La bicyclette et le vélo

C’est le contraire du vélo, la bicyclette. Une silhouette profilée mauve fluo dévale à soixante-dix à l’heure : c’est du vélo. Deux lycéennes côte à côte traversent un pont à Bruges : c’est de la bicyclette.

L’écart peut se réduire. Michel Audiard en knickers et chaussures hautes s’arrête pour boire un blanc sec au comptoir d’un bistro : c’est du vélo. Un adolescent en jeans descend de sa monture un bouquin à la main, et prend une menthe à l’eau à la terrasse : c’est de la bicyclette. On est d’un camp ou bien de l’autre. Il y a une frontière. Les lourds routiers ont beau jouer du guidon recourbé : c’est de la bicyclette. Les demi-course ont beau fourbir leurs garde-boue : c’est du vélo. Il vaut mieux ne pas feindre, et assumer sa race. On porte au fond de soi la perfection noire d’une bicyclette hollandaise, une écharpe flottant sur l’épaule.

Ou bien on rêve d’un vélo de course si léger : le bruissement de la chaîne glisserait comme un vol d’abeille. A bicyclette, on est un piéton en puissance, flâneur de venelles, dégustateur du journal sur un banc. A vélo, on ne s’arrête pas : moulé jusqu’aux genoux dans une combinaison néo spatiale, on ne pourrait marcher qu’en canard, et on ne marche pas.

C’est la lenteur et la vitesse ? Peut-être. Il y a pourtant des moulineurs à bicyclette très efficaces, et des petits pépés à vélo bien tranquilles.

Alors, lourdeur contre légèreté ? Davantage. Rêve d’envol d’un côté, de l’autre familiarité appuyée avec le sol. Et puis… Opposition de tout. Les couleurs. Au vélo l’orange métallisé, le vert pomme granny, et pour la bicyclette le marron terne, le blanc cassé, le rouge mat. Matières et formes aussi. A qui l’ampleur, la laine, le velours, les jupes écossaises ? A l’autre l’ajusté dans tous les synthétiques.

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On naît bicyclette ou vélo, c’est presque politique. Mais les vélos doivent renoncer à cette part d’eux-mêmes pour aimer – car on n’est amoureux qu’à bicyclette.

Extrait de « La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules »
De Philippe Delerm

8 commentaires sur “La bicyclette et le vélo

  1. Bosvieux

    On trouve cette opposition vélo vs bicyclette un peu partout mais ce clivage n’a pas de sens. Je suis né vélo et je suis devenu bicyclette tout en restant par moments vélo voire les 2 à la fois sur un même trajet… On a quand même beaucoup de points communs !

  2. vince

    Ca me rappelle l’article d’Olivier Razemon : Le cycliste des villes et le cycliste des champs

  3. abil59

    @bosvieux je fais aussi les 2 mais jamais en même temps. Mon amie ne fait que de la bicyclette et déteste le vélo.
    Pour moi la différence est plus un état d’esprit. Celui ou celle qui fait de la bicyclette est plus urbain, plus ouvert sur le monde et par là j’entends le regard d’une demoiselle, le chant des oiseaux, la rosée sur le bord de la route… que celui/celle qui fait du vélo qui est plus individualiste dans sa pratique et plus axé sur l’effort.
    Par exemple je trouve que les coursiers ou les biclous qui vont jusqu’à 45km/h ne sont pas à ranger du coté de la bicyclette.

  4. zit

    C’est déjà difficile de monter les cols à vélo, je n’ose pas imaginer à bicyclette ;o).

    Mais mes machines z’horizontales prêtent aussi bien à la pratique de l’une ou de l’autre des activités, j’ai monté des cols avec une enclume en inox (25 kg avec les sacoches, vides), et j’avais fais une halte au marché acheter des kilos de saucisson et de fromage, plus les litres d’eau et quelques provisions pour le déjeuner, donc ma vitesse ascensionnelle doit battre des records dans la faible vitesse, y’a le temps de profiter du paysage (je peux monter les portions vraiment raides à 3 ou 4 km/h, le temps de profiter du paysage ;o).

    De toute façon, j’ai aussi souvent un appareil photo et quelques objectifs pour profiter de la clarté de l’air en altitude, donc je n’hésite pas à descendre de mon vélo pour faire quelques panoramiques.

    En ville, c’est forcément bicyclette : pas le temps de se lancer qu’on est déjà arrêté à un feu… puis y’a la pollution, donc pour ménager ses voies respiratoires, vaut mieux pédaler cool.

  5. F.

    Il y a des années, en rentrant du boulot, j’ai croisé le chemin de 2 cyclistes en lycra fluo sur des engins de course qui mon invité à rouler avec eux. J’étais en vélo de ville avec mes habits de boulot.  Ils n’étaient pas de stricte obédience vélos de course et m’ont apostrophé en riant et ce fut la première fois que nous avons fait le chemin ensemble. Je me suis beaucoup amusé avec eux. Ils respiraient la bonne humeur, et les plaisanteries fusaient à tout bout de champs.
                Comme nous avions des horaires compatibles et j’ai commencé à espérer chaque jour les retrouver là ou notre chemin se croisait pour faire un bout de route avec eux, ce qui arrivait quelques fois par semaine. Après, mon boulot a déménagé. Les chapelles existent partout, musique, mode, politique, etc… Mais si nous militons pour le développement du vélo, il ne faut pas rejeter d’autres personnes, parce qu’elles ne sont pas exactement de la même chapelle.

  6. kervennic

    Quand l’auteur cessera d’etre approvisionné par des livreurs de supermarché et devra bouger en france rurale faute de pouvoir payer un loyer en zone urbaine servi au petrole, il aura le choix pour survivre entre la bagnole et le velo.

    J’ai un vieux velo de 15 ans que je repare, et je suis tres content de sa fonctionnalité sportive et de mes chaussures pro toutes troué qui me permettent de monter toutes les cotes tres rudes avec une carriole portant ma fille ou des bouteilles de gaz voire du foin.

     

  7. pedibus

    ah ça mon vieux Kervennic la carriole – ou remorque – c’est du tonnerre pour plein de choses… :

    – compost

    – légumes du jardin

    – déchets de la ville sous forme de bois à brûler pour la cuisinière, dont les sabots de sapin de Noël à la saison…

  8. Anne-Lise

    Il y a de l’exhibitionnisme dans le vélo, à commencer par le costume qu’il faut enfiler et qui ne cache pratiquement rien des parties les plus intimes de l’anatomie, masculine comme féminine, et de la discrétion dans la bicyclette, même la plus « chic et chère ». Le cycliste à vélo cherche souvent à aller vite, très vite, plus vite que lui-même ou des concurrents, le cycliste à bicyclette se contente souvent de se déplacer d’un point A à un point B, d’une manière plus ou moins alerte selon qu’il est pressé par un emploi du temps à tenir ou pas.

    Le dernier commentaire est particulièrement injuste et « ras du guidon » à  l’égard de Philippe Delerm, qui a été assez inspiré sur ce comparatif et demeure à… Beaumont le Roger, qui n’est pas précisément une zone urbaine.

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