Morts pour la route: les animaux sacrifiés sur l’autel du culte de la vitesse

Dans une société où la vie des animaux n’a souvent qu’une valeur utilitaire, connaître leur mortalité routière n’est pas une mince affaire.

Les petits animaux, tels les chats, lapins, hérissons, oiseaux, rats, grenouilles, escargots… causent peu de dommages aux véhicules, ce sont des morts qui ne (se) comptent pas, ou peu. Sans même parler des insectes, infiniment plus nombreux encore à mourir pour un culte futile de la vitesse qui ne les concerne pas. Ces derniers auront au mieux droit, en guise d’ultime hommage, au râle d’un automobiliste agacé de devoir encore laver son pare-brise.

Pas d’assurance à solliciter, pas de mort répertoriée. Quand les décès de ces petits animaux sont comptabilisés, c’est le plus souvent par des associations de protection qui font un travail remarquable mais qui n’ont pas nécessairement la capacité d’effectuer des comptages d’envergure. Quelques études ponctuelles font parfois le point sur la mortalité routière d’une espèce, comme le hérisson ou la loutre, mais le suivi est rare. D’où un manque de chiffres solides, problème de taille dans une civilisation fascinée par la magie des statistiques.

Concernant les insectes, il est possible de donner malgré tout quelques indications à partir des conclusions d’une étude menée en 1990-1991 dans les Vosges et dans la région de Fontainebleau : « 66 billions d’insectes peuvent être tués chaque année [en France] par collision avec les voitures. À ce premier chiffre il faut ajouter environ 40 tonnes d’insectes tués et projetés sur les bas côtés. Ce chiffre, compte tenu de la disparition et du renouvellement des cadavres, peut être multiplié par quatre ou cinq pour l’année ce qui représente 120 à 200 tonnes de matière animale déposée annuellement [en France]. »1

Pour évoquer le sort des petits animaux, on peut se pencher sur le cas, particulièrement triste, du hérisson. Sa population a fortement décru dans les pays occidentaux entre les années 1950 et les années 2000, sous l’effet conjoint de l’industrialisation de l’agriculture (suppression des haies, introduction des pesticides) et de l’expansion de l’automobile (construction de nouvelles routes, augmentation du nombre de véhicules motorisés). Selon une étude Suisse2 menée en 1982 dans le canton d’Yverdon, les hérissons auraient pour causes principales de mortalité les pesticides (26%) et le trafic routier (24%).

L’activité humaine multiplierait donc au moins par deux leur taux de mortalité, voire plus si on incluait la destruction de leur habitat dans l’équation ! Une étude menée en Grande-Bretagne3 a constaté que la population de hérissons y déclinait de 5% par an, et serait menacée d’en disparaître dès 2025.

L’association Le sanctuaire des hérissons, souhaitant répertorier les secteurs les plus dangereux pour cet animal4, a mis à contribution ses membres et sympathisantEs, qui lui ont signalé 2559 décès en France en 20105, dont 2424 hérissons ayant été victimes de la route6.

Il est vraisemblable qu’il y ait eu, en réalité, bien plus de hérissons victimes de la route, étant donné qu’il est difficile d’effectuer un comptage exhaustif.

Sangliers, cerfs et chevreuils, ces « bêtes noires » de la route, comme les désigne, par un sinistre retournement, la dépêche du Midi, auront le triste privilège d’avoir une mention de leur « rencontre » le plus souvent fatale dans un formulaire d’indemnisation. Celui-ci permettra par la suite de tenir une comptabilité rigoureuse qui alarmera et poussera à augmenter les quotas de chasse pour « réguler la population », et limiter ainsi les risques encourus par nos amis automobilistes, décidément bien maltraités par la faune et la flore (qui en a cependant de moins en moins les moyens).

Une étude compilant des données couvrant la période 1984-2004 a établi une estimation : en 2004, 16292 chevreuils, 5542 sangliers et 1554 cerfs, soit environ 23400 « grands animaux » avaient subi une collision, la plupart du temps mortelle, sur les routes de France7.

