La militarisation de l’automobile

Après le Rafale de Renault, nous allons parler aujourd’hui du 4X4 Grenadier Ineos pour illustrer la militarisation actuelle du secteur de l’automobile.

Ce processus est à l’œuvre depuis longtemps maintenant, on en parlait même dès 2005 sur Carfree au travers d’un concept-car de Ford intitulé Synus qui réussissait le tour de force de ressembler à la fois à un véhicule militaire et un véhicule de transport de fonds… Ce type d’engin s’inscrivait dans la droite ligne des Hummers, ces gros véhicules militaires transformés en version civile pour rouler sur les routes.

Le sociologue américain Mike Davis avait théorisé cette militarisation à l’oeuvre du secteur automobile dans un article prophétique de 2003 intitulé « Autoroute de métal lourd. » Selon lui, « l’hégémonie des SUV dans le trafic dicte un réarmement défensif et une logique de dissuasion mutuelle. »

En clair, les voitures étant de plus en plus grosses, chaque automobiliste s’équipe d’une voiture encore plus grosse pour ne pas terminer comme une canette d’aluminium écrasée. Mais, il y a sans doute aussi autre chose qui se joue dans cette escalade de métal lourd. A l’heure où l’automobile est largement décriée en tant que mode de déplacement, pour sa pollution, sa dangerosité, ses émissions de CO2, que reste-t-il sinon la promesse de fournir à son utilisateur un cocon protecteur face à la dangerosité du monde ambiant?

On attend les futures publicités de 4X4 massifs et martiaux déambulant au milieu d’émeutes urbaines ou autres quartiers urbains en feu… Même si c’est peu probable étant entendu que l’imaginaire limité des publicitaires préfère se cantonner à montrer des voitures au milieu de paysages, urbains ou naturels, vierges de tout humain ou de toute voiture.

Vous allez me dire, on est en 2023, maintenant l’industrie automobile a beaucoup progressé et si elle produit encore de gros 4×4, au moins ils sont technologiquement irréprochables, quasi-propres en termes de consommation d’énergie ou d’émissions de CO2. En fait, pas vraiment…

Un article (payant) du journal Le Monde qu’on croirait écrit dans les années 1980 nous parle en effet d’un nouveau 4X4 produit en France, le 4X4 Grenadier Ineos, qui consomme plus de 14 litres aux 100 kilomètres dans sa version essence et émet 336 grammes de CO2 par kilomètre. Il s’agit d’un véhicule massif de 4,90 mètres de long, 1,93 mètre de large, plus de 2 mètres de haut, qui embarque un moteur BMW 6 cylindres, essence ou diesel (285 ou 249 chevaux).

Bref, une aberration environnementale en 2023. On suppose d’ailleurs que son nom de « Grenadier » a plus à voir avec le soldat lanceur de grenades qu’avec l’arbre fruitier… C’est d’ailleurs un véhicule qui intéresse, comme c’est étrange, l’armée, le RAID et les CRS.

Mais comme il faut bien rire un peu, le plus drôle est de savoir comment est géré administrativement un véhicule massif de ce type qui est bien entendu en vente libre. En France, le malus écologique commence à 123 grammes de CO2 par kilomètre et augmente progressivement jusqu’à… 226 grammes. A ce niveau et au-delà, il peut atteindre 50 000 euros (il est plafonné à 50 % du prix du véhicule) et s’ajoute à la facture. De ce fait, avec ses 336 grammes de CO2 par kilomètre, le tarif d’entrée de gamme pour un Grenadier est à près de 68 000 euros.

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A ce prix-là, vous avez la version basique sans les options… Et si vous pensez que le Malus sert justement à cela, faire payer un maximum les acheteurs de ces véhicules monstrueux, vous vous mettez le pot d’échappement dans l’œil… Car, le journal Le Monde nous apprend que seuls une dizaine de clients en France de ce véhicule ont payé le Malus sans sourciller. Comment est-ce possible?

Tout simplement parce que tous les acheteurs de ce véhicule (sauf la dizaine d’idiots qui a payé le prix fort) passent entre les gouttes au prix d’une astuce réglementaire: classé en véhicule utilitaire lorsque l’on remplace deux vitres latérales arrière par de la tôle, comme une camionnette, le Grenadier 5 places échappe au malus. Oui, vous avez bien lu, « échappe au Malus. » C’est piquant (pour les bronches), alors que la plupart des automobilistes qui achètent une « petite » voiture essence ou diesel payent un Malus, l’heureux propriétaire d’un gros 4X4 à 336 grammes de CO2 par kilomètre peut quant à lui chier tranquillement sur le climat.

Bon, arrivé à ce point, vous vous dites qu’avec la mise en place des Zones à Faibles Emissions (ZFE), au moins ce gros tank va rester cantonné en milieu rural ou montagnard et que vous ne risquez pas de le croiser en ville. Que nenni, le Grenadier peut même rouler dans les ZFE: son moteur BMW répondant à la norme Euro 6, « il sort avec une vignette Crit’Air 1 en version essence, Crit’Air 2 en diesel, » assure le responsable commercial. Ils ont tout prévu, si vous avez au moins 68.000 euros, votre 4X4 Grenadier vous permettra donc d’aller tranquillement chercher votre pain en centre-ville alors que la plupart des pauvres périurbains, avec leur vieux diesel Crit’Air 5, resteront eux interdits de fréquenter le centre-ville.

A un moment donné, les pauvres périurbains risquent d’avoir de plus en plus la haine. C’est pourquoi, il fallait bien un bon gros 4X4 lanceur de grenades pour traverser le périurbain émeutier afin d’aller faire ses courses en ville en toute tranquillité.

4 commentaires sur “La militarisation de l’automobile

  1. pedibus

    et un cacatre de plus… :

    on n’est pas dans la merde, j’vous le dis moaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa…

    bon c’est pour quand la guérilla urbaine…?

    avec des clous sur la chaussée dans les rues à plus haut niveau de revenus, là où soixante-huit mille balles c’est bagatelle… ?

    y en a qui cuisinent et se chauffent au bois de palettes, avec des pointes de dix centimètres de récup dans les cendres… ?

  2. Juju

    Après il y a les dégonflage de pneus pour réajuster le bonhomme. Gaffe aux CRS en civil.

  3. Tibo

    OK, c’est pas bien. Mais ce véhicule à une vocation utilitaire. On peut comprendre que l’armée, les pompiers, les professionnels situés en zone montagneuses, et même des particuliers…

    C’est pas bien… pour des bobos.

    On pourrait parler d’une petite Ferrari neuve, critair 1, ou Porsche, ou Aston Martin… qui consomme autant si ce n’est plus, et qui pour le coup n’a aucune vocation utilitaire…

    On rigolera quand les armées n’auront plus de moteur thermique (personne n’en fabriquera plus) pour leurs véhicules, en pleine opération de défense d’un territoire, idem pour les pompiers en plein incendie de forêt…

    Oui, il faut faire quelque chose, mais pas dire n’importe quoi…

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