Non, ce n’est plus le 1er avril. La question des trottoirs mérite sans aucun doute d’être posée car cet aménagement urbain peut apparaître dans de très nombreux cas comme un ghetto pour piétons.
Au départ, il s’agit d’une blague lancée le 1er avril par le mouvement américain People for bikes. Ce mouvement milite pour plus de pistes cyclables (séparées des voitures) pour les cyclistes. Et la cible de la satire ici est la notion selon laquelle des espaces séparés pourraient être dangereux. Dit autrement, ils sont convaincus que des espaces séparés de la circulation automobile, pour les vélos et pour les piétons, sont indispensables.
En fait, il s’agit d’un vieux débat que l’on peut formuler ainsi: des espaces clairement séparés pour les vélos et les piétons offrent une certaine sécurité, ressentie à défaut d’être effective, et sont donc susceptibles de participer au développement de l’usage du vélo et de la marche. A vrai dire, c’est sans doute à la fois vrai et faux, tout dépend de quoi l’on parle et, en particulier, de quel endroit on parle, entre centre-ville, quartiers de faubourgs, zones suburbaines, etc.
Au plus loin que l’on puisse remonter, le trottoir semble dater de l’époque romaine, avec une présence avérée à Pompéi par exemple il y a 2000 ans. Au Moyen-Âge, le trottoir semble disparaître au profit d’un aménagement des voiries avec ruisseau central pour l’écoulement des eaux. Il semble qu’il réapparaisse à la Renaissance pour que les nobles qui descendaient de leur carrosse puissent circuler au propre.
Avec l’arrivée de l’automobile, le trottoir devient la norme, imposant une stricte répartition de l’espace, à savoir la plus grande partie de la rue pour les voitures et un bout de trottoir pour les piétons. La hiérarchisation des modes de déplacement était en marche, ou plutôt en voiture.
A priori, le trottoir présente, du point de vue la circulation, deux avantages. Il garantit aux piétons un espace à eux et leur procure donc un sentiment de sécurité. Par ailleurs, il garantit aux automobilistes une vitesse minimale en milieu urbain dense, en limitant la présence inopinée des piétons sur la chaussée. Le « chacun sa voie » peut ainsi être vu comme une organisation taylorienne de la circulation visant à maximiser l’efficacité des déplacements.
Sauf que le « chacun sa voie » peut aussi avoir ses inconvénients. Comme pour les pistes cyclables, la règle en matière de circulation veut qu’à un moment ou un autre, les flux se croisent. Il ne peut exister, à de rares exceptions près, de séparation complète des flux: la piste cyclable croise un flux de voitures, le piéton doit traverser la rue, etc. Et qui dit croisements dit risque de collision. Or, la sécurité ressentie liée à un espace réservé comme une piste cyclable ou un trottoir peut s’avérer dangereuse au moment du croisement. La pratique d’un espace réservé et protégé peut diminuer la vigilance et être facteur d’accident.
Malgré tout, les adeptes des modes actifs seront tous à peu près d’accord pour privilégier l’aménagement séparé offrant sécurité au long cours, même si la nécessité de croiser les flux de voitures à un moment où un autre pose problème. D’un autre côté, comme l’existence même d’espaces réservés aux différents modes de déplacement est un facteur poussant à la vitesse automobile, les croisements en deviennent d’autant plus problématiques pour les piétons et les cyclistes.
Bien sûr, il y a les feux de circulation et les petits bonhommes verts pour régler cette question. Mais bien souvent, la traversée des rues devient un exercice périlleux et il n’est pas rare de voir les piétons courir d’un trottoir à l’autre, pour échapper à la vindicte automobile spécialisée dans le « tir aux piétons« .
En fait, avec les aménagements séparés comme les trottoirs, on officialise le fait que la rue est prioritairement destinée à la voiture. La répartition de l’espace « de façade à façade » est en général éloquente, la plus grande partie étant réservée à l’automobile (circulation+stationnement). Dans cet univers auto-centré, le piéton doit longer les murs, demander la permission de traverser en appuyant sur un bouton et parfois courir pour atteindre le trottoir d’en face.
