Chronique d’un vendredi noir

En ce jour du VENDREDI NOIR, j’ai fait 65 km à vélo dans la boue et dans les détours pour distribuer 8 affiches et 40 tracts de « La Prose du Transsibérien » prochain spectacle à La Station théâtre. J’aurais pu m’alléger la tâche et choisir itinéraire plus confortable et plus court sur le macadam bien propre offert par les collectivités aux automobilistes afin de préserver leurs carrosseries des outrages de la fange et leurs suspensions du vertige des nids de poule, mais l’âge venant, je n’ai plus la force de lutter contre la vitesse et le poids démesurés de ces engins conduits par des fats pressés qui n’attendent pas que la voie d’en face se libère pour dépasser les équipages vulnérables, sensibles et vertueux que nous formons avec nos montures lentes et légères dont la simplicité mécanique suscite le mépris des technocrates et des terroristes du progrès.

Fournissant d’épuisants efforts pour décoller les pneus de ma machine de la boue et passer ses roues outre les cahots des chemins, j’ai eu tout le loisir de ruminer et de vouer aux gémonies cette domination implacable du poids et de la vitesse sur tout ce qui est fragile, à commencer par les enfants et les vieux désormais contraints de se réfugier dans des parcs ou dans des commerces pour jouer ou se promener et de se faire systématiquement enfermer dans des boîtes à moteur pour se déplacer d’un point à un autre en toute sécurité.

Alors que faire ? songeais-je tandis que j’empruntais un tronçon d’asphalte en hésitant à me placer en son milieu pour obliger les monstres assourdissants à rester derrière moi jusqu’à ce que la voie d’en face se libère et qu’ils s’y déportent sans risquer de me happer en me dépassant. Faut-il qu’on continue le long des routes existantes à aménager la ségrégation des flux, en multipliant les trottoirs et les pistes cyclables, jusque dans les campagnes, à grands renforts de terrassements, de goudrons, de peintures inaltérables, de panneaux de circulation, de bordures, de stops et de contournements pénibles spécifiquement destinés aux cyclistes et aux piétons à tous les carrefours?

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Et dans ce cas, nous les fragiles, légitimons par le soin qu’on dit prendre de nous à cette occasion, la surenchère non seulement des aménagements spécifiques mais en plus de la construction d’une profusion d’ axes routiers nécessaires au confort des automobilistes. Ou faut-il qu’une bonne fois pour toutes, on s’interroge sur la nécessité de la vitesse du poids et de la puissance des engins motorisés, sur la nécessité des déplacements, des « échanges » commerciaux, sur la séparation géographique des lieux de travail et des lieux de résidence et par là-même, sur la séparation du travail et du loisir?

Qui voudra poser les problèmes fondamentaux et oser avancer les solutions radicales? En attendant, ceux et celles qui les vivent au quotidien, qu’ils aient ou non fait le choix conscient d’une vie hors normes sans voiture, s’épuisent à résister ou meurent écrasés par les autos. Certes ils sont quantité négligeable et ne sont pas parés de l’exotisme du chef Raoni ou des orangs outans d’Indonésie. On ne les voit pas dans les magazines de papier glacé en tenue d’indigènes, beaux et bouleversants à la fois au point que le lecteur décide d’acheter à la page suivante un billet d’avion aller-retour pour leur pays en solidarité avec leur combat!

Il y a, contenue dans ce conflit d’usage des routes, toute la folie de la croissance, de la vitesse, de la technologie et des seuils de confort admissibles dans nos société industrielles.

En ce jour du VENDREDI NOIR, Amazon et le consumérisme ne sont qu’une partie du problème. La croissance en est une autre.

Photo: Vitrail de l’église Saint-Gilles à Stoke Poges, Angleterre (17ème siècle)

3 commentaires sur “Chronique d’un vendredi noir

  1. pedibus

    allez mon vieux Gwenael, peut-être pour te remonter le moral, le lien ci-dessous va sans doute t’arracher la tripaille si tu en ris trop fort, de la connerie bagnolardique merdique quand on réclame 135€ au caisseux quinteux diéseleux qui prend une bande enherbée pour un trottoir – ben oui quoi, le réflexe de Pavlov, même dans le no man’s land de l’entrée des villes ou du périr-urbain… – :

    à mon avis la maréchaussée doit garder une p’tite sensibilité écolo, ou le sens de l’esthétique, en refusant de voir de la ferraille pousser sur la berme… ça lui rappelle pneu-être le décor accidentel et la belle carrosserie en dentelle, qui scintille sous les feux rotatifs des camionnettes rouges et bleues…

    bon trève de rimbaldises esquintées, j’aboule mon lien, nom d’un chien… :

     

    https://www.legavox.fr/forum/routier/code-de-la-route/definition-legal-quot-trottoir-quot_92175_1.htm

     

    non mais c’est-y pas boaaaa ça… ?

     

     

  2. vince

    @pedibus

    Merci pour ces lectures ubuesques 😉

    Je m’étais garé à l’emplacement suivant bien malgré moi [un terre-plein], après avoir tourné 30min pour chercher une place dans un secteur raisonnable autour de mon rendez vous professionnel…

     

    Je crois qu’on a la solution chez Carfree (marche à pied etc)

     

  3. Bibinato

    Combien d’associations vélos travaillent la main dans la main avec les décideurs sur ces fameux aménagements séparant les cyclistes des flots motorisés ? presque toutes, quel renoncement…

    Il n’y est plus bien porté d’exercer son esprit critique jusqu’à ces questions sociales, il n’y est pas questionné l’éloignement domicile-travail, ou alors, c’est pour mieux légitimer le vélo assisté électriquement.

    Il faut dire que leur coeur de cible, ce ne sont ni les enfants, ni les vieux, ni les handicapés, non, leur coeur de cible, c’est l’urbain mâle ultra intégré, au vélo rutilant et à la coupe impeccable, même et surtout lorsqu’elles proclament dans leur communication se soucier des plus vulnérables, il n’y a qu’à voir qui sont leurs porte-paroles, qui fréquentent leurs rendez-vous festifs…

    Qui ose encore tenir des propos radicaux : « contre les pollutions chimiques et mentales des moteurs et de la civilisation industrielle qui va avec. Non à l’auto-moto qui envahit nos rues, nos cerveaux et nos bronches. Oui à l’autonomie ici et maintenant ».

    Vélorution !

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