Le Sanglier : « Ennemi du Peuple » et « Bête Noire » du BTP

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« Autrefois, était un temps où le gibier avait sa chance. Depuis, hélas ! Les choses ont bien changées. Il y a eu le catalogue de Manufrance, les boulettes de viande au cyanure et toute la gamme des fusils « Le Robust ». Au fil des ans, (…) l’homme a mis au point la chasse à courre, la battue administrative, la campagne de destruction des nuisibles…  (…) Loup, Ours, Lynx, se mirent à disparaître… » (1)

Notable exception, le Sanglier a survécu à l’hécatombe. Autrefois appelé « Bête Noire », certainement du fait de la teinte sombre de sa livrée ; il est devenu véritablement aujourd’hui « La Bête Noire », au sens politico-économique « d’ennemi de peuple ».

Désigné comme tel, il est pourchassé par l’état major technocratique. Cette traque est pilotée au plus haut niveau par le nouveau et tentaculaire ministère de l’écologie.

Le Sanglier fait de la résistance. Assiégé de toute part, confronté aux « impératifs de la modernisation de l’économie », menacé par les « aménageurs du territoire », les avancées des monocultures intensives de maïs et les promoteurs immobiliers, le Sanglier est livré à la vindicte professionnelle. Il est devenu « La Bête Noire » officielle d’une Nation toute entière et, à ce titre, fait l’objet de « lois d’exception ».

Un « Plan National de Maîtrise du Sanglier » (2) émanant du ministère de l’écologie définit les modalités de la guerre à mener contre l’animal forestier. Dans cette entreprise de protection d’un peuple travailleur, « usager de la route » en péril, les chasseurs sont en première ligne. Ils recueillent le rôle valorisant de « bras armé » de la Nation…

Entré en résistance, le sanglier téméraire, ou inconscient de ce qui l’attend, revendique encore la préservation de son espace naturel originel. Avec un courage incompréhensible, il défend sa liberté d’aller et de venir sur la totalité d’un territoire qui est le sien depuis des millénaires.

Aucune agressivité spontanée envers les hommes ne lui était connue depuis le néolithique européen. « Dans la nature le Sanglier n’attaque jamais l’homme » affirme la Hulotte en accord avec l’ensemble des naturalistes…
Que s’est-il donc passé pour qu’un « Plan National » organise une traque à « La Bête Noire » ?

La France en « état de siège », encerclée par un million de Sangliers

Depuis quelques années dans la Presse nationale, les articles qui parlent du Sanglier sont des appels à la Mobilisation Générale. Quelle que soit la couleur politique ou obédience religieuse du journal, le discours stéréotypé est unanime : la nation est menacée, c’est « l’état de siège, « le Peuple est en danger » et c’est « l’appel à la Guerre » : « Le sanglier est une menace permanente ! » « Un danger public ! » « Les dégâts aux cultures sont énormes » et « les forêts souffrent du Sanglier ».

« Ses vagabondages font régner l’insécurité sur les routes ! » « La sécurité des automobilistes est menacée ! » Les sommes dépensées en indemnités sont « colossales », « prolifération incontrôlée du Sanglier ». Tels sont les messages régulièrement et inlassablement martelés, tous les ans, dans les journaux les plus divers, généralistes (3) (4) (5) ou spécialistes (6).

En lisant ces textes, on découvre un pays en « état de siège ». Dans le Plan national officiel, définissant les modalités opérationnelles de la guerre au Sanglier, et reprenant les propos alarmistes et « doléances » des journalistes et agents économiques, on peut lire : « La présence de populations importantes de sangliers peut avoir un impact négatif : dégâts agricoles, dégradation des propriétés privées et de friches industrielles dans les secteurs urbanisés, collisions avec des véhicules automobiles, dégâts aux peuplements forestiers, risques sanitaires… La fréquence et l’intensité de ces nuisances varient selon les départements… »

« Population importante » de Sanglier, émanant d’un ministère de l’écologie on peut considérer sans rire qu’il s’agit d’un effort de quantification très précis…

Un million de Sangliers peuplent l’Hexagone et, dans ce grand « royaume des hommes en arme », 500.000 Sangliers sont abattus chaque année par les chasseurs. Ces derniers, au nombre impressionnant de « 1,4 million de pratiquants », sont encore en augmentation selon les chiffres « optimistes » de leur Fédération.

