Retrouver la ville

Pourquoi, “la ville” ?

J’ai préféré ne pas adjoindre d’adjectif (durable, verte, douce…) au mot “ville” présent dans le titre de cet article, afin d’éviter le pléonasme. La ville-voiture, en effet, n’a-t-elle pas déjà cessé d’être une ville ? En ayant assujetti la ville à la circulation automobile, nous en avons fait une route. Une route maillée, avec des carrefours, des voies rapides et secondaires, des feux et une signalisation spécifique, mais une route quand même. Cette “ville-machine”, qui profite uniquement à la circulation motorisée et nuit aux autres usagers (pollution, bruit, insécurité, barrières de franchissement…) fut rêvée par les urbanistes du XXe siècle, eux même bercés par les pionniers de la seconde révolution industrielle comme Eugène Hénard, appliquée dans l’après-guerre et remise au cause dès les années 1970. Un modèle donc tout à fait éphémère, à l’échelle de l’histoire. La grande question est alors de savoir de quoi sera faite la ville du futur, de quelle modèle voulons-nous et, surtout, comment l’appliquer.

La recherche d’un modèle parfait

Ici, petite parenthèse de philosophie sans prétention. Existerait-il un modèle parfait ? Un système rationnel et sans erreurs où tout serait conçu avec une pondération minutieuse des avantages et des inconvénients, pris dans leur définition la plus large possible ? L’automobiliste qui s’asphyxie dans les embouteillages est-il moins rationnel que le cycliste qui s’épuise sur son vélo ? L’euphorie actuelle en faveur des modes doux ne doit pas nous faire oublier que chaque “système” n’est rationnel que par la cohérence de ses éléments. Le modèle du “tout automobile” développé dans les années 50/60 était aussi cohérent, peut-être même plus (il avait du moins atteint, dans les années 70, son plus haut degré de maturité), que notre modèle actuel, qui reste d’ailleurs largement à définir. Le tout automobile demeure ainsi le modèle le plus pertinent dans les territoires de faible densité, généralement qualifiés de “ruraux”, et où les Départements ont établi leur expertise dans l’aménagement depuis maintenant deux siècles.

Reconnaissant donc qu’il n’existe pas de modèle parfait, je souhaite cependant que l’on développe l’hypothèse d’une ville sans voiture ou, plus exactement, sans véhicule individuel lourd (voitures, camions, cyclomoteurs…). Je ne prétends pas qu’il soit meilleur que le modèle “car-friendly” qui est encore développé, par exemple, dans certaines villes américaines ou par habitude dans les territoires européens, mais la promesse d’une ville sans voiture me semble infiniment plus positive que la permanence de notre modèle actuel, compromis bâtard entre les pesanteurs intellectuelles du XXe siècle et les préoccupation d’aujourd’hui en matière d’environnement et de bien-être personnel. Par ailleurs, l’industrie automobile en elle même semble nous condamner à de vastes entrepôts remplis d’ouvriers sous-qualifiés et de plus en plus “mécanisés”. Les villes de l’industrie automobile ont de plus connu un destin tragique (ex-bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, Détroit aux États-Unis…) qui devrait nous inciter à un minimum de prudence. Bien au contraire, l’économie “car-free” qui émerge apparaît riche en services, en main d’oeuvre qualifiée et en proximité ; elle se traduit bien souvent par de petits commerces implantés en centre-ville et a parfaitement intégré les valeurs de l’économie solidaire et du DIY.