C’est pourquoi, il parait plus que jamais nécessaire de supprimer, dans certains cas, les trottoirs. Ce que l’on appelle les « espaces partagés » sont justement des aménagements urbains sans trottoirs où tous les usagers peuvent cohabiter à faible vitesse. Évidemment, il s’agit d’aménagements destinés au centre des villes ou des villages, si et seulement si il n’a pas été possible de créer avant un espace piéton où la voiture est tout simplement interdite.
L’espace partagé met l’automobiliste en difficulté; il perd ses repères, peut voir surgir des piétons ou des cyclistes à chaque instant et partout. L’aménagement est en lui-même facteur de réduction des vitesses et d’accroissement de la vigilance des automobilistes. Les piétons (et les cyclistes) reviennent au centre de la rue, tout l’espace leur est potentiellement affecté. La ville devient plus vivable, sans pour autant interdire la circulation des voitures.
Bien sûr, ce type d’aménagement n’est pas forcément adapté partout et en tous lieux. Chaque cas mérite une analyse spécifique et un aménagement adapté. Mais, la suppression des trottoirs dans de très nombreux endroits pourrait être menée avec succès et participer à rendre les villes plus vivables.
Le véritable problème réside en fait dans le traitement des banlieues périurbaines où l’automobile est reine. Dans ce type d’espace, caractérisé par des largeurs de voies confortables, un retrait des façades et la quasi-absence d’activités commerciales de proximité, il ne peut être question de mettre en place des « espaces partagés ».
Au contraire, il semblerait que dans ces zones, la séparation des flux soit justement le meilleur aménagement possible en matière de sécurité. Non seulement pour donner aux piétons ou aux cyclistes un espace réservé et protégé du flux rapide des voitures, mais aussi parce que la simple présence d’un trottoir semble être un facteur de diminution des vitesses pour les automobilistes. Cela peut sembler contradictoire avec ce qui a été dit précédemment, mais cela ne l’est pas, tout dépend de la vitesse moyenne « de départ ».
En milieu urbain dense, la vitesse automobile est naturellement plus faible à la base, du fait de la configuration des voies et de l’urbanisme, avec une présence accrue des piétons. Dans ce contexte, le trottoir assure une vitesse minimale aux voitures. En milieu périurbain, la vitesse automobile a tendance à être plus élevée avec parfois une configuration des voies plus « routière » que réellement urbaine. Dans ce contexte, le trottoir « urbanise » la voie et fait prendre conscience aux automobilistes qu’il peut éventuellement y avoir des piétons dans le secteur, ce qui tend à réduire les vitesses moyennes.
Ainsi, il n’y a pas de cas général applicable partout. Chaque type d’espace, chaque configuration peuvent nécessiter des traitements différents. Si on peut déplorer que les espaces périurbains soient intrinsèquement « pensés » pour l’automobile, on est malgré tout obligé de le reconnaître. Sauf à repenser entièrement leur urbanisme, en redensifiant, en réduisant la largeur des voies, en développant le commerce de proximité, il paraît impératif de créer des espaces réservés pour les piétons et les cyclistes, même si au bout du compte ces espaces réservés ne font que maintenir la toute-puissance de l’automobile dans le péri-urbain.
Par contre, dès que l’urbanisme se densifie quelque peu, l’activité commerciale de proximité apparaît, la densité de piétons et de cyclistes aussi, il faut privilégier systématiquement les espaces partagés pour remettre l’automobiliste à sa place, c’est-à-dire à un endroit où l’absence de repères et la mixité des usages pourront lui permettre d’avoir un comportement civilisé à faible vitesse.
Alors oui, dans de très nombreux cas, il faut supprimer les trottoirs!
Merci Marcel pour cette analyse. Effectivement le cas par cas est bien la meilleure des règles.
