L’acte-voiture participe au dévoiement de la raison en rationalité instrumentale « réduite »

L' »acte-voiture » comprend tout ce qui intervient d’une manière ou d’une autre dans et autour de la fabrication d’une automobile: l’établissement industriel et la politique de l’emploi (dont la main-d’œuvre immigrée), l’organisation de la production et la déqualification du travail, les parkings, les routes et autoroutes, les accidents et les hôpitaux spécialisés, les assurances et la police, les postes à essence et, phénomène majeur, la géopolitique du pétrole…

Ainsi le monde entier participe à l’acte-voiture, tout comme la transformation des territoires urbains. Et tout cela est rationnel, dans la réduction de la rationalité au simple rapport moyens/fin : l’acte-voiture porte en lui le témoignage saisissant de ce que, sous le signe du ploutos capitaliste, a pu devenir, à partir du xvie siècle, le dévoiement de la raison en rationalité instrumentale “réduite”, c’est-à-dire qui ne prend pas en compte les tenants et les aboutissants d’un acte de production économique.

Il illustre, malheureusement trop bien, le degré de déréalisation et de déshumanisation auquel aura été amené l’individu contemporain. La voiture individuelle, “individuelle” bien sûr, incarne l’idéologie du chacun pour soi et du chacun contre tous que la compétition entretient en toute indifférence du devenir de la société et du monde, et par conséquent de l’environnement!

La rationalité instrumentale “réduite” se définit comme la rationalité à l’œuvre dans le seul acte de production, considérant le contexte extérieur à cet acte comme du matériau insignifiant, privé de tout autre sens que celui de concourir à la réussite du seul objectif visé.

L’acte-voiture correspond bien à cette analyse ! Et tant pis si la ville meurt asphyxiée, embouteillée, polluée… Je me souviens de Paris, au début des années 1950, avec de rares voitures garées le long des trottoirs, une circulation fluide et le plaisir de marcher dans une ville offerte aux piétons, sans ce couvercle gris pesant et menaçant d’une pollution gravissime… Dans ces mêmes années, j’avais acheté une Fiat 650 à un ami qui habitait du côté de la Défense, laquelle n’existait pas à l’époque. En rentrant chez moi, je suis passé par la place de l’Étoile. C’était un jour de semaine, à midi, nous étions trois voitures. Vous imaginez ?

Lire aussi :  185 raisons de faire du vélo

On a pu revivre ce Paris sans voitures en mai 68, quand il n’y avait plus d’essence, les gens se sont réapproprié la rue. Je me demande si on peut séparer la question de la ville et celle de la voiture. Isoler l’urbanisme de ce phénomène majeur qu’est la voiture, c’est aussi traiter les phénomènes par compartiments. Étudier les abeilles sans traiter des fleurs, les fleurs sans la terre, comme si aucun lien n’unissait ces éléments. Peut-on étudier la ville indépendamment de la voiture ?

Paris avant l’invasion de la voiture était un vrai paradis. On retrouve un peu cette ambiance le dimanche, sur les bords du canal Saint-Martin où la voiture est maintenant interdite. Des milliers de gens viennent, ils transportent des paniers à provisions, s’installent pour déjeuner au bord de l’eau, des orchestres amateurs improvisent sur le pont. La ville redevient humaine.

Je me souviens comment on a enlevé les rails du tramway parisien, et maintenant on va les remettre ! Peut-on isoler la voiture de l’économie générale de la société ? 1,5 million de Français travaillent d’une manière ou d’une autre pour l’économie de l’automobile… La voiture est actuellement pour la grande majorité de ses propriétaires l’équivalent d’une drogue dure, c’est-à-dire qu’ils y trouvent les compensations et les plaisirs fantasmatiques de liberté, de puissance, d’autonomie. Les gens n’y renonceraient pour rien au monde. Ils sont accros !

Un commentaire sur “L’acte-voiture participe au dévoiement de la raison en rationalité instrumentale « réduite »

  1. Mat | Clarinette Occasion

    L’essentiel maintenant est de se pencher sur l’utilisation d’énergies autre que pétrolières. Les véhicules hybrides bien que sujets à controverses sont un pas dans la bonne direction. Beaucoup d’intérêts sont rattachés à ceux de la voiture ce qui rend les changements drastiques quasi impossibles.

Les commentaires sont clos.