Les défis de la ville sans voiture

La définition d’un modèle de ville sans voiture me semble donc un bien meilleur investissement de nos “temps de cerveau disponible”, pour reprendre l’expression du Patrick Le Lay; piétons, cyclistes et transports en commun présentant des avantages relatifs mais conséquents, pour un coût d’aménagement par ailleurs bien moindre ! L’enjeu général de cette réflexion est alors de résoudre les défis actuels des bien nommés “modes doux”… Les plus souvent cités sont:

  • Le transport de marchandises ou, plus généralement, de charges lourdes (cela inclue les enfants et peut-être même les adultes);
  • L’éloignement du domicile par rapport au lieu de travail ou, plus généralement, par rapport aux services de la ville (emploi, loisirs, enseignement, administration, information…);
  • La dispersion de ces services urbains;
  • Le temps, qui tend à devenir la principal contrainte de nos sociétés (après en avoir été la principale richesse, étrangement);
  • La sécurité (un excellent article d’Yves Raibaud fait ici le point sur les inégalités de genre générées par la “ville durable” et qui forment une part conséquente du défi de la sécurité : https://lejournal.cnrs.fr/billets/la-ville-durable-creuse-les-inegalites);
  • Le confort (entre autres: les intempéries, la qualité des aménagements, du véhicule utilisé…);
  • La capacité physique et l’énergie, contraintes élémentaires qui posent également la question de la solidarité en ville et de l’accessibilité pour tous;
  • La capacité financière, pour l’individu, à s’équiper d’un véhicule; un bon vélo pouvant se chiffrer à plus de 500€, voire plus de 1000 pour un vélo électrique: investissement non négligeable pour les personnes privées d’emploi et qui n’inclue pas les réparations éventuelles, le changement des pièces usées, etc.
Lire aussi :  On vous a rayé votre bagnole? Votez UMP!

Beaucoup de ces défis ont déjà trouvé leurs réponses, mais les remarques – parfois assez agressives – que les cyclistes essuient dans leur quotidien m’incitent à penser que l’opinion publique reste majoritairement en marge de ces innovations. Pour beaucoup de gens, des tâches aussi simples que faire ses courses à vélo ou transporter ses enfants à l’école apparaissent encore comme insurmontables ou, au mieux, saugrenues. Le décalage entre la perception de la “vélogistique” par les institutionnels ou les cyclistes et le public est énorme: alors que ce dernier considère encore majoritairement la voiture comme une évidence et un symbole de mobilité omniprésent, les partisans tout-vélo sont piégés dans leurs évidences. Pourquoi les gens s’évertuent-ils à traverser le centre-ville en voiture, alors qu’ils iraient plus rapidement par le périphérique? Pourquoi ce jeune cadre, qui habite pourtant à 15 min à vélo de son lieu de travail, perd-t-il son temps à attendre un métro bondé et puant ? Pourquoi cette sportive fait-elle 30 min de voiture, 3 fois par semaine, pour se rendre à sa salle de sport, alors que l’énergie qu’elle y dépense la conduirait aisément, à vélo, jusqu’à son bureau ? La petite reine nous est évidente, comme la voiture l’est pour “eux”. Chacun reste campé dans son incompréhension de l’autre et ses certitude; l’écart se creuse, le vélo s’embourgeoise et devient un symbole identitaire alors qu’il n’était motivé – à l’origine – que par une décision simplement rationnelle: il est plus rapide de circuler en ville à vélo ou à pieds qu’en voiture, alors pourquoi la prendre?

Si l’avenir de la vélogistique n’est ainsi plus à mettre en doute, celui du vélo m’apparaît au contraire menacé : menacé par le communautarisme croissant et l’envie “d’envoyer chier ces cons d’automobilistes qui ne veulent comprendre, qui nous polluent et enlaidissent nos villes” (crédo simplifié des éco-terroristes), menacé par la ségrégation spatiale et territoriale qui met les quartiers/villes cyclables au dessus des autres, menacé par une cohabitation anxiogène et les insultes qui fusent de plus en plus entre usagers, menacé par le populisme et les politicards qui – pour satisfaire une partie naïve de leur électorat – reviennent sur les acquis (comme on l’a observé à Béthune ou Saint-Étienne), menacé enfin par le manque d’empathie mutuelle et la faiblesse des compromis adoptés par les aménageurs.

