Albert Camus est mort dans un accident de voiture, le 4 janvier 1960. Né en 1913 en Algérie dans la « misère noire », orphelin de père tué par la Grande Guerre ; Albert Camus, avec sa mort brutale, n’a pas pu dépasser son « espérance de vie à la naissance ». Celle à laquelle, sa condition sociale d’origine le condamnait. Elle ne lui laissait que peu de chance, de dépasser l’âge de soixante ans.
La mort l’a cueilli dans la fleur de l’âge, à 47 ans. Il s’était pourtant extrait, très tôt, de sa condition sociale. Doué pour « Les Lettres » et miraculeusement remarqué par son instituteur, Albert Camus a pu embrasser, de manière fulgurante, une carrière complète d’écrivain, journaliste, romancier, homme de théâtre, penseur et même philosophe…
La « Facel Vega » conduite par Michel Gallimard, s’écrase contre un Platane, les deux hommes en décèdent, sur le coup. « Accident de la voie publique », route droite et sèche, deux amis « remontaient sur Paris »…
En 1960 la mort dans un accident de voiture est une « mort ordinaire »…
Albert Camus ne possédait pas de voiture, il n’était pas automobiliste, il avait pris son billet de train, mais il n’a pas pu résister à la proposition de son ami. Ils sont partis tous les deux en « automobile »…
L’auteur du « Mythe de Sisyphe » et de « La Chute », déjà célèbre «Homme Révolté » contre l’Absurde, n’était donc pas seul dans la voiture et ne conduisait pas; l’hypothèse d’un suicide d’emblée écarté. Pourtant il traversait une période difficile de sa vie d’homme de lettre, certains de ses écrits ont été violemment critiqués par ses propres amis… « L’Homme Révolté » de 1951 a « mal été digéré » par « Les Temps Modernes »…
Absurde mort ordinaire pour un révolté peu ordinaire contre l’absurde…
Sur le plan historique, dans les années 1960, cette mort ordinaire est cependant nouvelle. C’est une « mort émergente », elle s’impose dans les statistiques officielles… Albert Camus a fait partie des premières fournées de « morituri » de la « modernisation économique »…
Pourtant, de 1913 à 1960, « L’Homme Révolté » a traversé les années les plus noires et les plus meurtrières du 20e siècle en Europe. Et, sa condition sociale mortifère d’origine l’a suivit, jusqu’à son dernier jour…
Pour le « Révolté contre l’absurde » c’est une mort « horriblement ordinaire », car il a échappé à toutes les « grandes morts » « dignes, héroïques, dramatiques, désespérées, symboliques ou romantiques » et il est passé au travers de toutes celles nouvelles, savamment inventées et rendues possible, au cours du 20e siècle…
Albert Camus aurait pu mourir des multiples morts spécifiques de sa condition sociale d’origine… Dans la première moitié du 20e siècle, les maladies infectieuses, multiples et impitoyables, emportent encore en nombres les hommes de sa condition…
Atteint de Tuberculose, dès l’âge de 17 ans il crache du sang. La « maladie honteuse », qui transforme ses victimes en « pestiférés » aux yeux de « la Société », infatigable s’acharne sur lui… Albert Camus résiste au meurtrier bacille de Koch. Il échappe à la mort des pauvres et des romantiques…
Il est mort d’une « mort ordinaire » en simple « usager de la route »… comme des milliers d’autres hommes, anonymes chaque année. Dans ces années-là, la voiture, par son pouvoir mortifère, détrône déjà toutes les maladies infectieuses…
D’autres morts encore auraient pu encore emporter Albert Camus…
Il échappe à la Seconde Guerre mondiale et au Nazisme. Avec son « Combat », journal clandestin dans la résistance, Albert Camus est un « écrivain engagé ». Il aurait pu avoir des problèmes avec les « autorités d’occupation et de collaboration », il aurait pu être « dénoncé » « attrapé » « torturé » « déporté » et « ne plus revenir »… Il échappe aussi au « milliard » de bombes déversées sur l’Europe et ressort vivant d’une guerre ayant inventé mille et une façon, de décimer les hommes par millions à travers le monde.
