Une boîte métallique coûteuse et hautement sophistiquée et quelques feuilles séchées enveloppées dans du papier blanc. À première vue, elles n’ont pas grand-chose en commun. Mais quand on réfléchit à la nature de la voiture et de la cigarette, et à leur évolution historique, les parallèles sont remarquables.
Ce sont toutes deux des réussites marketing phénoménales du 20e siècle. Sans doute les deux plus grandes. Et si elles sont toutes deux confrontées à des défis sur leurs marchés traditionnels, elles se développent rapidement sur de nouveaux territoires.
Au départ, elles semblaient toutes deux être des signes inoffensifs d’une économie prospère, des icônes de la bonne vie et des raisons de se détendre et d’être optimiste.
Et elles font toutes deux appel à notre image de soi autant qu’à un quelconque avantage physique.
En fait, cette emprise sur la psyché du consommateur, l’alignement du produit sur l’identité personnelle, est un facteur clé de la croissance et de la longévité des voitures et des cigarettes.
« Quelle que soit l’intention individuelle, l’acte de fumer reste une déclaration symbolique d’identité personnelle… »
Tom Osdene, ancien directeur de la recherche d’une division de Philip Morris
« Les gens se reconnaissent dans leurs marchandises, ils trouvent leur âme dans leur automobile… »
Herbert Marcuse « L’homme unidimensionnel » 1964
Si l’on identifie si étroitement son propre être à un produit, presque n’importe quel coût vaut la peine d’être payé pour le consommer. Ainsi, les vagues d’arguments rationnels contre le tabagisme se sont écrasées pendant des années sur les rochers inamovibles de l’ego, apparemment sans aucun effet. Il semblait que nous fumerions toujours.
Mais finalement, le littoral a commencé à céder sous la pression incessante. D’abord, les principaux faiseurs d’opinion ont accepté que le tabagisme de masse était un mauvais tournant pour l’humanité. Une voie sans issue.
Ensuite, la publicité pour les cigarettes a commencé à être restreinte, ce qui a permis de desserrer l’emprise des fabricants de tabac sur les médias; des changements sociaux majeurs ont rapidement suivi. Le tabagisme a été interdit volontairement dans un nombre croissant de lieux de travail. Puis, par voie législative, dans tous les lieux publics. Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, mais l’industrie du tabac est enfin en fuite dans les pays les plus industrialisés.
En fait, tout cela s’est produit très rapidement, en 25 ans environ. Et le changement sera encore plus rapide avec l’industrie automobile. En partie parce qu’il y a beaucoup plus de pressions, pas seulement en matière de santé publique, qui poussent dans la même direction. Et en partie parce que les technologies de communication permettent aux idées de se propager beaucoup plus rapidement.
La seule leçon que nous pouvons tirer de l’affaire du tabac est peut-être le point de basculement crucial qui est désormais atteint avec le début des restrictions sur la publicité automobile.
L’interdiction complète de la publicité pour les voitures, prochaine étape, aura un triple impact: elle signalera qu’elles ne sont plus considérées comme un moyen de transport durable, elle modifiera fondamentalement la relation des médias avec l’industrie automobile et elle commencera à détacher les gens de la notion absurde selon laquelle nous sommes définis par nos voitures.
Nous pouvons être tellement plus.
Les parallèles sont nombreux. Dans ma thèse je me suis questionné sur ce que ça ferait de dupliquer l’action menée contre le tabagisme à l’automobilisme. En effet, le tabac et l’auto sont néfastes pour les poumons. Ils sont des objets de consommation ostentatoire et affaire de combustion. Et si l’automobile devenait minoritaire comme le tabac ?
Ici, cela fait longtemps qu’on se pose ces questions : notamment dans les articles conduire tue et l’automobile est une drogue
Dans une telle économie du désir, on voit rapidement le rôle joué par la publicité (la série Mad Men en donne aussi certains aspects), puisqu’il s’agit de statut et de symbole. Privée de publicité, l’industrie du tabac a perdu en puissance de feu. Qu’en serait-il de l’automobile, premier annonceur ? L’avenir nous le dira peut-être.
