L’enterrement du dernier piéton

Il y a quelques jours, les joyeux Parisiens suivirent l’enterrement du dernier omnibus à traction animale. Hier, ce fut le tour du dernier piéton, qui fut reconduit à sa dernière demeure avec tout le respect qu’il convenait de témoigner à ce vénérable débris des temps anciens, où l’homme pataugeait lamentablement dans la boue, usant de ses jambes pour vaquer à ses occupations journalières.

Le dernier piéton s’appelait Ventrepied (Gustave). Chaque jour, on pouvait le voir flâner sur les quais, s’arrêtant devant l’étalage des libraires, s’accoudant aux parapets, suivant de l’œil les remorqueurs noir et rouge, en service sur la Seine. Il s’aidait d’une canne et, clopin-clopant, traversait les Tuileries pour revenir à son domicile en passant par le Pont-Neuf.

Pour sa dernière promenade, un cortège fut organisé. En tête, roulaient les joyeux cyclistes, suivis des taxis-autos farceurs; pour terminer, les gros autobus en goguette bourdonnaient, saluant l’ère nouvelle de la locomotion mécanique.

Au milieu des rires, le désuet Ventrepied fut conduit à l’abattoir. La Société protectrice des piétons en avait décidé ainsi, jugeant qu’il serait plus humain de mettre un terme aux souffrances de ce malheureux, entièrement déplacé dans notre civilisation.

A midi moins dix, le dernier piéton tombait sous les coups du boucher. Son corps, partagé en morceaux d’égale grosseur, a été gracieusement distribué aux indigents par les soins de l’Assistance publique.

Le Journal, 26 janvier 1913.

Un commentaire sur “L’enterrement du dernier piéton

  1. letard

    Bonjour,

    Le dernier piéton n’est pas prêt d’exister.

    Soit il n’y aura plus d’humains vivant, donc, pas de deniers piétons mais des derniers piétons qui seront morts, soit il y aura encore des gens vivants et ce seront des piétons dès qu’ils quittent leurs véhicules pour marcher sur des voies publiques.

    Dès qu’un automobiliste marche sur une voie publique après avoir quitter son véhicule, il devient un piéton.

    A votre service.

     

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