La Médina, ville du futur ?

Une médina désigne la partie ancienne des villes arabo-musulmanes par opposition aux quartiers modernes de type européen. Ce terme est surtout employé dans les pays du Maghreb, en Afrique de l’Ouest et en Afrique de l’Est. La médina de Fès au Maroc, la plus grande du monde, a été fondée au IXe siècle et abrite la plus vieille université du monde. Elle est restée quasi inchangée depuis le XIIe siècle. Elle propose un modèle urbain qui pourrait bien constituer le prototype avancé de la ville du futur.

J’ai eu la chance en 2004 de réaliser un périple de 3 semaines au Maroc, en partant de Sète en bateau pour arriver à Tanger, puis en traversant le Maroc du nord au sud et vice-versa en utilisant la quasi-totalité des modes de déplacement à disposition sur place: le train de Tanger à Meknès, puis jusqu’à Fès et Casablanca, puis les autobus interurbains jusqu’à Marrakech, Ouarzazate, Agadir et Essaouira. Dans le sud, pour aller à Zagora aux portes du désert, on prenait le taxi collectif où on se tassait à 6 ou 7 personnes.

Pendant ce voyage, il m’a été possible de visiter plusieurs médinas, dont celles de Marrakech, d’Essaouira ou de Fès. J’ai été alors frappé par une certaine forme de perfection de l’organisation urbaine médinale. En bref, je trouvais que cela « fonctionnait bien ». Quelques années plus tard, mon regard sur la médina a changé. Je ne pense plus seulement que la médina est un organisme urbain qui fonctionne bien, j’en arrive désormais à l’idée que la médina pourrait bien constituer l’urbanisme du futur, un nouveau modèle urbain pour le XXIe siècle (1) pour paraphraser l’architecte et urbaniste Marc Gossé, professeur à l’institut supérieur d’architecture la Cambre en Belgique.

Selon lui, « la médina telle qu’élaborée par la tradition arabo-musulmane peut en effet constituer un modèle d’urbanisation contemporain, à condition toutefois de la réinterpréter et de l’actualiser par rapport aux conditions socio-culturelles de notre temps » (2).

Au départ, la médina n’est rien d’autre que le mot arabe pour dire « la ville ». Puis la colonisation en a pervertit le sens en restreignant sa signification à la notion de « ville historique », « ville traditionnelle » ou même « ville indigène ». Au Maroc, la colonisation française s’est traduite par la création de « villes nouvelles » qui sont venues se juxtaposer aux anciennes médinas. Ces « villes nouvelles », toujours en vigueur aujourd’hui, concentrent les mêmes maux que les villes européennes (congestion automobile, bruit, accidents, pollution, coupures, détours importants pour les piétons, etc.)


La médina de Fès-al-Bali dans Google Maps


Un lotissement périurbain de Los Angeles à la même échelle

Parallèlement, les médinas ont été maintenues et font même l’objet aujourd’hui de mesures de protection par des organismes internationaux comme l’Unesco par exemple. La médina de Fès fait ainsi partie du patrimoine mondial de l’humanité depuis 1981. Il ne s’agit cependant pas ici de faire l’apologie naïve des médinas qui connaissent de graves problèmes urbains (détérioration du bâti, pauvreté endémique, surpopulation, etc.), mais de tenter de relever ce que les médinas peuvent nous apprendre en matière de développement urbain dans la perspective des crises énergétiques, climatiques et environnementales qui ne manqueront pas d’affecter le fait urbain.

Mon propos n’est cependant pas de traiter de l’ensemble des médinas du monde arabo-musulman, mais de parler d’une médina que j’ai pu parcourir moi-même et qui constitue en outre la plus grande médina du Maroc et peut-être même du monde. Il s’agit de la médina de Fès-al-Bali.


Une des portes d’entrée à la médina de Fès-al-Bali.

Fès-al-Bali, la plus grande des deux médinas de Fès, est une ville médiévale presque intacte. Avec une population en 2002 de 156.000 habitants, il s’agit sans doute de la plus grande zone contiguë sans voitures dans le monde d’aujourd’hui. En comparaison, même Venise n’abrite que 70.000 habitants.

Dans la médina de Fès, on compte environ 10.000 rues, en général très étroites (de 1 mètre de large, voire même moins, à quelques mètres tout au plus), et elles sont, pour des raisons pratiques, en général sans voitures et parfois même sans motos du fait des escaliers assez fréquents. La pratique du vélo y est peu aisée pour les mêmes raisons. Pour être exhaustif, il faut ajouter un bon millier d’impasses qui donnent accès au cœur des îlots.

La surface de la médina est assez concentrée bien qu’elle s’étende tout de même sur 300 hectares. (Environ 2400 mètres Est-Ouest et 1600 mètres Nord-Sud). Ces distances raisonnables font qu’il est possible de traverser la médina de part en part en moins de 40 minutes à pied.