Suffisamment de Sangliers pour les chasseurs…

Quel serait l’effectif idéal pour une population acceptable de Sangliers dans l’Hexagone ? La réponse est simple en ordre de grandeur. « Suffisamment » pour les chasseurs, « pas trop » pour les agriculteurs ou encore « pas du tout » pour les « usagers de la route ».

Cependant le pouvoir politique et le poids économique des chasseurs en France reste suffisamment important pour exclure de la discussion, l’idéal spécifique de la Sécurité Routière. C’est le côté « écolo » que revendiquent les chasseurs, ils veulent de la faune sauvage…

Sans s’ennuyer avec les chiffres, on peut se faire une idée de l’importance économique et industrielle de la chasse de divertissement en France. On y arrive tout simplement en feuilletant une revue de chasseurs.

Comme tous les magazines, généraliste ou spécialiste, on trouve en alternance dans ces revues une page d’article de journaliste et une page de publicité pour des articles. Armes et munitions de tous types, matériel optique, jumelles et lunettes de visée, hôtellerie, safari chasse dans tous les pays, tenues vestimentaires spécialisées, « habillé » de camouflage adapté à tous les temps, armes blanches, pièges et quincailleries diverses ; sans oublier la publicité automobile où les 4-4 rivalisent de performances aux premières places ; mille et un produits industriels sont proposés à la vente pour rendre agréable un loisir qui n’est en définitive qu’une comptabilité ostentatoire de cadavres.

On comprend facilement, par la quantité et la diversité des marchandises produites et proposées à la vente par les nombreuses industries gravitant autour de la chasse, qu’il faut un minimum « suffisant » de Sangliers à tuer, pour satisfaire tout le monde ; à la fois l’activité récréative des valeureux chasseurs et les nombreuses activités de dimensions industrielles. La fédération nationale des chasseurs, pour bien faire comprendre son poids économique et par conséquent sa force politique, rappelle et vante les « flux financiers » milliardaires de ce loisir « nature ».

Lire aussi :  Un Jardin de la France en béton armé (2)

La réponse à la question se situe donc entre « suffisamment » et « pas trop ». Mais, aux yeux de l’administration, ce niveau de population du Sanglier, c’est encore trop. Les propos alarmistes réitérés dans La Presse Nationale semblent avoir convaincu le ministère de l’écologie. Malgré l’influence politique des chasseurs, le ministère de l’écologie semble animé par un souci aigu de « modernisation écologique » du territoire…

Que se passe-t-il donc, pour que La Presse Nationale et le Ministère de l’écologie nouvelle tentent de nous présenter une Nation en « état de siège » ?

Béton et bitume dévorent impitoyablement la nature

Dans les vieux livres naturalistes sur la vie de la Forêt, on présentait le Sanglier comme un des « Jardiniers de la Forêt », un titre véritablement honorifique. Par le simple fait de son activité alimentaire on en faisait même un « protecteur de la santé des arbres » (7).

« Le Jardinier de la Forêt dans la nature n’attaque jamais l’homme ! ». C’était le bon vieux temps… Que s’est-il donc passé, pour qu’un tel changement de paradigme survienne dans la perception du Sanglier ? Pourquoi cette rupture soudaine d’un ministre de l’écologie et ami de Nicolas, avec les anciennes analyses éprouvées des naturalistes ?

Si l’animal est bien resté le même, si le Sanglier n’a pas subit de mutations ou manipulations génétiques, comment comprendre le paradoxe de cette nouvelle et soudaine perception menaçante d’un ongulé sauvage dont le seul et unique prédateur actuel est « l’homme armé »?