Renouer le dialogue avec les usagers, les élus et les urbanistes devrait être, aujourd’hui, notre priorité. Nous ne manquons pas de solutions, mais nous manquons de pédagogie pour les expliquer. C’est par l’écoute et le respect des besoins de chacun que nous définirons le meilleur modèle urbain, celui où chaque usager est respecté dans son “milieu naturel” et où la ville prospère, rayonne sur sa campagne et son territoire.

12 commentaires sur “Retrouver la ville

  1. Vincent

    > La grande question est alors de savoir de quoi sera faite la ville du futur, de quelle modèle voulons-nous et, surtout, comment l’appliquer.

    Avec le pic de pétrole qui nous pend au nez, et donc le peu de temps qui nous reste avant la régression qu’il va entraîner, avec notamment pour conséquence la faible probabilité de trouver une alternative valable à la voiture à essence… la ville du futur a des chances d’être celle d’avant la Deuxième guerre mondiale : de moins en moins de voitures individuelles, de plus en plus de vélos, de transports en commuun et… de piétons.

    > Bien au contraire, l’économie “car-free” qui émerge apparaît riche en services, en main d’oeuvre qualifiée et en proximité ; elle se traduit bien souvent par de petits commerces implantés en centre-ville et a parfaitement intégré les valeurs de l’économie solidaire et du DIY

    On lit souvent ce genre de chose dans le monde « alter », qui oublie juste un détail : moins de machines et des petits commerces conduit à un niveau de vie plus faible, par baisse de la productivité et prix plus élevés.

    C’est pour ça que les commerces de centre-ville meurent dans la plupart des villes en France : on prend sa voiture, on fait quelques kilomètres et on a accès à l’hyper-marché qui propose 1) un choix et 2) des prix imbattables.

    On est curieux de voir comment les choses ont évolué dans les quelques villes comme Béthune ou Thonon-les-bains qui ont décidé de réintroduire la voiture dans leur centre-ville depuis les Municipales de 2014, dans l’espoir de relancer le commerce en ville.

    > La capacité financière, pour l’individu, à s’équiper d’un véhicule; un bon vélo pouvant se chiffrer à plus de 500€, voire plus de 1000 pour un vélo électrique: investissement non négligeable pour les personnes privées d’emploi et qui n’inclue pas les réparations éventuelles, le changement des pièces usées, etc.

    A fortement relativiser : un vélo, même haut de gamme, coûte une toute petite fraction de ce que coûte une voiture. Et on peut le combiner avec les transports en commun, surtout si on a fait le choix d’un vélo pliable.

    En plus, on trouve de bons vélos d’occasion sur Internet pour 100-200€.

    > Beaucoup de ces défis ont déjà trouvé leurs réponses, mais les remarques – parfois assez agressives – que les cyclistes essuient dans leur quotidien m’incitent à penser que l’opinion publique reste majoritairement en marge de ces innovations.

    Normal : la part modale du vélo en France dans les villes autre que les plus grandes tournent à moins de 1%. Même dans la ville leader qu’est Strasbourg, elle est à 12% dans le centre-ville, et chute très sérieusement dès qu’on roule en banlieue. Et les aménagements cyclables font rire les Hollandais.

    C’est donc la poule et l’œuf : les infrastructures cyclables sont pourries ou inexistantes et empêchent donc le commun des mortels à se déplacer à nouveau à vélo en ville (à nouveau, puisque c’était très répandu avant l’après-guerre). Et tant que la part modale est très faible, les élus ne voient pas l’intérêt d’y consacrer de l’argent.

    La physique va se charger de régler la question.

    « Échéance et conséquences du pic pétrolier »
    http://www.youtube.com/watch?v=imwp_1vk4i8

  2. Mangegrain

    Je souhaite aussi rebondir sur l’argument du prix du vélo :

    > La capacité financière, pour l’individu, à s’équiper d’un véhicule; un bon vélo pouvant se chiffrer à plus de 500€, voire plus de 1000 pour un vélo électrique: investissement non négligeable pour les personnes privées d’emploi et qui n’inclue pas les réparations éventuelles, le changement des pièces usées, etc.

