Le Tramway, derrière son plébiscite publicitaire

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Quatrième partie

Dévastations délibérées « d’écosystèmes urbains », destruction nouvelle de la trame verte patrimoniale, espaces résiduels réservés aux marcheurs, réduction supplémentaire du domaine cyclable; à ce stade de l’analyse il devient difficile de considérer ces dégradations majeures du paysage urbain comme de simples dégâts collatéraux regrettables du tramway.

Avec ces trois composantes considérées dans leur porté historique, on dispose maintenant de suffisamment d’éléments pour donner, ou du moins soupçonner, une réponse à la question : « Quel est le projet politique véhiculé par le tramway ? »

Cependant il n’est pas inutile de rappeler le contexte urbanistique local et de le mettre en perspective historique. Quelques éclaircissements supplémentaires de politique générale de la ville restent aussi à faire avant d’y répondre de manière plus explicite.

Lorsqu’on a parlé d’anachronisme aggravé du tramway tourangeau, ce n’était qu’un aspect très limité de la problématique. Parce que ce gros train électrique, malgré un « retard  affiché de 20 ans », a la prétention aujourd’hui de se poser comme une alternative à l’automobile…

Coup de pelle et péplum médiatique de l’heureux événement

L’arrivée d’un tramway dans une ville est habituellement un « heureux  événement ». Vécu et voulu comme tel par les officiels, cette machine leur donne l’occasion d’exprimer dans un bain de foule toutes leurs bonnes intentions pour le développement économique futur de la ville. Dans ces cérémonies à gros voire très gros budgets, l’Église n’est plus conviée pour assurer un sacre en grande pompe. L’importance historique de l’événement, sa fonction unificatrice de la communauté urbaine bénéficient plus efficacement aujourd’hui du savoir faire des professionnels de l’événementiel et de la « grandes pompe » médiatique. Grenoble est restée célèbre dans son péplum d’inauguration, avec un budget de 700.000 euros pour sa troisième ligne. Angers malgré sa « bonne volonté » n’a pas pu en faire autant pour son tramway. L’état major municipal a dû réviser à la baisse son budget événementiel. Prévu pour un péplum respectable avec 400.000 euros, des gens s’en sont émus, il est passé à 150.000 euros…

Intensément plébiscité en amont par la publicité, car la publicité est désormais en mesure de créer autant de peuples fictifs que nécessaire, il sera difficilement possible de savoir en aval, après son inauguration triomphale, tout ce que le tramway a détruit dans la ville.

Le greenwashing et la bénédiction de la « pompe médiatique » puis le travail de l’Histoire Officielle de la ville cicatriseront parfaitement les plaies pour les rendre invisibles. On ne retiendra que la date du premier coup de pelle donné par l’autocrate local, le nom de ce grand homme et la date des festivités d’inauguration encore présidées par le même homme d’exception. Pour tout ce travail d’apparat, il sera mémorisé et célébré dans la postérité pour avoir « beaucoup œuvré pour sa ville ».

Le « cas tourangeau », arbitraire et désastre révélateur

Les choses auraient dû se passer ainsi à Tours comme dans toutes les villes. Mais trop d’éléments suspects, trop facilement identifiables ne permettent plus de se contenter d’une belle histoire officielle. Avec en plus une commission d’enquête publique « bidon » de pure formalité administrative, annihilant par un « avis favorable sans restriction » l’ensemble des critiques pertinentes et nombreuses formulées par la population, l’arbitraire du pouvoir s’est manifesté sans discontinuer.

A la fête en grande pompe médiatique, il y aura beaucoup d’absents. Nombreux les habitants, pleinement conscients des conséquences concrètes du trajet du tramway dans leur quartier, ne seront pas présents et avec eux, seront aussi absentes les associations naturalistes et environnementalistes pourtant très favorables au tramway. Celui voulu par les autorités n’est pas le tramway qu’ils souhaitaient. Mais grâce au péplum médiatique leur absence ne sera pas remarquée.

Seule « l’écolocratie » locale, « Les Verts » « maison » et la foule des « écologistes benêts » accompagneront le cortège. Ils seront aux cotés des autorités municipales avec les représentants des transnationales du BTP. Leur présence en bénédiction de greenwashing dans les festivités fait désormais partie du protocole réglementaire.

L’obstination dans l’arbitraire, le refus systématique du dialogue avec les associations environnementalistes, la démesure du projet confinant à l’arnaque, un « budget design » de copinage politique (1), 650.000 euros c’est le prix de l’idée du « film miroir » pour le « tram-miroir » afin que la ville puisse se mirer dans son tramway, la volonté dévastatrice constamment et farouchement réaffirmée sur la trame arborée patrimoniale, avec pour couronner le tout la démission manifeste de la commission d’enquête publique confinant à la forfaiture par son « avis favorable sans restriction » ; tous ces aspects suspects et bien d’autres appellent un questionnement et l’écriture une contre-histoire.