Densité de population dans les différents quartiers de la médina de Fès-al-Bali.(source: Joel Crawford)
En vert: les quartiers avec une densité inférieure à 750 habitants/hectare
En jaune-orange: les quartiers avec une densité comprise entre 750 et 2.000 habitants/hectare
En rouge: les quartiers avec une densité comprise entre 2.000 et 3.000 habitants/hectare
En violet: les quartiers avec une densité supérieure à 3.000 habitants/hectare

Avec 156.000 habitants sur une surface de 300 hectares, la médina de Fès-al-Bali atteint une densité très élevée d’environ 520 habitants à l’hectare, et certains secteurs de la médina possèdent même une densité supérieure à 3.000 habitants par hectare! A titre de comparaison, la densité de Paris intra-muros ne dépasse pas 250 habitants par hectare.

Et pourtant, point de tours, barres ou buildings dans la médina, seulement des maisons d’au maximum 2 ou 3 étages qu’on appelle riads. Beaucoup de bâtiments sont même de plein pied. La plupart des maisons possèdent des cours intérieures (patios) carrelées et occupées par des plantes, qui permettent les échanges familiaux et amicaux à l’ombre et au calme. Les toits des maisons et des immeubles sont plats et sont toujours occupés car on ne perd aucun espace dans la médina. Ces toits servent pour sécher le linge, cultiver des plantes ornementales, élever des poules ou discuter entre amis dans la fraîcheur du soir.

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Sur le plan commercial, la médina de Fès-al-Bali contient plus de 10.000 commerces de détail et demeure le principal centre commercial de la ville de Fès, dont la population totale dépasse le million d’habitants. Il existe une utilisation maximale de l’espace disponible aux fins commerciales. La plupart des boutiques ne font que quelques m² et ne possèdent pas d’allées pour laisser divaguer les clients. Le commerçant est dans sa boutique et le client dans la rue.

Les livraisons des boutiques et le transport des marchandises s’opèrent principalement à dos d’âne ou de mulet, parfois aussi à dos d’homme ou à charrette à bras.

Mais il n’y a pas que des commerces et des habitations dans la Médina, de nombreuses activités économiques s’y rencontrent également (tanneries, tissage, artisanat, etc.) et même la fabrication d’objets à partir de vieux pneus usagés de voitures! On estime à 30.000 le nombre d’artisans dans la médina de Fès! (2)

De manière générale, comme les rues sont étroites et les activités commerciales nombreuses, la densité piétonne est parfois très élevée, avec des bouchons de piétons à certains endroits, mais cela ne dure jamais bien longtemps. En fait, la configuration des rues et ruelles fait que l’étroitesse des voies n’apparaît pas comme une réelle contrainte pour les habitants et les visiteurs. Au contraire, cela crée des espaces de rencontre, de convivialité qui n’existent plus vraiment dans les villes modernes.

Sur le plan sociologique, la médina était habitée, du moins jusqu’aux années 1990-2000, principalement par des populations modestes ou pauvres. Les riches marocains préféraient historiquement les logements de la ville nouvelle coloniale, symbole de modernité (espace, automobile, etc.).

A partir des années 1990-2000, on a pu constater un retour des classes aisées marocaines au sein des médinas avec la vogue des riads, ces  somptueuses maisons traditionnelles caractéristiques de la médina; ce mouvement a coïncidé avec l’arrivée massive de touristes occidentaux qui se sont mis à acheter également des riads dans les médinas, pour leur propre usage (en tant que maison secondaire) ou pour les transformer en chambres d’hôtes pour les touristes de passage.

Tout ceci a provoqué un regain d’intérêt certain pour l’habitat traditionnel marocain et une spéculation foncière élevée pour des logements qui, rappelons-le, n’ont ni parking ni place de stationnement dans la mesure où on ne peut pas y accéder en voiture. Cela montre en tout cas que même les riches (marocains ou occidentaux) peuvent se passer de voiture à partir du moment où un autre modèle urbain d’habitat leur devient désirable.

On voit ainsi que le maître-mot caractérisant peut-être le mieux la médina est celui de mixité: mixité fonctionnelle (habitat, commerce, industrie, culture, tourisme, etc.), mixité sociale (classes sociales pauvres ou modestes, classes moyennes et désormais aussi aisées) et mixité générationnelle (des plus jeunes aux plus anciens). Pour M. Fouad Serghini, directeur général de l’ADER (Agence de Dédensification et Réhabilitation de Fès), « la médina demeure un espace où viennent se juxtaposer les fonctions résidentielles, économiques, sociales et culturelles » (2).

Enfin, il convient de noter que l’urbanisme médinal, inventé au moyen-âge, porte en lui les concepts les plus actuels en matière d’environnement (architecture bio-climatique, ville piétonne, densité élevée, compacité, faible impact environnemental, etc.).