    Ce sont des tarifs commerciaux… Cet argument n’intègre donc pas « les valeurs de l’économie solidaire et du DIY »

    Il existe un réseau d’ateliers d’autoréparation : http://www.heureux-cyclage.org/

    Ces ateliers mettent l’achat d’un vélo d’occasion et son entretien à la portée de toutes les bourses :  10 à 20 € d’adhésion annuelle, 2 ou 3 douzaines d’Euros pour un vélo d’occasion révisé et apte à affronter la ville, des conseils de réparation et des pièces détachées à tarification symbolique.

     

  3. Mangegrain

    Pour moi, les « défis » les plus couramment évoqués (par mes collègues non cyclistes) sont plutôt :

    L’effort physique/La transpiration
    L’exposition au froid, à la pluie
    Le danger
    Le temps de trajet

    Au quotidien bien sûr, à vélo, aucun de ces « défis » n’en est réellement un : à chaque problème ses solutions.

  4. Hub Lot Auteur

    Bonjour Vincent, merci pour ce commentaire détaillé ! Je me permets d’en reprendre la forme :

    C’est pour ça que les commerces de centre-ville meurent dans la plupart des villes en France : on prend sa voiture, on fait quelques kilomètres et on a accès à l’hyper-marché qui propose 1) un choix et 2) des prix imbattables.

    C’est un peu plus complexe que ça. Commerces de centre-ville et hypermarchés ne répondent pas au même besoin et vendent donc pas la même chose. Chacun a son positionnement ! Efficacité, faible niveau de service et diversité des produits dans les hypers VS haut niveau de service, qualité des produits et « éloge de la flânerie » dans les commerces du centre. Si certains commerces sont donc probablement amenés à mourir (boucheries de quartiers, petites épiceries…), ceux qui ont un bon positionnement n’ont pas de soucis à se faire puisqu’ils ne sont pas en concurrence avec les hypers. Par ailleurs, on observe également le retour des supermachés en centre-ville ! L’étude de Frédérick Héran et de la Fubicy en dira plus : http://www.fubicy.org/spip.php?article192. Sinon, je compte aussi écrire un article là dessus prochainement…

    Quant à l’économie du vélo. Nous manquons pour l’instant de retour pour que je puisse confirmer ou infirmer votre remarque. C’est une question qui mériterait un article à part entière.

    Vos autres remarques sont très pertinentes et je ne peux qu’approuver. La dernière me confirme justement dans mon propos : l’expertise « modes-doux », bien que perfectible, existe déjà en France et ailleurs ; nous devons maintenant entrer dans une phase active de revendication et de conviction massive qui dépasse le simple cadre associatif (qui jusqu’à maintenant a porté ces combats)… Les moyennes villes et les métropoles doivent s’affirmer comme des pilotes ambitieux et convaincre de la faisabilité de ce modèle. C’est par exemple le rôle de Bruxelles en ce moment !

  5. Hub Lot Auteur

    Bonjour Mangegrain : ma liste des défis à relever est bien sûr extensible et participative. Merci pour ces ajouts 😉

    Concernant le prix du vélo, je me fais évidemment l’avocat du diable… Vincent faisait très justement remarquer que même 500€ reste une somme ridicule comparé au prix d’une voiture… Je remarque cependant que les incitations à l’achat d’un vélo sont rarement financières ; or, l’octroi d’une « bourse vélo » (comme cela existe pour passer le permis B) n’a pas qu’un rôle financier… Il a surtout un rôle social et psychologique, en établissant le vélo comme un moyen de transport crédible, digne de l’intérêt et du « denier public ». C’est en ce sens que l’indemnité kilométrique vélo est une telle victoire, et non pas tant pour ce qu’elle rapporte au salarié…

  6. Mangegrain

    Certes, la future IK vélo est en soi une (petite) victoire, qui fait sortir le vélo de sa niche sport/loisir/accessoire-de-mode-pour-bobo. Même si avec un taux un peu ridicule de 12 à 15 centimes du km (vs 49 centimes par km pour une voiture 4CV) on ne risque pas d’entrainer un report modal massif de la voiture vers le vélo.