Le projet de « requalification » sécuritaire de l’espace public en centre ville est l’une des pistes apparues dans l’analyse de tramway. Elle peut être une réponse à la question « Pourquoi autant d’arbres inutilement abattus, sans raison technique puisqu’éloignés du tracé proprement dit (2) ? » La « vidéosurveillance » et la « prévention situationnelle » sont maintenant deux obsessions unanimes, très actuelles dans toute politique de la ville. A Tours cette piste assez facile à suivre, a reçu ses noms de codes esthétiques et médiatiques: « minéralisation » et « Quatrième Paysage ».

Le clone technocratique « hors sol » s’obstine dans sa logique dévastatrice

Le cas tourangeau n’est pas isolé. Dans d’autres villes, où subsistaient des allées arborées miraculeusement épargnées lors de l’envahissement automobile de l’espace urbain, on découvre le même scénario.

Beaucoup d’arbres sont prévus pour l’abattage ou sont déjà tombés parfois très en amont pour assurer le passage du tramway.

Lorsque dans une ville l’invasion automobile n’a pas totalement assuré sa « mission historique » dévastatrice c’est au trait du tramway qu’incombe d’achever le « sale boulot » en tombant comme par hasard sur les allées arborées. Sur ce point critique aujourd’hui, avec la crise écologique, le tramway reste en droite ligne de la dévastation automobile.

Alors qu’il existe une prise de conscience générale sur la crise écologique et les menaces futures du réchauffement climatique, alors que la presse ne cesse d’en faire ses gros titres et d’écrire sur ce sujet, dans la ville on continue de brûler de l’énergie pour détruire encore les anciens « corridors écologiques ».

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Alors qu’il y a dix mille fois la place de faire arriver un tramway sur une chaussée déjà apprêtée, ce sont les allées arborées qui sont visées en premier dans les villes.

On apprend que la ville de Besançon a de la même façon fait tomber comme par hasard pour son tramway, son trait sur une allée arborée.

Six cent arbres sont prévus pour être abattus…

« A Besançon aussi [comme à Tours] ils veulent supprimer tous les arbres du quai Battant pour faire passer un tramway. » signale un habitant de cette ville.

« Côté environnement la construction du tramway entrainerait l’abattage de 620 arbres, notamment sur le quai le long du quartier Battant. En contrepartie 1170 seraient plantés. » (3) Exactement comme à Tours, ils seront donc abattus au cri de guerre des tronçonneuses « On replantera des arbres ! »

Pour préserver l’allée arborée dans cette ville, Franche-Comté Nature Environnement est intervenue auprès des autorités. Par une « lettre ouverte », écrite dans un style « néo-baroque », pour ne pas trop gâcher la fête du tramway bisontin, cette association environnementaliste rappelle l’importance patrimoniale historique et écologique de l’allée de platanes du quai Veil-Picard et parle à son sujet de « réel corridor écologique » (4)…

« C’est pareil à Angers, tous les Arbres de la rue de Létanduère ont été abattus pour le passage du Tramway. » Signale un habitant de cette ville. Y-a-t-il eu dans cette ville une protestation écologiste avant le désastre ?

La guerre aux écosystèmes urbains en continuité de l’invasion automobile n’est donc pas une spécificité tourangelle. D’autres villes sont aussi frappées par la même logique technocratique ; il ne s’agit donc pas seulement d’un caprice esthétique d’autocrate local allergique aux arbres.

Le gros train électrique présenté comme une alternative à l’automobile s’attaque en premier aux espaces arborés patrimoniaux réservés aux marcheurs. En cela les tramways se maintiennent donc sur les mêmes rails dévastateurs, en continuité historique et politique de l’envahissement automobile de la ville.

Lorsque la ville est de toute évidence devenue un capharnaüm automobile et qu’elle veut encore accroitre sa « croissance » et son influence envahissante sur les campagnes environnantes, le tramway apparaît comme une étape obligée. Dans le « développement durable » du processus concentrationnaire urbain, il s’intègre comme un relais indispensable à la circulation automobile.

Tandis qu’en périphérie des villes se multiplient encore les périphériques autoroutiers, au centre de « magnifiques» trains électriques font leur apparition. L’arrivée de ces mécaniques rutilantes et métallisées d’esthétique futuriste est célébrée infiniment mieux que celle d’un « Messie », un véritable « veau d’or » pour « écologistes benêts ». Le même état-major municipal, la même hiérarchie sacerdotale travaille au centre et en périphérie.

A Tours il a donc été possible de décrire dans le détail et d’écrire en temps réel la « contre histoire » de l’arrivée du tramway dans la ville.

Le chantier colossal spoliateur des deniers publics et dévastateur de tout le patrimoine arboré de la ville fait suite immédiate aux désastres des périphériques autoroutiers. Après leur saccage écologique dans la vallée de la Choisille, les engins de chantier libérés en périphérie attendent en ordre de bataille. Insatiables, les transnationales du BTP sont prêtes, elles attendent l’ordre de l’état major municipal pour lancer l’assaut sur le centre ville.

