La Famille

Cet article est extrait d’une recherche exploratoire de l’INRETS, commandée par la « Mission Transports » de la Direction de la Recherche et des Affaires Scientifiques et Techniques du Ministère de l’Equipement (DRAST), intitulée « Mobilité urbaine et déplacements non motorisés : situation actuelle, évolution, pratiques et choix modal« .

L’auteur de ce travail est Vincent Kaufmann, chercheur à l’Institut polytechnique fédéral de Lausanne.

La Famille

a – Introduction

La sociologie de la famille compte parmi les champs constitués les plus classiques des sciences sociales. Cependant, comme le regrette Jean Kellerhals (1995) la recherche n’aborde que marginalement le thème qui nous intéresse ici, à savoir les liens entre le système de mobilité spatiale et l’insertion familiale.

Le parcours de vie familial se trouve au cœur des interrogations propres à cette problématique, tant la mobilité quotidienne lui est associée : la composition des ménages ressort, en effet, comme très fortement liée aux usages en la matière.

L’approfondissement de ces questions montre que l’ensemble du système de mobilité spatiale est concerné par cette dimension, que ce soit en termes de rythmes ou d’équilibres.

b – Du ménage à la personne

La consommation de biens d’équipements est actuellement en mutation au sein des ménages. D’un modèle marqué par le partage des biens au niveau du groupe familial, on passe progressivement à un modèle marqué par la possession individuelle. Parmi les équipements que cette tendance concerne, relevons en particulier la télévision et l’automobile. Cette tendance participe à un mouvement plus général d’individualisation et d’individuation de la vie sociale au sein des familles, qui se traduit par l’accroissement des personnes vivant seules (Bonvalet, 1997), par l’estompement du partage des rôles au sein de la famille et une recherche d’épanouissement de soi.

Concernant l’automobile, le passage de l’automobile familiale à l’automobile personnelle a été observée par de nombreux chercheurs qui ont constatés qu’elle est associée à l’activité professionnelle de la femme dans le ménage (Salomon et al, 1993). L’appropriation individuelle de l’automobile supprime la négociation au sein des groupes familiaux pour sa disposition. Elle a aussi pour conséquence que le nombre de personnes captives des transports publics ne cesse de diminuer. Il en résulte une perte d’habitude d’utiliser les transports collectifs qui conduit à une « automobilo-dépendance », dans la mesure où la mobilité quotidienne n’est plus pensée qu’en fonction de la voiture individuelle.

En revanche, du fait que l’automobile individuelle accompagne souvent une double activité professionnelle au sein d’un ménage, une nouvelle source de négociation peut apparaître au niveau de la localisation résidentielle. C’est ainsi que les équilibres du système de mobilité spatiale se trouvent modifiés par la transformation des relations sociales au sein des ménages. L’allongement de la pendularité et l’élargissement des bassins de vie qui en résulte peut conduire à des arbitrages entre mobilité quotidienne et mobilité résidentielle lorsqu’il y a deux actifs dans un ménage. Où la famille choisit-elle de se localiser dans le cas où les deux actifs pendulent vers des agglomérations urbaines différentes ? dans la réponse à cette question, les accessibilités géographiques vont jouer un rôle central et les choix modaux seront souvent déterminants.

Considérée dans une perspective temporelle, cette question est encore plus complexe lorsque des opportunités professionnelles se présentent hors du bassin de vie du ménage. Il peut alors en résulter la pratique du double domicile, dont les statistiques nous disent qu’elle est en pleine croissance.

c – Parcours de vie familial et mobilité résidentielle

Le parcours de vie familial est associé à un parcours de mobilité résidentielle. Des changements d’établissements scolaires, le début de la vie professionnelle, un changement de travail, la cohabitation, la naissance d’un enfant, le passage à la retraite, etc., sont autant de moments de transition dans le parcours de vie, qui modifient les pratiques de mobilité quotidienne, voire suscitent une mobilité résidentielle ou une migration interrégionale (Bourgin, 1980). Assez fréquemment, ces passages sont de nature à modifier les équilibres mêmes du système de mobilité spatiale par la modification de ses rythmes (« décélération » ou « accélération » du rythme des voyages, des déplacements quotidiens, etc.).

