ceux qui leur filent les contrats.
    Que font-ils à ce diner? Ils se marrent en pensant à tous ces projets qui passent à tout les coups. Après le dessert, au moment du café, ils doivent déjà décider le projet suivant.

  3. Vincent

    Marie LABAT > je ne vois plus qu’une solution : qu’ils s’en aillent tout et qu’on puisse enfin démarrer la grande transition.

    Malheureusement, ça n’est pas du tout ce qui se prépare.

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