Le Fonds de Garantie Automobile (FGAO), qui a indemnisé entre 2003 et 2010 les automobilistes les ayant percuté, a reçu 42000 dossiers en 2008 et plus de 65000 en 2009 (8 et 9).

Difficile cependant de savoir si cette augmentation correspond réellement à une hausse de la mortalité routière pour ces animaux sur cette période : l’accroissement constaté pourrait tout autant être le résultat d’une meilleure connaissance du dispositif d’indemnisation par les automobilistes, qui y auraient de plus en plus eu recours, ou celui d’une augmentation de ces populations animales10.

En 2008, 19797 sangliers avaient été percutés, 17817 chevreuils et 3959 cerfs11. Soit un taux de collisions, mortelles pour la plupart, respectivement de 1,97%, 0,89% et de 2,32% ! La mortalité routière est plus élevée pendant la période de chasse (octobre à janvier) ou de reproduction (avril et mai)12.

Lire aussi :  Le casque automobile

Afin d’obtenir une représentation parlante des impacts de la mortalité routière sur les populations animales, nous avons exprimé le nombre d’animaux tués sur la route en France en équivalent population française (epf), autrement dit, quand les données étaient disponibles, nous avons calculé ce que donnerait le taux de mortalité routière des animaux, rapporté à la population française arrondie à 70 millions d’individus.

En France, en 2008, la circulation de véhicules a donc percuté, mortellement le plus souvent :

1 630 341 cerfs et biches-epf
1 385 790 sangliers-epf
623 605 chevreuils-epf

Le FGAO n’indemnisant plus, depuis 2010, que les dommages matériels causés par un animal domestique dont le « propriétaire » n’est pas assuré, « seulement » 4289 collisions ont été indemnisées en 2011 13, l’espèce des animaux en question n’est en revanche pas mentionnée: vaches, chiens… ?

Ce recensement macabre ne serait pas complet si nous oubliions un autre animal de grande taille, l’humain. Selon la Fédération Routière Internationale, 14 millions d’individus sont morts suite à un accident routier, depuis 1963 14 dans le monde ! Précision utile : avant les années 1990, moins de 100 pays fournissaient des données…

En France, en 1996, 36204 individus ont été gravement blessés et 8540 autres sont morts dans les 30 jours suivant le choc15. En 2011, ils étaient toujours respectivement 29679 et 3963. Sur la décennie 1996-2006, toujours dans l’hexagone, 43813 humains, l’équivalent de la population de Sète, sont morts pour la route…

Télécharger le document au format pdf avec annexes et illustrations: Morts-pour-la-route


Notes

1 Jean-Pierre Chambon, La mortalité des insectes liée à la circulation automobile, Insectes – Cahiers de l’O.P.I.E. , 88, 1er trimestre 1993, pp. 2 – 4.

2 BERTHOUD G. , Contribution à la biologie du hérisson (Erinaceus europaeus L) et application à sa protection, Thèse de Doctorat ès Sciences, Université de Neuchatel, Suisse, 1982.

3 The Guardian

4 SOS Hérissons

5 Mortalité des hérissons

6 Le fort taux de mortalité routière que ces chiffres semblent indiquer s’explique probablement par le fait qu’il est plus facile d’observer un hérisson sur la route que sur un espace moins dégagé.

7 V. Vignon, H. Barbarreau, 2008, Collisions entre véhicules et ongulés sauvages : quel coût économique ?, Faune sauvage no 279 : 31-35 (5 pages, 17 références) ; étude menée en 2005 par l’ONCFS avec l’OGÉ (Office de Génie Écologique).

8 « En 2008, Michel Merlet, responsable des dossiers d’indemnisation au FGA, a enregistré 25.888 accidents (664 corporels, 24.924 matériels). Mais ce chiffre, a-t-il précisé, pourrait dépasser la barre des 30.000 puisque les automobilistes accidentés disposent de six mois pour faire leur déclaration. » Article du 4 février 2009. Ce qui expliquerait la différence constatée entre ces chiffres, repris sur plusieurs sites internet, et ceux qui ont été publiés ultérieurement par la FGAO, décomptant 42000 dossiers reçus en 2008.