Ce phénomène est particulièrement frappant pour la mobilité résidentielle. Les jeunes habitent volontiers les grandes villes-centres. Les ménages avec des enfants recherchent des localisations résidentielles proches de la nature, si possible avec un jardin. Les couples ou personnes seules plus âgées ont une certaine tendance au retour vers le centre des agglomérations urbaines pour des questions liées aux facilités d’accessibilités.

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Le tableau 2.2 illustre ces tendances en présentant le taux d’habitat individuel suivant l’âge.


Source : Bernard (1997)

Les raisons de l’association que l’on constate entre le parcours de vie familial et les localisations résidentielles sont liées aux dimensions contraintes et choisies du mode de vie :

• Au niveau des contraintes, la taille, le prix des logements et le marché foncier expliquent une part de ces relations : il y a plus de petits appartements bon marché dans les centres, les grands logements se trouvent souvent dans les périphéries sub et périurbaines. Les lieux d’étude situés à proximité ou dans les grands centres urbains expliquent aussi une part de la forte présence des jeunes dans les villes-centres.

• Au niveau des aspirations, notons une relation assez franche entre la position dans le parcours de vie familial et les désirs et envies. Les jeunes apprécient les villes-centres pour les possibilités de sorties qu’elles permettent. Les familles avec enfants recherchent la proximité de la nature et des espaces verts. Ces aspirations renvoient à des modèles culturels, des valeurs intériorisées.

Le parcours de mobilité résidentielle qui résulte des changements successifs de logement au cours de la vie est à mettre en perspective avec l’équipement des ménages en matière d’automobiles et avec les pratiques modales. Par exemple, les localisations périurbaines incitent à l’acquisition d’automobile et à son usage, au contraire des localisations en centre-ville, qui favorisent une mobilité quotidienne axée sur les modes de transports de proximité.

d – Parcours de vie familial et mobilité quotidienne

Le passage d’une phase à l’autre du parcours de vie familial (par une mise en ménage, la naissance d’un enfant, une séparation, un décès, etc.), a généralement pour conséquence de modifier les programmes d’activités. Ces passages, ou moments de transition correspondent souvent à des changements de mode de vie.

Des enquêtes ont montré que ces changements de modes de vie suscitent des changements dans les pratiques modales (Bonnet, 1979), pour de multiples raisons, qui vont du rapport au temps à la localisation géographique des activités déployées. Par exemple, le programme d’activités d’une personne jeune ayant un mode de vie proche de l’idéal-type « citadin » sera géographiquement plus favorable à l’utilisation des modes de proximité et des transports publics que celui d’une femme active ayant deux enfants en bas âge et qui court après le temps.

En particulier, les enfants sont de gros générateurs de déplacements en automobile. Ceci vient précisément de leur programmes d’activités géographiquement complexes et des pratiques d’accompagnement en automobile qui en découlent.

e – Synthèse : des modes de vie contrastés

Finalement, il ressort de ces quelques exemples que la position dans le parcours de vie familial est un aspect fondamental de la dimension spatiale des modes de vie. Plus précisément, il ressort, en effet, que deux des idéaux-type mis en relief dans la première partie de ce rapport sont très fortement associés à la situation familiale : les modes de vie « citadin » et « californien ». Le premier apparaît comme caractéristique de la vie estudiantine, de l’âge des sorties, de la vie de jeune couple sans enfant. Il renvoie à l’aspiration d’être au centre, à la « citadinité » culturelle à la vie dans l’espace public. L’idéal-type « californien », au contraire, est caractéristique des familles avec enfants. Caractérisé par un fort investissement de la sphère privée du logement et de ses abords, il ressort comme l’antithèse introvertie du mode de vie citadin si extraverti.

Ces observations mériteraient d’être précisées par des analyses plus fines, notamment en ce qui concerne les différences d’art de faire entre familles à position équivalente dans le parcours de vie, en fonction de la position sociale et la localisation géographique du domicile notamment.

à suivre

Demain: Les inégalités sociales