Nantes, Marseille, Grenoble, et Strasbourg…

Toutes ces villes, « capitales régionales », capharnaüm automobile et carrefours autoroutiers régionaux ont atteint leurs limites ultimes en matière de circulation automobile. Arrivées à ce point absurde et pour croître encore, elles se sont dotées d’un tramway. Toutes ces villes rêvent de croissance urbaine supplémentaire. Toutes affichent l’objectif esthétique d’atteindre une meilleure visibilité internationale. Unanimes elles s’inscrivent dans cette compétition débile pour coter leur ville en bourse et la financiariser sur le marché mondial.

De fait, il s’agit d’un choix éprouvé où excelle la « technocratie avancée », « grossir encore » pour continuer dans la même direction : être en rupture délibérée et toujours plus dévastatrice sur l’économie locale pour chercher son salut économique sur le marché mondial.

Les édiles de Nantes rêvent leur ville comme une nouvelle plateforme aéroportuaire internationale, encore une « guerre aux chaumières », encore des terres agricoles stérilisées, monopolisées et privatisées au profit des transnationales.

Marseille épicentre de la vaste dévastation autoroutière de la Provence de Giono, se rêve en nouvelle Rome régnant en capitale économique sur l’ensemble du bassin méditerranéen. Grenoble cloaque autoroutier veut briller dans le « beau monde » des « nécro-technologies ».

Strasbourg déjà capitale Européenne éprouve un besoin pressant d’un « grand contournement ouest » autoroutier, encore des terres agricoles, des zones naturelles dévastées dont celle de valeur européenne du « Grand Hamster », une espèce menacée.

Et Tours récemment devenue carrefour autoroutier national entre la Bretagne et la Provence, l’Île de France et l’Aquitaine veut suivre bêtement ce mouvement pour atteindre à son tour une visibilité internationale. Toutes ces villes ont leur train électrique de ville et sont comme tout parc d’attraction où l’on vient en voiture.

Il est clair que dans ces cités obsédées par leur croissance économique, si l’on pense à un urbanisme de « l’après pétrole » il est loin d’être prévu dans une perspective écologique. Car orienter la ville vers « l’après pétrole » c’est anticiper dès aujourd’hui sur sa décroissance énergétique générale.

Tours le mardi 14 décembre 2010
JMS

(1) La NR 27/11/2010 Dossier tramway : plainte pour prise illégale d’intérêt
Françoise Amiot a déposé plainte contre Régine Charvet-Pello, élue à Tours et gérante du cabinet retenu pour le design du futur tramway.
Nouvelle République : Dossier tramway : plainte pour prise illégale d’intérêt
(2) 40 platanes abattus avenue de Grammont !
(3) http://carfree.fr/index.php/2010/10/11/besancon-le-tram-en-bonne-voie/
(4) Lettre ouverte de Franche Conté Nature Environnement au Président d’Agglomération du Grand Besançon, le 19 mai 2010

3 commentaires sur “Le Tramway, derrière son plébiscite publicitaire

  1. Pascal

    Malheuresement, je (moi le rémois) me suis retrouvé dans cet article car le peu de patrimoine arboré de la cité des Sacres a été massacré au moment de l’arrivée du tramway. Juste avant le début des travaux, le société concessionnaire Mars avait promis de planter plus d’arbres qu’elles en détruisaient. Résultat, l’ensemble des marroniers de l’avenue de Laon ont disparu et remplacés mais n’ont pas composées entièrement. La place Stalingrand -proche de mon domicile – a été complêtement minéralisée avec la plantation de quelques-uns. De plus, ce projet n’a pas été négocié par l’ancienne municipalité de droite mais en plus, l’actuelle de gauche – avec Verts -n’a pas eu le courage ou « les couilles » de renégocier à la marge pour tenter de sauver ce patrimoine ou de demander une plantation compensatrice à l’identique.

  2. JMS

    @ Pascal
    Merci pour ces informations. Peux-tu me donner plus de détail sur les massacres du patrimoine arboré liés à l’arrivée du tramway à Reims.
    Y-a-t-il eu des association naturalistes ou environnementaliste qui ont protesté dans ta ville.
    Je les intégrerai dans le texte…
    La cinquième partie du texte est en cours de correction.

  3. Stéphane

    Salut,

    Au Havre, c’est le même topo « hors sol » : la relance par la tractopelle
    http://decroissance.lehavre.free.fr/reflexions.htm#tractopelle
    Très bon texte 🙂

    Le boulevard de Strasbourg, a lui aussi vu tous ces arbres arrachés, sous promesse d’en mettre encore plus à l’avenir… A voir !
    Voir Palais de Justice :
    http://www.tramway-agglo-lehavre.fr/mediatheque/galerie-d-images/les-futurs-amenagements

    A lire aussi : « Le nouveau Monde nucléaire »
    http://www.partipourladecroissance.net/?p=6220

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