La Nature « s’est fragmentée », elle s’est raréfiée autour du Sanglier ! Tous les dix ans, il disparaît en France, l’équivalent d’un département sous des surfaces artificialisées. Béton et bitume dévorent impitoyablement la nature. Inexorablement, avec cette artificialisation des terres, le Sanglier a fini par devenir une espèce commensale de l’Homme…

Par sa taille le Sanglier est comme l’Orang-outan, il est l’une des premières victimes visibles de l’activité économique. Il s’est retrouvé dépossédé de son espace de vie, par cette conquête économique perpétuelle des terres et espaces naturels. Mais, avec lui, c’est toute la biodiversité qui est concernée. La Biodiversité se raréfie autour du Sanglier…

Chaque année en France, des dizaines de milliers d’hectares de terres vivantes sont stérilisées à jamais. Terres fertiles et espaces naturels et biodiversité disparaissent, autour du Sanglier.

La relance des « Grands Chantiers »

Le Grenelle de l’environnement, auquel de nombreuses associations naturalistes ont participé le plus innocemment du monde aux côtés des chasseurs et des industriels, a été, dans ses grandes lignes (non démagogiques), l’occasion d’un état des lieux politique. Une évaluation préalable des forces en présence, en vue de la relance d’un nouveau plan d’aménagement industriel du territoire.

De nouveaux axes autoroutiers vont doubler et se faire doubler par de nouvelles lignes TGV. De nouveaux aéroports attendent dans les cartons aux cotés de nouveaux périphériques urbains et autres nouveaux technopoles… Les multinationales du BTP, après leur victoire au Grenelle de leur environnement se retrouvent libres et en bonne place pour se partager à nouveau le territoire national. Un partenariat public privé renforcé et maintenant validé par le Grenelle de l’environnement, leur assure en série de multiples concessions d’exploitation du territoire…

Dans ce nouveau cadre-là, de relance économique par les grands chantiers, le ministre de l’écologie a jugé utile d’entreprendre sur le territoire un nettoyage préalable de sa faune sauvage encombrante. Il lance son Plan National de Maîtrise du Sanglier. C’est la « modernisation écologique ». Malheureusement pour le Sanglier et l’ensemble de la faune sauvage, les temps ont bien changé. La circulation des marchandises sur le territoire s’est encore accélérée, elle n’est plus, depuis longtemps, de la simple compétence des muletiers. Il en est de même pour la mobilité des personnes, de puissantes et influentes multinationales tentaculaires du BTP en ont fait leur affaire exclusive. Elles obtiennent sans difficulté des ministères d’importantes concessions territoriales d’exploitation (8)…

Dans la « modernisation écologique » du territoire, le seul et unique prédateur du Sanglier s’affirme plus que jamais aujourd’hui, comme un « super-prédateur » d’espaces naturels ! Avec l’aval du ministère de l’écologie, les entreprises du BTP sous-traitent aux chasseurs le nettoyage nécessaire de la faune sauvage, maintenant devenue encombrante dans la nouvelle « modernisation écologique ».

Juillet 2009 corrigé et mise à jour mars 2010

(1) La Hulotte n° 23 1974 Journal naturaliste
(2) Plan National de maîtrise du Sanglier
http://www2.equipement.gouv.fr/…PNMS.pdf
(3) Le Monde mercredi 26 novembre 2003.
(4) Libération mardi 6 mai 2008 « Gibier de banlieue »
(5) La Vie n° 3334, 23 juillet 2009 « Borloo s’attaque aux sangliers »
(6) La Chasse en Touraine n° 224 septembre 2008. «  Sangliers, Cerfs, Chevreuils, bêtes noire de la sécurité routière. » « Les trois millions de sangliers, cerfs et autres chevreuils qui prolifèrent dans les forêts et jusqu’aux abords des villes, provoquent (sic) chaque année des millier d’accidents de la circulation, le nombre des dossiers d’indemnisation devant atteindre 25 000 en 2008… »
(7) Bernard Fischesser « La Vie de la Forêt » Ed. Horizon 1970.
(8) Le Monde mercredi 31 mars 2010 « Vinci décroche le contrant de 7,2 milliards d’euros pour la ligne TGV Tours Bordeaux » « L’entreprise de BTP construira et exploitera ce tronçon durant cinquante ans, dans le cadre d’une concession public – privée. » Dans cet article on découvre la nouvelle politique d’aménagement – privatisation du territoire. Trois multinationales sont en concurrence pour les concessions d’exploitation territoriale : Vinci, Bouygues et Eiffage…