Comme le dit très bien Marc Gossé, « les grands principes du développement durable y sont présents – bien avant l’adoption de ce concept à Rio – à savoir : un écosystème subtil et abouti entre nature et urbanisation, une capacité d’adaptation étonnante de la morphologie et des typologies architecturales, une économie d’énergie par la limitation de la mobilité polluante des automobiles et la densité du bâti, un processus participatif et une gestion conviviale des espaces urbains, des systèmes de solidarité et une pratique de l’égalité de statut entre personnes et représentations symboliques spatiales, qui tous ne demandent qu’à être encouragés, réactivés ou réinterprétés, contre un modèle urbain « générique » porté par l’ultralibéralisme moderniste mondialisé, qui génère la destruction de l’environnement, du lien social et de la diversité culturelle« .

Alors bien évidemment, le propos n’est pas de reproduire tel quel le modèle urbain médinal en Europe ou ailleurs, ce qui n’aurait d’ailleurs aucun sens d’un point de vue historique. Mais il apparaît sans aucun doute que la médina a beaucoup à nous apprendre en matière de développement urbain soutenable et souhaitable. Et particulièrement en Europe où le modèle périurbain d’étalement généralisé a montré son échec patent, sa laideur intrinsèque et son absurdité énergétique, climatique et environnementale.

Pour finir, citons encore une fois M. Serghini qui résume parfaitement les enjeux actuels de la médina, entre passé et futur : « La réhabilitation de nos médinas n’est pas seulement une reconnaissance envers le passé, c’est plutôt une obligation envers notre présent et notre avenir » (2).

(1) Marc Gossé, La médina, modèle urbain pour le XXIe siècle ?, 25 février 2011.
(2) Colloque international à l’Université Al Akhawayn : la Médina, une cité nouvelle ?, 3 juillet 2003.

Photos: Marcel Robert
Voir aussi: Galerie photo de Fès-al-Bali sur carfree.com

16 commentaires sur “La Médina, ville du futur ?

  1. apanivore

    « A titre de comparaison, la densité de Paris intra-muros ne dépasse pas 250 habitants par hectare. »

    FAUX
    Le 11ème arrondissement comptait (en 2006) 152 436 habitants pour 367 hectares. Ce qui fait 415 hab/ha (41 500 hab/km2).
    Mais la comparaison tient toujours la médina reste 25% plus dense.

  2. Marcel Robert

    VRAI! Je n’ai pas dit que la densité de certains quartiers de Paris ne dépassait pas 250 habitants/hectare, mais que la densité de Paris intra-muros ne dépasse pas 250 habitants par hectare… Nuance!
    Il s’agit d’une densité moyenne rapportant la population d’un territoire à sa surface. Exemple pour Paris: le rapport entre population intra-muros et surface de Paris.
    Quand tu rentres dans le détail, tu peux trouver bien évidemment des densités plus élevées par quartier, comme le 11eme que tu cites.
    Merci de bien lire avant d’écrire « FAUX » en majuscules afin de jeter le discrédit sur mes propos.

  3. tichit

    J’ai aussi eu la chance de parcourir la medina de Fès (c’était d’ailleurs lors d’un stage avec Marc Gossé dans le Rif, le monde est petit!) : une de mes expériences urbaines les plus extraordinaires.
    La modèle de la Medina arabe n’est pas si éloigné du modèle médièval européen, connaissais vous les tissus anciens de Lisbonne ou Gênes?
    Alors j’aimerais dire aux urbanistes encore trop frileux, Pour vivre mieux, vivons serrés!
    Victor L.

  4. Nicolas

    On pourrait aussi probablement évoquer la gestion de la température apportée par ce type d’habitat dans les régions méditerranéennes.

  5. apanivore

    @Marcel : La façon dont c’était formulé avec le verbe dépasse laissait penser qu’on ne prenait justement pas la densité moyenne. Sinon mettre directement le chiffre aurait été plus clair. Parce qu’en l’occurrence pourquoi choisir 250 et pas 220 ou 300 qui sont des chiffres tout aussi exacts du coup.
    Je ne jette pas le discrédit sur tes propos sur un point de détail comme ça. Je l’ai lancé avec un peu trop de désinvolture éventuellement, désolé si je t’ai froissé.

    Parce que j’adhère au propos de l’article. D’ailleurs beaucoup de monde aime cet urbanisme médiéval (qu’on trouve aussi à plus petites échelles en Europe comme le souligne Tichit), sinon des cars entiers de touristes ne s’y déverseraient pas.

    De là à dire qu’on aimerait y vivre par contre c’est une autre histoire. Avoir des fenêtres qui donnent sur un mur à 1m50 devant j’ai déjà eu, c’est pas génial. Et la non cyclabilité mentionnée de voies aussi étroites me plait moyennement.