Albert Camus quitte le monde à un moment charnière de l’histoire contemporaine. Pour lui le monde restera à tout jamais « absurde ». Il s’est révolté contre les horreurs de la guerre et a dénoncé les « totalitarismes » idéologiques. Il ne connaîtra pas le « totalitarisme industriel » post-idéologique. Ni la révolte écologique contre ce nouveau totalitarisme dévastateur du monde vivant. En cette année de 1960, c’est le début des essais nucléaires français en Algérie. La terre qui a vue naître l’Homme de tous les combats, militant pour l’abolition de la Peine de Mort, est instrumentalisée pour perfectionner des armes de destruction massive ; faire exploser des Bombes Atomique. La Guerre d’Algérie et ses atrocités se terminent en 1962, Mais le pays est reste secoué jusqu’en 1966, par 17 explosions atomiques…En 1961 les États-Unis interviennent au Viet Nam, quinze ans de guerre, et d’expérimentation d’armes nouvelles, des morts par millions…
La voiture qui emporte Albert Camus dans une mort absurde, s’écrase contre un Platane.
Dans toutes les cultures du monde, depuis leurs origines, l’arbre est un « symbole de vie ».
Absurde mort ordinaire pour L’Homme Révolté… engagé dans « le combat de la vie » il trouve la mort contre un « symbole de vie »… Quel homme libre d’esprit et en dehors de la civilisation automobile pourrait croire à une chose pareille ? Qu’un homme puisse venir mourir contre un arbre…
Pour éviter à la voiture la responsabilité de ces morts absurdes, de « fou du volant » alcoolique ou non, « usager de la route »; la rationalité bureaucratique et totalitaire de « La Sécurité Routière », a fait abattre des millions d’arbres centenaires le long des routes. Une dépense colossale d’énergie pour la destruction massive d’un patrimoine arborescent, hérité des temps passés. Des mises à mort massive sont imposées pour la construction du monde de la circulation automobile… C’est le « Triomphe de la Mort » (1)
Albert Camus meurt en voiture le 4 janvier 1960. La civilisation de l’automobile « a eu sa peau ». L’homme révolté, engagé dans tant de combats, pour la vie et la liberté, avait échappé à tant de mort… Contre un platane, il meurt en voiture, comme un « vulgaire alcoolique au volant »… Albert entre par la mort dans la société de « l’homme de masse »… Les Sisyphe, dans cette nouvelle société, se sont multipliés. Par centaines de milliers ils s’échinent à produire des machines de plus en plus absurdes, des automobiles de plus en plus nuisibles et des téléphones mobiles de plus en plus débiles. Mais dans la fourmilière des Sisyphe, astreint à un « travail inutile et sans espoir », le doute s’est installé parmi eux, et certains ont commencé à se suicider; la souffrance est perceptible, ils ne sont plus heureux. Si le suicide reste un « problème philosophique vraiment sérieux », il est par contre aujourd’hui devenu difficile « d’imaginer [encore] Sisyphe heureux » (2).
Février 2010
JMS
(1) Titre d’un tableau de Bruegel l’Ancien. Ce tableau a fait l’objet d’un long commentaire par Jean Giono dans « Le Triomphe de la Vie ». Il met en relation les squelettes symbolisant la mort dans le tableau de Bruegel et les machines de la civilisation industrielle et en particulier l’automobile…
(2) Albert Camus « Le Mythe de Sisyphe » 1942
J’avais déjà pensé à l’absurde de cette mort, mais c’est très bien étayé ici.
Merci aussi à Jean Giono.
La voiture a RIPé 😉
Autre mort absurde, et ironie du sort : Bob Wollek, courreur automobile, multiple vainqueur de ces épreuves de bruit et de pollution, tué dans un accident de la route alors qu’il se déplaçait à vélo !
Oui, c’était aussi un passionné de vélo (il traversait les pays à vélo, ralliait Strasbourg au Mans à vélo, pour aller aux 24 Heures du Mans). Dommage…
Mortelle randonnée :
http://andrepousse.free.fr/louisnucera.htm