    Le problème au fond, c’est le principe de l’INDEMNITE kilométrique : l’employeur (ou l’Etat dans le cadre des frais réels) REMBOURSE des frais, réputés réellement engagés par le salarié ou le contribuable.

    Le salarié/contribuable n’est pas censé percevoir plus d’argent qu’il n’en a dépensé pour ses déplacements.

    Pourtant, le calcul actuel est vicié et incite largement à circuler en voiture ou moto parce que c’est le seul moyen de transport pris en charge sans justificatif, et avec un taux d’IK avantageux par rapport au PRK réel.

    Si on changeait de paradygme, si on parlait plutôt d’ALLOCATION kilométrique, avec un taux unifié (basé par exemple sur le taux d’IK des voitures à 4 CV quel que soit le mode de transport utilisé), alors là on verrait du report modal en masse (ou au moins un rééquilibrage) vers les moyens de transport les moins chers et/ou les plus adaptés à chaque cas.

    Et le dialogue se renouerait tout seul entre une majorité de nouveaux piétons/cyclistes/usagers des TC récemment convertis et les « politicards » toujours aussi populistes mais qui auront senti le vent tourner.

    Quant-aux éco-terroristes… Je n’en ai jamais vu, jamais rencontré… C’est surtout un gimmick de série policière US, pour faire une alternance avec les maris infidèles, les tueurs en série et les fondamentalistes islamiques, non ?

  7. Hub Lot Auteur

    Si on changeait de paradygme, si on parlait plutôt d’ALLOCATIONkilométrique, avec un taux unifié (basé par exemple sur le taux d’IK des voitures à 4 CV quel que soit le mode de transport utilisé), alors là on verrait du report modal en masse (ou au moins un rééquilibrage) vers les moyens de transport les moins chers et/ou les plus adaptés à chaque cas.

    Le vélo n’est peut-être pas moins cher que les transports en commun, mais en matière de porte à porte, en milieu urbain, il devance la voiture ; pourtant, le report modal est – comme on peut le constater – assez décevant. J’aime votre idée d’allocation kilométrique, mais je reste songeur sur sa capacité à entraîner un report modal massif… Ces choses là ne prennent-elles pas, par nature, du temps et des générations ? N’étant malheureusement pas aussi patient (la planète non plus), je reste persuadé que la solution demeure la fermeture pure et simple de l’hypercentre aux voitures (ce qui est, par ailleurs, dans leur intérêt). Cela, puis de la pédagogie pour expliquer aux gens les raisons de cette fermeture, tout en leur mettant dans les mains les substituts. J’affectionne aussi l’idée des « portes d’entrée » de la ville (les parkings automobile à proximité de l’hypercentre), qui permettent de contenter tout le monde.

    Quant aux éco-terroristes… C’est une boutade dans laquelle je m’inclue… Je veux dire par là que la radicalisation des cyclistes (insultes, doigts d’honneurs, théorie de l’emmerdement maximum et cie.) nous éloigne de notre but, à savoir : convaincre un maximum de gens.

