Hier, j’aperçus, arrêté devant un grand café des boulevards, un de ces mastodontes blindés, lourds et puants que les revues sportives s’accordent à qualifier d’automobiles gracieux et légers. La vue de ces machines à écraser le monde ne m’intéressant pas outre mesure, j’allais continuer mon chemin lorsqu’il me sembla reconnaître dans ledit appareil l’équipage « dernier cri » appartenant à mon ami S…, sportman bien connu, membre de plusieurs cercles sportifs et de nombreuses sociétés plus sportives encore.
Je ne me trompais pas, ce brave S… déguisé en veau marin, était assis à la terrasse du café en compagnie de deux dames déguisées en… mettons en scaphandriers pour être convenable.
Compliments, salutations, serrements de mains. Nous nous demandâmes mutuellement des nouvelles de nos familles et, quand vint le tour des amis:
– Et ce bon Gustave, questionnai-je. Y a-t-il longtemps que vous ne l’avez vu?
– Gustave? répéta l’ami S… vous me demandez des nouvelles de Gustave? Vous ne savez donc pas qu’il est en prison?
Je bondis sur ma chaise. Gustave en prison ! En prison Gustave! Lui, la crème des bons garçons! Incapable du moindre méfait! Gustave, fils d’un notable commerçant ! A la tête lui-même d’une importante entreprise! Lui, Gustave, que j’avais connu jouissant de la Considération générale, en prison! C’était impossible!
Et déjà, prévoyant une colossale erreur judiciaire, j’entrevoyais une longue série d’articles indignés qui certainement pousseraient mon nom à la célébrité.
– Voilà, m’expliqua complaisamment mon ami S… l’histoire, quoique lamentable, tient en peu de mots. Vous savez que ce pauvre Gustave était devenu en quelques semaines un fanatique de l’Automobilisme. Figurez-vous qu’il s’est fait dresser procès-verbal pour excès de vitesse et qu’il a écopé de 15 francs d’amende et de trois jours de prison.
– Ah! ça n’est que ça? fis-je désappointé.
– Comment, ça n’est que ça! rugit mon ami furieux. N’est-ce pas assez! C’est tout ce que vous trouvez â répondre en face d’une pareille infamie? Vous n’êtes pas indigné, vous, un journaliste, de penser qu’à notre époque de progrès on vous flanque en prison, comme des malfaiteurs, d’honnêtes gens qui n’ont commis d’autre crime que d’outrepasser un règlement absurde!
– Pourquoi l’outrepassent-ils ? hasardai-je timidement,
– Laissez-moi donc tranquille, c’est honteux! Est-ce qu’une amende ne devrait pas suffire! Les automobilistes ne sont pas des criminels, que diable!
– Cependant, les écraseurs…
– Il n’y a que les maladroits qui écrasent !
– C’est déjà gentil !
– Or, ceux-là tombent sous le coup de la loi concernant les homicides et blessures involontaires. Mais pour nous qui n’écrasons personne, la sévérité avec laquelle on condamne nos excès de vitesse, n’est-elle pas un véritable abus? Quand je pense qu’il y a quelques jours, un brave garçon, un étudiant en droit – vous connaissez l’affaire – a été à deux doigts d’avoir tout son avenir brisé par une peine de prison encourue pour une pareille bagatelle! Et tant d’autres, comme ce pauvre Gustave, à la tête d’une honorable situation, vont voir peu à peu se remplir leur casier judiciaire! c’est une indignité, je vous dis!
– Cependant…
– Eh, sacré nom d’un chien, qu’on élève les amendes mais qu’on ne flanque pas de prison dans ce cas-là! Au lieu de gratifier Gustave de quinze francs d’amende qu’on lui en ait fourré pour cinquante, cent, cinq cents, je comprendrais encore ça! Mais trois jours de prison comme un escroc ou comme un poivrot! pour avoir dépassé la vitesse réglementaire! Ah! elle est chouette votre République!