9 Fonds de garantie

10 « Les populations de grand gibier [sic] (cervidés, sangliers) « continuent à suivre une courbe ascendante » sur le territoire, indique l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). On [estimait en 2008] à 1 million le nombre de sangliers sur le territoire français, contre 250.000 [dix ans plus tôt]. La population des chevreuils atteint quant à elle près de deux millions de têtes, en forte progression également. Quant aux cerfs et aux biches, ils sont passés de 40.000 en 1985 à 170.000 en 2008. Une prolifération due notamment, selon l’ONCFS, à des conditions climatiques plus douces et à la tempête de 1999 qui a couché des pans entiers de forêts qui ont servi de « réserves » au gibier. Un gibier [re-sic] qui pourrait bien se multiplier encore après le passage de la tempête Klaus en 2009 ».

11 Estimation basée sur la répartition des collisions par espèce (voir annexe) en 2008 fournie par le Fonds de Garantie, rapportée au nombre de sangliers percutés la même année (19797, même source). Ce qui donne un total de 49492 collisions en 2008, et 17817 chevreuils, 3959 cerfs percutés. La note ci-dessus donnant les populations de cerfs (170 000), de chevreuils (2000000) et de sangliers (1000000) en France en 2008, on peut calculer leur taux de mortalité routière.

12 UFC Que Choisir

13 ASP

14 Un siècle d’automobile, l’hécatombe silencieuse

15 Sécurité routière

10 commentaires sur “Morts pour la route: les animaux sacrifiés sur l’autel du culte de la vitesse

  1. struddel

    A chaque fois que je rappelle ces chiffres à un automobiliste, j’ai la même réponse « oui les gens conduisent mal, mais moi je maîtrise mon véhicule ».

    Une machine mortelle lancée à une vitesse mortelle dirigée par des aveugles incapables de se remettre en question, ces chiffres deviennent des statistiques acceptées avec lesquelles il faut vivre.

  2. Jean-Marc

    C’est -malheureusement- toujours le même problème :

    en ville, les automobilistes se croient +/- sur une autoroute, et ne comprennent pas qu’ils doivent laisser la priorité aux piétons;
    et c est pareil sur une route de campagne avec les animaux (et cyclistes, et marcheurs) :

    Les pouvoirs publics les autorisent à rouler à 90, ou parfois à 70km/h…. alors ils le font, avec de légers excès de vitesse, car une large très majorité des automobilistes savent qu’ils roulent mieux que la moyenne (sic); mais, à cette vitesse, l animal n a pas le temps de fuir… et, l automobiliste, surpris de trouver un animal à coté de son lieu de vie (…) n a souvent pas le temps de réagir.

    Alors qu’en roulant entre 60 et 45km/h, les accidents avec des sangliers, chevreuils, cerfs disparaitraient presque totalement, comme le conducteur et l animal pourraient réagir :

    Et donc quasi disparition des S. C. C. morts par la route, mais aussi des voitures abimées par le gibier, et des humains morts ou estropiés à vie par cette rencontre.

    Pour les hérissons, chat, chien… là, il faut rouler à 45 voire en dessous… malheureusement, si la protection des vie humaines peut faire espérer qu’un jour la vitesse en traversée de forêt passe à 60 ou 50km/h, je doute que la sauvegarde du hérisson (alors que c est un animal très utile à nos cultures) soit considérée comme suffisant pour entrainer un changement de comportement et/ou de législation.

    p.s.
    c.f. cette pétition sur la vitesse max
    http://carfree.fr/index.php/2013/08/16/petition-pour-une-reduction-de-la-vitesse-de-10kmh-et-le-developpement-dalternatives-au-tout-voiture/

    et cette BD sur les animaux et la route :
    http://www.maliki.com/strip.php?strip=252

    Tiens… il n’y a pas que les animaux sauvages :
    http://www.liberation.fr/societe/2013/08/11/doubs-des-chevaux-echappes-provoquent-une-serie-d-accidents-de-la-route_924136

    Onze chevaux échappés de leur enclos ont provoqué une série d’accidents de la route près de Pontarlier (Doubs) dans la nuit de samedi à dimanche (10 au 11 août), blessant huit personnes dont une grièvement, a-t-on appris dimanche auprès des gendarmes.