Un exemple d’aménagement séparé en général très bien réussi dans les villes est la transformation de grands boulevards routiers en voies de tram + cyclistes + piétons + voitures. Chacun a un espace dédié, souvent assez large et il reste 2x1voie séparées pour les voitures, qui dans cette voie etroite ont tendance à ralentir.
pour les espaces communs, c’est pas évident, car même en zone de rencontre (20km/h), aux heures de moyenne à faible affluence aucun automobiliste ne roule sous les 30 (sauf grosse fréquentation), ce qui a tendance à renvoyer les piétons froler les murs.
par contre, tu n’abordes pas le stationnement sauvage sur les trottoirs en faisant l’hypothèse que nos amis automobilistes sont civilisés et ne se parquent que dans des espaces qui leurs sont dédiés. C’est hélas un problème qui complique l’équation de l’aménagement (séparé? commun? mobilier urbain?).
Une fois de plus, les 2 problèmes qui me viennent à l’esprit sont imputables non pas à la voiture elle meme (elle a deja tous les maux, ne lui en rajoutons pas gratuitement), mais à l’incivilité de leurs chauffeurs et/ou au manque de repression et à l’absence de politique dans ce sens.
Je n’étais pas d’accord avec le début de l’article puis la fin de l’article m’a fait changer d’avis, en fait l’analyse est plutôt bien faite.
Ça dépend effectivement grandement des milieux où l’on se trouve, c’est comme pour les zones 30 : une zone 30 en pleine banlieue dans laquelle les voitures frôlent tous les cyclistes est plus désagréable qu’une voie à 90 km/h séparée de la piste cyclable, mais en plein centre, le 30 voire le 20 est effectivement préférable.
Mais l’idéal reste quand même la piétonisation complète avec autorisation spécifique pour les voitures : ça n’empêche pas les livraisons ou les riverains d’accéder à ces zones mais le flux est tellement bas et la présence de piétons tellement dense que les voitures laissent la priorité aux piétons partout et passent quand elles peuvent (le retour à la logique des choses).
Pour les zones alentours, la séparation totale reste le plus sécuritaire, avec idéalement, des trottoirs très larges et des voies automobiles très étroites.
N’oublions pas aussi que la séparation des voies entre cyclistes/piétons et automobiles se fait très souvent au détriment des premiers, en terme de temps de parcours. Les voies réservées aux modes doux cèdent en effet bien souvent la priorité aux voies automobiles dans les croisements (qu’ils soient de type rond point ou intersection) et sont par mesure obsessionnelle de « sécurité » encombrées de potelets et de barrières en milieu de piste ou de trottoir, obligeant par exemple le cycliste à mettre pied à terre, voire à défaire son paquetage s’il est volumineux. Il en est de même pour un piéton tirant ou poussant une charrette/poussette.
Le contournement des flux automobiles, les arrêts exigés devant eux rallongent les parcours des piétons et ralentissent les cyclistes conforntés aux rayons très serrés des courbes ainsi qu’à des reprises fréquentes sur côte.
Le second inconvénient des voies séparées est le coût de leur construction (travaux de terrassement, rajout d’enrobés et de barrières, panneaux de signalisation, etc…) alors qu’un simple aménagement d’espace partagé se résout par la pose d’obstacles divers (chicanes et coussins berlinois) qui ralentit forcément l’allure des plus gros véhicules tout en laissant filer les plus légers et les moins rapides.
La solution reste effectivement en priorité l’espace partagé, même dans les endroits les plus inattendus pour infléchir les comportements d’appropriation des espaces de circulation par les automobilistes.
Devraient être ainsi mis à l’étude des zones partagées avec obstacle à la vitesse automobile sur certains tronçons d’autoroute qui se sont appropriés les parcours les plus courts au détriment des anciennes nationales sur lesquelles pouvaient circuler piétons, cyclistes, animaux et tracteurs.
