Dans le domaine de la mobilité des personnes, de leurs déplacements, le thème consensuel par excellence est certainement celui de la mobilité dite « durable ». Réchauffement climatique, dégradation de l’environnement, défis énergétiques, tout concourt à mettre ce thème à l’agenda politique et social, au point de finir par occulter d’autres réalités, d’autres évolutions.
Si ce n’est plus tout à fait l’automobile qui mène le bal, par contre le slogan « Ma mobilité, c’est ma liberté » est certainement celui qui résumerait le mieux la manière dont notre société approche l’organisation de nos (non-)déplacements en ce début de XXIe siècle. L’idéologie dominante valorise et promeut la mobilité à tout crin. On peut parler à ce propos d’une véritable « injonction » à la mobilité.
Ma mobilité c’est ma liberté ? Comme nous le montrent Christophe Mincke et Bertrand Montulet, cette idéologie mobilitaire de ce début de XXIe siècle fait des ravages aussi bien sur les routes que dans les entreprises. Derrière ce discours se cache la face invisible de la mobilité, des mobilités. On y trouve peu de liberté et bien des souffrances et des inégalités.
Dans ce dossier, diverses contributions cherchent à dévoiler ce qui se trouve derrière l’injonction « Bougez », qu’on nous serine à tout va : Pierre Ansay décortique les ressorts de notre désir d’automobile et ses effets ; René Schoonbrodt brosse le tableau des multiples enjeux – économique, social, culturel… – auxquels renvoie la mobilité ; enfin, Betrand Montulet, pour qui les phénomènes de mobilité s’expliqueraient par une grille d’analyse spatio-temporelle, et le duo Paul Van Heesvelde/Peter Hofman, qui avancent que l’accélération et l’allocation du temps sont les premières explications des problèmes posés par la mobilité, s’y emploient également. Le capitalisme met en concurrence les territoires et les travailleurs qui y vivent pour obtenir une plus-value maximale. La prédominance du « just in time » n’est dès lors pas surprenante, où l’on privilégie les stocks roulants de marchandises et où l’on exige des « flux tendus » de la part des opérateurs de transport et de leurs travailleurs. Derrière les discours idéologiques et les logiques économiques dominantes se cache aussi la face invisible de la mobilité, des mobilités. Il n’y sera plus question de mobilité durable, mais d’une mobilité « dure », bien illustrée par les photos de Véronique Vercheval et la fiction de Réjane Peigny sur le thème de « la route à tout prix ». On ne parlera pas tant des logiques modales (route, rail…) que des logiques des usagers ou des travailleurs.
Les articles de Roland De Bodt et de Roberto Parillo ont pour ambition de décrypter les logiques et idéologies dominantes (délocalisation versus relocalisations par exemple), et d’analyser la réalité sociale et politique des mobilités éprouvantes : tarifs et horaires des navettes domicile-travail, temps de conduite des chauffeurs, enjeux de mobilité des chercheurs d’emplois, mobilité difficile de certains groupes sociaux…
Cette évolution est solidement articulée à la logique de la flexibilité et de la polyvalence dans le monde des entreprises où l’on vante aussi les collaborateurs « mobiles » (même si c’est dans un autre sens), comme le montre la contribution de Stéphane Balthazar. La rencontre avec Jean Puissant nous montre quant à elle, en contraste frappant avec l’injonction à se déplacer à tout prix de notre époque, la logique immobilisante des patrons à l’égard des travailleurs au XIXe siècle.
Le dossier a été coordonné par Bertrand Montulet et Philippe Meunier.
Lire le dossier de Politique, revue de débats, avril 2010.