    Les animaux, qui étaient réunis à l’occasion d’un festival dédié au cheval dans la commune de Houtaud, ont percuté au total quatre voitures dans les environs, vers 22H00 samedi.

    L’accident le plus sérieux, sur la RN57 à l’entrée de Pontarlier, a fait un blessé grave, une femme, qui a été transportée par les secours au CHU de Besançon, et deux blessés légers. Le cheval à l’origine de la collision n’a pas survécu.

    Une autre collision, sur une départementale, entre une voiture et un équidé, qui a été euthanasié, a fait quatre blessés légers.
    [..]
    Des vétérinaires du secteur ont été mobilisés pour soigner les chevaux, dont trois au total sont décédés à l’issue de l’escapade nocturne.

  3. Vesan

    Oui, merci de rappeler ces faits, ces chiffres monstrueux, et de mentionner ces créatures, qui sont tout à fait inexistantes pour l’égo-bagnoliste enragé, qui est seul sur SA route, sur SA planète Terre et dans SA bagnole, bref l’abruti total.

    Être au volant d’une bagnole rend complètement abruti, c’est un fait qu’il faut aussi régulièrement rappeler. Il faudrait un bandeau sur chaque bagnole : « Attention, la bagnole tue », « Être dans une bagnole nuit gravement à votre intellect, à votre esprit, à votre mental, à votre corps ».

  4. baillecyclist

    Chaque année, 10 à 20000 chouettes effraies sont tuées par des voitures, soit 1/4 de sa population. En équivalent population française,17.5 millions!
    Je n’ai pas le compte, mais j’ai vu beaucoup de serpents écrasés cet été, et aussi un scooter!!

  5. Gratecap

    Je commence à en avoir extrement marre, de voir sur la route National, route de campagne et autres…Des animaux morts!!!!!!!!! Biche, Lapin, Chat, Ecureuil, Loutre… Et j’en passe…Mais merdre quoi… Quand vous allez trop vite, et que vous percuter un animal ( On le sens ), arreter vous!!! Allez voir si il est bien mort… Mettez le sur le coté…Sèrieusement vous le faites pas… Et après on lui roule dessus, il est complètement déchiqueter… Ca se fait pas… Quand un humain meurt sur la route on s’arrete… Pourquoi pas sur un animals… Abuser…

  6. Val

    Je suis monitrice auto-école , je roule à raison de 50 000 km par an, j’ai malheureusement tué une fois une tourterelle….ce qui me démoralise c’est de voir tous les jours des petits cadavres sur la route dans l’indifférence totale…un lapin sentant le cadavre d’un congénère, un chat restant en décomposition sur le bord de la chaussée, un chevreuil…etc………..je ne supporte plus … que faire pour militer contre ce fléau ??

  7. GG

    Y a t-il une association qui permet de lutter contre ce fléau ? je ne pense pas, c’est à chacun de respecter l’être vivant sur la route et malheureusement c’est à chaque fois pareil ! je roule la nuit et je pense que si un animal traverse, je vais le tuer, cela me hante ! combien d’animaux ramassés, ou gravement blessés que j’ai récupérés pour les amener chez le véto mais dans l’indifférence de beaucoup de mes congénères !! à chaque fois que je prends ma voiture, je pense à eux, au hérisson qui se presse pour traverser, au chat qui fait un aller-retour sans prévenir, au chien qui marche sur le trottoir tout seul et certainement perdu !!! bref, je pense à eux tout le temps mais je ne suis pas à l’abri d’en heurter un et j’en serai malade le jour où …. mais c’est dans mes gênes et ce n’est pas vraiment le cas de tout le monde, certains ne s’embarrassent pas et laissent parfois un humain sur le bord de la route, alors un chat ????

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