  8. pedibus

    Si la vie quotidienne future se passe d’automobile alors évidemment la ville future s’en passera, puisque dès maintenant la population urbaine est majoritaire sur le globe. Sans doute faut-il se garder des effets charmeurs du discours technophile ou positiviste : regardons le paradoxe actuel de cours des matières premières énergétiques effondrés, du fait d’une crise globale financière, dont on n’a qu’un faible premier aperçu, tant les ravages futurs sont potentiellement menaçants, du seul fait d’un réajustement dévastateur de l’organisation ricardienne de la production manufacturière mondiale.
     La Chine est au bout de son cycle de développement. Elle doit désormais passer au stade des produits à haute valeur ajoutée et de la fabrication de la connaissance. Elle en a largement les moyens et souhaitons-lui bonne chance : un million de nouveaux ingénieurs et doctorants chaque année c’est bien plus que le total OCDE. Mais son développement est assis sur un concept urbanistique occidental sans avenir, avec des réseaux autoroutiers et de transports publics ferrés urbains qui ne peuvent que rejouer l’erreur de Los Angeles au tournant des XIXe et XXe siècles, surtout si un conglomérat BTP et un secteur financier continuent de se nourrir de programmes d’extension urbaine sans limite : ça ressemble plus à l’affairisme du XIXe siècle occidental qu’à un XXIe siècle résolument  tourné vers des concepts de société urbaine durable et à échelle humaine…
    Il faut tempérer la présentation du contexte historique urbain de Hub Lot. Certes la ville motorisée, exceptés les premiers trams et trains de banlieue, à vapeur puis électriques, du dernier tiers du XIXe siècle, ça correspond au XXe siècle, avec l’automobile et sa diffusion massive et généralisée dans beaucoup de mégapoles mondiales dans sa seconde moitié. Cependant existait bien avant ce qui est appelée  la « ville machine », c’est-à-dire la cité pensée avant tout pour faciliter la circulation. Cet urbanisme date de la période classique. Et dès le XVIe siècle le réseau viaire des villes occidentales était taillé pour le déplacement rapide hippomobile, en particulier les carrosses : avenues rectilignes et larges où était mise en application la grande découverte de la Renaissance, la perspective. Ce parti d’urbanisme circulatoire servait aussi le dessein d’autres institutions. Ainsi cette géométrie était éminemment favorable aux monstrations martiales : les défilés militaires intimidants, impressionnants de force, tant pour rassurer la bourgeoisie en phase d’enrichissement et le pouvoir monarchique, que pour dissuader la populace de la moindre velléité de rébellion…
    Les villes commerciales (voir l’historien de la ville Lewis Mumford) devaient faire circuler hommes et machines avec le maximum d’efficacité. Le foncier était taillé en coupe réglée : d’où le plan en damier des villes bien avant la révolution industrielle aux Etats-Unis, bien avant la mise en place des infrastructures dédiées à l’automobile, reprenant le plan en damier des parcelles agricoles, à attribuer de façon égalitaire aux nouveaux arrivants. Si l’intention première était belle, la suite des évènements tourna à l’avantage des détenteurs du capital : par revente les lots s’agrandirent, tant agricoles qu’urbains, et de gros promoteurs purent prendre de l’envergure, s’enrichir et, en ville, penser au court terme en fabricant de la ville de mauvaise qualité, en construisant de vrais taudis. C’est-à-dire en faisant un maximum de logements locatifs à largeur de front de parcelle constante…
    Alors bien sûr il semblerait que le mot taxe fasse partie des tabous anglo-saxons, le paradigme premier restant la prospérité économique, le cauchemar absolu la dépression économique et le chômage consécutif : souvenirs de 1929… Malgré tout de puissantes politiques publiques américaines existent, dès lors, par exemple, qu’il s’agit de soutenir le complexe militaro industriel… Il n’y aurait qu’un pas à faire  pour favoriser un nouveau système, celui de la gestion de la ville à taille humaine avec autre chose qu’un système de canalisations à ciel ouvert, toujours plus engorgé, usine à gaz dans tous les sens du terme, qui s’appelle le système automobile… Sa remise en cause et surtout la requalification et le réaménagement des villes correspondraient à un nouveau secteur d’activité économique bien plus puissant encore, tant les ressources nécessaires appelées pour une telle entreprise semblent immenses…
    “To Tax or not tax that is the question”, mais  sans doute pas pour longtemps tellement la situation climatique devient urgente. Et tellement les villes sont devenues laides et inhabitables du seul fait de la réponse d’aménagement aux exigences de la circulation automobile. Alors oui, à l’échelle fine de l’Hexagone, qu’on aligne les « subventions » vélo, transport en commun ou pedibus sur le tarif de la pétoire à quatre roues de base, si vraiment un signal prix arrive à enclencher une modification des pratiques de mobilité…
    Qu’on médite la phrase (1962) de Lewis Mumford*, encore lui, qu’on me pardonne :
    « Le temps paraît proche où, dans de nombreuses cités, la circulation redeviendra facile du fait que personne n’aura plus envie d’y demeurer ou de s’y rendre ».