Mon ami S,., prit d’un geste rageur son verre dont il but une gorgée, ce dont je profitai pour parler à mon tour.
– Mon cher ami, vous convenez vous-même qu’il y a des gens, fous ou extravagants, qui outrepassent le règlement en vigueur. Même vous êtes assez bon pour convenir que ces gens méritent une punition et vous admettez pour eux une amende proportionnée à leur délit. Laissez-moi vous dire, tout en regrettant l’aventure arrivée â notre ami Gustave, que la prison est beaucoup plus pratique. Gustave aurait été condamné à 500 francs d’amende au lieu de 15 qu’il s’en serait fichu comme de sa première culotte et que cela ne l’aurait nullement empêché de recommencer.
Pour des gaillards comme lui – comme vous – qui ont les moyens de se payer des mécaniques de plusieurs milliers de francs, la question « galette » est assez secondaire. Au contraire la prison est un châtiment qui les atteint beaucoup mieux et les fera réfléchir bien davantage. Il ne s’agit pas là d’ouvrir son porte-monnaie et de payer, mais de solder la note au prix de sa liberté. Le mot de prison seul est toujours salutaire dans ces cas-là.
Or il faut qu’une peine soit salutaire. Celle que vous admettez ne peut pas l’être. Lorsque j’étais jeune, mes parents, pour me punir, ne me privaient pas de fromage, sachant fort bien que je ne l’aimais pas, mais de confitures pour lesquelles j’aurais fait des folies.
Il n’y avait donc qu’une façon de réfréner vos ardeurs, messieurs de l’auto: la prison additionnée d’une amende pour la forme. C’est pourquoi, bien que journaliste, je ne trouve à critiquer ni le règlement que vous qualifiez d’absurde, ni la façon dont on punit ceux qui ne l’observent pas. Les existences humaines sont encore, de nos jours, assez précieuses pour que l’on se donne la peine de les protéger vis-à-vis des fous et des imprudents.
Et si j’avais à créer une loi concernant les automobilistes, elle différerait peu de la façon dont vous êtes actuellement traités. J’y ajouterai seulement un petit article additionnel ainsi conçu: « Outre la peine de prison et l’amende qu’il aura encourues, le délinquant sera puni de l’interdiction temporaire de conduire aucune machine automobile. En aucun cas cette interdiction ne pourra être d’une durée inférieure à un mois. »
Voilà qui serait pratique et efficace !
Lorsque je pris congé de mon ami S…, il me semble qu’il me serrait la main moins solidement que la première fois, et je crus remarquer que les deux dames qui l’accompagnaient se détournaient de moi en affectant le plus complet dédain.
Dieu que ces gens-là ont de sales caractères !
Source: La Justice / dir. G. Clemenceau ; réd. Camille Pelletan, 10 septembre 1900.
Bonjour à tous et toutes,
Tout excès de vitesse sur une voie publique, surtout avec un véhicule à moteur, contribue à endommager, dégrader, voire, détruire, démolir, le revêtement de voie publique et parfois son support, pont ou tunnel au delà de ce qui est autorisé.
Ce qui coûte très cher à réparer
Cela peut aller jusqu’à des destructions de vies humaines dans ce qui est encore appelé « accident ».
Beaucoup de gestionnaire de voiries de papier ne semblent pas en tenir assez compte, compte tenu des peines infligées pour des excès de vitesse.
Quels peines ont reçues des gens qui ont dégradé des monuments public ou des tableaux, donc juste une image quand ils se sont collé dessus?
Deux poids, deux mesures en justice?
Tous ces automobilistes, gestionnaires de voiries de papiers, magistrats, responsables et politiques même de la santé publique n’agissent t’ils pas comme des vendus à l’industrie automobile qui nous empoisonne tous les jours, avec, entre autre des oxydes d’azote et d’autres gaz d’échappements?
A votre service.
Letard Danny