    Aussi plus ça devient populaire pour les touristes et plus ça se muséifie. J’ai été dans un très petit équivalent européen totalement dans ce cas, l’ancienne capitale de Malte (qui s’appelle justement Mdina) : Des rues étroites, très peu d’ouvertures et quasiment personne pour y vivre.

    A l’opposé d’autres villages denses sont toujours très vivants comme dans les Cinque Terre en Italie, quasi inaccessibles en voiture mais très bien desservis par le train. Bon ça vit surtout du tourisme quand même.

    C’est amusant de voir que les zones sans voitures sont des attractions touristiques.

  6. paladur

    Moi aussi, j’ai trouvé la médina de Fès intéressante mais j’ai l’impression que l’on oublie les conséquences d’un tel habitat. La disparition des forêts aux alentours de Fès est lié à la forte demande de bois de la médina, les problèmes sanitaires, la multiplication des sous-emplois pour satisfaire le touriste dans la médina encouragé par le gouvernement qui ne vivent d’ailleurs pas dans la médina…

  7. tichit

    paladur tu as raison d’évoquer ces problèmes, mais sont-ils intrinsèquement liés au « modèle » urbain de la medina? je ne pense pas.
    Je comprends aussi les doutes d’Apanivor concernant la manque de lumière ou de recul d’une architecture dense, mais je crois que là aussi il existe des solutions ingénieuses à développer.

  8. CarFree

    Je reviens sur la densité et la comparaison entre médina de fès et 11e arrondissement de Paris. Pour une population et une surface globalement équivalente, je ne suis pas sur qu’on trouve 10000 commerces et 30000 artisans dans le 11e arrondissement…

  9. Minou

    Oh my god ! Des charrettes à bras, des mulets… c’est DONC le moyen âge, ce n’est donc pas moderne, c’est donc l’enfer, c’est donc diabolique !

    Merci Marcel pour cet article !

  10. Nicolas

    J’avais lu un article (que je suis incapable de retrouver) qui évoquait l’aspect intéressant de la médina, non seulement en tant que fait, mais aussi en tant que dynamique. C’est à dire que la médina est le résultat d’un ensemble de règles élaborées plus ou moins consciemment pendant plusieurs siècles, mais ces règles ne sont pas forcément une projection du résultat final. L’article en profitait donc pour rappeler les limites de nos urbanismes fonctionnels qui posent dès le départ un ensemble de règles (routes, viabilisation, hauteur des constructions, etc.), alors que ces règles ne sont valables que dans l’échelle de temps que nous envisageons (forcément courte).

  11. Jean-Marc

    Article très interessant, allant dans le sens de redensification.

    Cependant, une partie fait peur, dans l article :

    « Pour M. Fouad Serghini, directeur général de l’ADER (Agence de Dédensification et Réhabilitation de Fès), « la médina demeure un espace où viennent se juxtaposer les fonctions résidentielles, économiques, sociales et culturelles » (2). »

    le « D » d’ ADER : « Dédensification »… Ils semblent ne pas avoir compris l’intérêt de la médina et d un habitat dense…

  12. chomenad

    Et quand je pense que Casino, Carrefour et autres hypermarchés qui commencent à se développer vont finir par détruire ce tissu de petits commerces dans les medinas (850 000 dans tout le Maroc qui vont vivre au moins autant de familles), c’est vraiment catastrophique. Tout ça pour que les gens payent moins cher les produits et plus cher en cotisation chômage et aussi pour éviter un joyeux bordel plein de vie qui pourrait paraître mal organisé au regard des allées aseptisées et des gondoles qui ne rigolent pas dans ces grandes surfaces à bannir….

  13. SAIF

    bonjour Marcel,
    Je viens de recevoir un lien vers votre article que j’ai bien aimé ! à savoir que vous connaissez bien plus que moi sur Fès^_^ en fait je suis marocaine et je fais mon stage de fin d’étude à paris .Dans deux semaines je pars en vacance à Casablanca et par la même occasion je visiterai Fès et Marrakech !
    Donc si vous avez besoin d’information , ou bien de photos n’hésitez pas si je pourrai vous être utile.

    au plaisir de vous lire

  14. horu

    La médina et habiter sur l’échangeur mélangé donne une piste assez intéressante pour un futur sans vis à vis avec une route à voitures!

  15. NACEUR BEN ARAB

    Je suis convaincu que la conception architecturale des médinas pourrait répondre parfaitement aux questions qui se posent pour édifier les villes du futur. L’apport d’une infrastructure sanitaire adéquate de notre temps serait à mon sens un élément en mesure de réhabiliter la Médina qui lui permet le label d’une ville dotée d’une architecture bio-climatique, à faible impact environnemental.

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