     
    *« La cité à travers l’histoire », réédition revue par l’auteur en 1989, Agone 2011

  9. Hub Lot Auteur

    Merci Pédibus pour ces précisions historiques ! Mumford trônera prochainement sur ma table de chevet… Pour ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’urbanisme, Michel Ragon demeure une référence facile et passionnante : http://www.michelragon.fr/category/bibliographie/architecture/  Je m’y réfère quasiment quotidiennement…

    Je ne peux qu’évidemment approuver cette remarque :

    la requalification et le réaménagement des villes correspondraient à un nouveau secteur d’activité économique bien plus puissant encore, tant les ressources nécessaires appelées pour une telle entreprise semblent immenses…

    Il y tant de travail à faire, en effet. Reste à définir un modèle économique et les conditions financières de sa réalisation…

    (Parenthèse de rêve utopiste : Il serait si simple de racheter une ville à l’abandon et d’en faire un « site pilote » pour une ville sans circulation motorisée… Je m’étonne que personne n’ait encore osé. Reste à y créer des emplois…)

  10. pedibus

    eh bien! merci pour cette nouvelle piste, Hub Lot! je cours à la BU lundi prochain, pour emprunter ce qui me semble intéressant sur le thème de l’histoire urbaine, avec « L’homme et les villes »…

    par contre dans les revues en ligne je ne sais pas encore ce qu’il pourrait y avoir d’accessible…

    Quant au modèle économique qui pourrait nous requalifier rapidement et dans les meilleures conditions sociétales nos villes « atomo-immobilisées » sans doute faut-il imaginer un nouveau topos où le DIY, un secteur marchand dynamique à l’échelle de la rue et du quartier – avec des commerces de proximité bénéficiant d’un retour actualisé du socialisme municipal – et des pouvoirs publics locaux relais d’un Etat sorti de la parenthèse nécrosociétale néolibérale pourraient constituer un nouvel ordre, avec le juge de paix du bulletin de vote, évaluateur de l’avancée du chantier…

    Donc pas une utopie sire, mais une révolution!

    boaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa

  11. Jean-Marc

    Mangegrain : « Si on changeait de paradygme, si on parlait plutôt d’ALLOCATION kilométrique, avec un taux unifié (basé par exemple sur le taux d’IK des voitures à 4 CV quel que soit le mode de transport utilisé), alors là on verrait du report modal en masse (ou au moins un rééquilibrage) vers les moyens de transport les moins chers et/ou les plus adaptés à chaque cas. »

     

    Oui, c est effectivement un truc assez incroyable :

    plus tu as une grosse voiture, qui consomme bcp, plus l état te rembourse de fortes sommes… on incite les gens à rouler en grosses berlines, on les déresponsabilise.

    Le cas extrême : les voitures de fonctions : voiture et assurance payées

    souvent aussi les réparations/l entretien

    seule l essence (et encore, pas toujours) est payée par l’utilisateur… et on peut se la faire déduire des impôts par l indemnité kilomètrique, Youpi !

    rentabilité financière pour le pays et rentabilité sociétale pour tous complètement nulles..

  12. arthur

    Je suis pas convaincu que parler de ville durable ou verte soit un pléonasme, pour moi ce serait plutôt un oxymore…

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