Notre Marcel va bien plus loin que ma proposition provocatrice de les privatiser les trottoirs!!! Et je ne sais toujours si c’est de l’art ou du cochon qu’il nous tambouille-là…
Toujours est-il que oui, bien vu, il faut évidemment agir au cas par cas pour l’aménagement viaire, de l’élargissement de trottoirs au délicat concept « d’espace partagé » pour lequel je renvoie vers le lien de ma dernière ponte… : http://carfree.fr/index.php/2013/04/09/regard-critique-sur-le-concept-despace-partage/ Délicate la chose en effet, puisqu’on ne décrète pas à coup de panneaux, à coup de pinceaux sur la chaussée ou d’autres dispositifs dont ont le secret nos concepteurs de zones à mixité modale.
Si l’étude britannique fait douter de l’efficacité du concept pour un rond point particulier on peut s’interroger aussi sur le comportement de nos « amis motorisés ». Qui n’a pas eu l’occasion de repasser à un moment différent de la journée à un endroit familier de la ville et de constater combien l’allure et la civilité des automobilistes changeaient du tout au tout ? Plus vite et avec un refus fréquent de laisser traverser les piétons à la nuit tombée quand les rues se vident par exemple…
J’avouerais ma faiblesse pour ce que réclame Struddel : des rues piétonnes un max, avé des vélos pas trop véloces…
Au Japon, il y a de nombreuses villes où les trottoirs sont remplacés par de simples bandes blanches peintes au sol pour délimiter l’espace réservé aux piétons, surtout dans les artères secondaires.
J’ai souvent trouvé que ça modifiait complètement la perception du tissu urbain et que ça incitait les automobilistes à rouler plus prudemment…
Petit complément, sur Bob S.
La semaine dernière, sur france4,
de 20 à 6h du mat,
ils ont passé « Tokyo reverse » :
2 personnes (et des musiciens) :
1 personne qui marche à l envers, et un caméraman qui le suit, en marchant à l endroit,
MAIS le film est passé à l envers :
seule la personne en face de nous avance…
et tout le monde, dont les cyclistes et les autos, reculent.
(c était reposant à voir 🙂 précision : je n ai regardé que par tranches de 5-15 minutes… et pas en entier)
On y voit les ruelles secondaires, de 10-12 m de large, avec ou -le plus souvent- sans bandes blanches de délimitation (d ailleurs, les piétons marchent partout, dans ces rues secondaires)
Sans doute n’ont-ils pas passé l heure de pointe, pendant laquelle tout le monde manque de place, que ce soit sur la chaussée, mais aussi sur les trottoirs…
mais, quand j ai regardé,
dans ces rues secondaires,
il y avait surtout des piétons, qq vélos, et moins de moitié moins de voitures que de vélos.
Sinon, sur les axes principaux, on voyait le flux de voitures+camionnettes+camions+cars au-dessus des têtes des piétons arrêtés, pendant qu’ il attend à un feu (après avoir traversé o_°)
Mais les trottoirs semblaient tous bien large : 2.5m voire plus
Si bien que Tokyo semble très bien adaptée aux piétons
(après… celà dépend peut-être des quartiers et/ou des heures de passages…)
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Point surprenant…
quasi pas de barrières, et encore moins de potelets.. celà change de nos centre-ville…
par contre, malgré celà, il n y a pas des voitures garées partout…
bien moins que chez nous !
(je suppose que l amende (salée?) ou la mise en fourrière est appliquée, contrairement au laxisme qu’on trouve en france)
Pour ce qui est de supprimer les trottoirs, les automobilistes votent déjà pour tous les jours en les considérant comme des parkings. D’autant plus qu’ils ont souvent moins de risques de verbalisation que s’ils ne s’acquittent pas de la redevance pour un parking légal.
En effet Carl : c’est la grosse catastrophe en France. Dans le système symbolique de notre société actuelle trottoir = parking
…et l’équation n’est pas prête à être modifiée…
Même du côté de l’ARS Aquitaine je me suis fait taxer de jusqu’au boutisme en dénonçant l’année dernière l’incurie des élus bordelais…
A quand le moment où on commencera à rougir de ce comportement chez « nos amis motorisés individuels »?…