Il faudra aussi un jour se questionner sur un autre versant de la guerre de l’information. Si la publicité est le royaume du mensonge, l’art de faire rêver, la science est celui de la vérité, l’art d’être lucide, mais aussi de douter.
On sait désormais, comment l’industrie du tabac a financé des recherches et allumés des contrefeux pour former des écrans de fumée pour ralentir, minorer, son lien pourtant très tôt avéré avec le cancer.
Comment les cigarettiers ont roulé le monde entier titrait libé dans un article consacré à Golden Holocaust de Robert Proctor.
Une industrie puissante et contestée, qui investit massivement dans la publicité et dans la recherche et développement, peut être tentée d’acheter une « science » dont la finalité n’est pas de faire avancer la recherche, mais de la ralentir, de l’inonder d’articles douteux et doutant. Tant qu’on doute, on retarde la décision.
A ce propos, le lien entre industrie automobile et industrie pétrolière peut laisser penser à une porosité des méthodes de sabotage, telles qu’exposées dans Carbon Democracy par Thimothy Mitchell (qui a fait l’objet d’une recension ici mais ne fait pas mention de cette dimension de l’ouvrage, très riche). Le Diesel Gate et d’autres épisodes de ce type laissent imaginer le degré d’éthique d’une industrie pour qui tous les coups sont permis, du moment que cela permet de vendre des voitures.
@ Laurent Fouillé
la bagnole électronucléaire ne risque-t-elle pas de changer la donne assez rapidement, au fur et à mesure du renouvellement du parc, avec le grief de la qualité de l’air qui s’éloigne… ? clope et caisse divergeant alors radicalement dans la symbolique du cradingue…
il restera bien sûr une montagne de dommages à attribuer aux motorisés individualistes électrifiés, dont l’impact environnemental en termes extractivistes, l’encombrement du trafic et de l’espace, la dilatation de l’espace urbanisé, la santé publique par l’inactivité physique et tutti quanti…
mais ne resterait-t-il pas par-dessus-tout la fameuse dissonance cognitive, qui n’a pas forcément besoin d’appel au désir des pubards pour prospérer… ? autrement dit savoir n’est pas croire, formule lacanienne expliquant à sa façon la persistance des pratiques…
reste naturellement la voie de rebroussement, après le déjà long itinéraire du néolibéralisme du dernier quart du XXe siècle, à condition que changent nettement et rapidement les environnements politiques, pour autoriser enfin la réintroduction d’un minimum de réglementation, à toutes les échelles pour la presqu’île européenne, de la Commission €uropéenne aux maires de nos communes, laissant jusqu’à présent le secteur automobile et l’usage de la technique de déplacement complètement débridés, à l’exception peut-être pour la première de quelques normes techniques déjà dépassées (relativement à la normalisation OMS récente pour la motorisation thermique et la qualité de l’air)…
Un parallèle cigarette/voiture que j’utilise souvent comme argument : en bannissant le tabac des lieux publics on a découvert ses nuisances et comme il était agréable de s’en passer. Parions qu’il en sera de même pour la voiture. Bannie des centres urbains et autorisée avec modération dans des espaces dédiés, nul doute qu’il sautera au yeux des citoyens comme il est agréable de vivre sans, en se demandant comment on faisait avant. « La voiture en ville c’est comme fumer dans les bars : quand on va s’arrêter on verra comme c’est mieux sans ».
Bonjour à tous et toutes,
Comme je l’ai peut-être déjà signalé, la fumée de cigarette ou de cigarette et l’aérosol de pot d’échappement contient des particules fines ou ultrafines de carbone et des oxydes d’azote nocifs pour des poumons et des voies respiratoires.
A votre service.
Danny