« Nitrogen and Global Change »

Extrait de « Les Animaux nuisibles dans la République des privilèges ».

« Décarbonisation de l’économie », on connaît avec le vacarme du « marché carbone » et le greenwashing des automobiles au moteur diesel subventionné et dites « peu émettrices » en « gaz à effet de serre »…  Mais il faut savoir qu’on en est aussi arrivé au stade où une drastique « dénitrogénation de l’économie » s’impose de manière aussi urgente en France.

Dans la longue liste des gabegies subventionnées, la pollution à l’azote n’est pas forcément bien connue du grand public. Pourtant depuis un bon demi-siècle, elle fait régulièrement parler d’elle et préoccupe de plus en plus les experts, presqu’autant que les écologistes.

On connaissait ses diverses conséquences écologiques et sanitaires, on s’en inquiétait… Désormais on en connaît le coût global et là encore comme pour les pesticides la facture est lourde: financière, écologique et sanitaire.

Parmi les nombreuses manifestations de cette pollution, le phénomène des « algues vertes » est l’une des plus spectaculaires. Frappant en France les côtes bretonnes et accessible à la vue du grand public, elle est aussi l’une des plus symptomatiques de l’incurie chronique des pouvoirs publics et aujourd’hui le symbole de son impuissance.

Mais l’envergure de la « pollution à l’Azote » est beaucoup plus vaste que cette manifestation littorale, tous les milieux sont concernés, l’eau, la terre et l’atmosphère, ce qui est visible et tristement spectaculaire aujourd’hui n’est en fait que la partie émergée de l’iceberg.

Incurie, oui on peut le dire ! Contrairement aux métaux lourds dispersés larga manu dans la nature par l’industrie, l’Azote élémentaire N ou moléculaire N2 n’est pas un produit toxique, il est même nécessaire à la vie, mais l’industrialisation manu militari de l’agriculture en a fait, par ses principaux dérivés oxydés [NOx], un des plus préoccupants problèmes écologiques et sanitaires de notre époque.

Question : Combien y a-t-il de communes en France métropolitaine ? Plus de 19.000, fort heureusement. Ce chiffre est celui de celles concernées par la pollution au nitrate d’origine agricole. En 2012, sur 36.568 communes en métropole, plus de la moitié ont leurs eaux de rivière et leurs nappes souterraines polluées au nitrate et la dégradation des cours d’eau et des aquifères progresse encore en France. La première grande alerte date de 1970, dans les eaux de la Vilaine en Bretagne, un jour de cette année on découvrait 10 mg de nitrate par litre (1). Le remembrement agricole, démembrement violant du monde rural, avait purgé les campagnes et la PAC avait débuté en 1962.

Pour ne pas trop noircir le tableau, la barre des experts est mise très haut, plus de 50 mg par litre de nitrate sont nécessaire pour définir une « zone vulnérable ». Malgré cela, la majorité des communes est concernée (2). Moins de 30 mg par litre est désormais un idéal inaccessible et, avec cette barre, ce serait toute la France qui entrerait dans la » zone vulnérable »… L’OMS recommande moins de 25 mg par litre et pour faire disparaître le phénomène des « algues vertes » il faut repasser en dessous des 10 mg par litre, « mission impossible en France »…

Lorsque plus haut on parlait d’impuissance et d’incurie des pouvoirs publics on restait dans l’euphémisme, la formule « complicité active » caractériserait mieux la réalité politique de la crise. En mai 2011, le conseil économique et social de Bretagne notait déjà que « des marées vertes sont désormais observées jusqu’à l’Ile d’Oléron ainsi qu’en Normandie » (3).

Ce développement durable d’une catastrophe écologique dont tout le monde connaît l’origine a acquis sa dimension politique nationale lorsqu’en juillet 2011 le Président de la République en visite dans le Finistère trouvait le moyen de confirmer sa grande pensée « l’environnement ça commence à bien faire ». Devant les élus locaux il affirmait qu’il se refusait « de désigner des coupables, de montrer du doigt les agriculteurs » puis de contre-attaquer en dénonçant les « intégristes » de l’écologie avant de se ridiculiser en beauté avec la proposition de deux mesures inefficaces et complètement à côté de la plaque: « ramassage et méthanisation du lisier « (4).

Le président espère peut être une transmutation de l’atome d’Azote en atome de Carbone dans la cornue de méthanisation, il est vrai que ces deux atomes sont sur la même ligne et côte à côte dans la classification périodique de Mendeleïev…

Pour la pollution de l’eau, l’agriculture intensive est la principale coupable, pour la pollution de l’atmosphère, le trafic automobile et plus généralement la combustion industrielle des énergies fossiles ont aussi leur part de responsabilité et en Europe, la France s’illustre par son parc multi-subventionné de moteurs Diesel  » made in France »…

Parmi les 42.000 morts prématurées officielles reconnues en France et liées à la pollution atmosphérique, les oxydes d’azote disputent quelques victimes aux particules fines…

Un demi-siècle d’incurie délibérée des pouvoirs publics ou de complicité active envers l’agrochimie industrielle, la facture est « nettement plus élevée qu’on l’imaginait » reconnaît Jean-François Soussana, chercheur de l’INRA.

Les données de l’étude « évaluation européenne pour l’Azote » sont tombées en avril 2011. Elles ont été révélées, lors de la conférence internationale « Nitrogen and Global Change » organisée par le centre d’écologie et d’hydrologie d’Edinburgh en Écosse (5).

La facture est lourde en effet, le coût des dommages causés par cette pollution de l’air, de l’eau et des sols dans l’Union Européenne est estimé entre 70 et 320 milliards d’euros par an.

Et l’étude ne s’est pas contentée de chiffrer. On peut dire qu’elle a osé enfoncer le clou en désignant explicitement les coupables, car la relation de cause à effet est trop évidente. « Ces coûts représenteraient, selon l’étude, plus du double des bénéfices résultant de l’utilisation de l’azote dans l’agriculture européenne. Autrement dit seraient deux fois plus élevés que les gains de rendement agricole permis par les engrais chimique » (6).

Exprimé de manière plus laconique sous forme de mots d’ordre « écolos »: un siècle de modernisation agricole, un siècle d’imposture ou encore: 50 ans de PAC = 50 ans de gabegie subventionnée.

Cependant, les eurocrates ne sont pas fous, il y a une rationalité économique à la PAC, elle est celle du capitalisme au stade de l’organisation scientifique de la spoliation. On a déjà le fameux rapport « 80/20 », 80% des subventions de la PAC sont destinées aux 20% des agriculteurs les plus riches et polluants. Ou pour reprendre la formule laconique du Canard Enchainé: « Du blé, du blé, du blé ! »

Lire aussi :  Gaz de schiste, l'Académie des Sciences fossilisée dans la Roche Mère (2)

« Les plus « gros » empochent le pactole de la PAC » (7) et parmi eux, en plus des « gros cul(tivateur)s », il faut compter l’aristocratie européenne, la noblesse héritée de l’ancien régime, la Reine d’Angleterre, les Prince et Princesse de Monaco. Cette gabegie subventionnée mise en évidence et en chiffre par l’étude Azote correspond au niveau européen à la tout aussi fameuse recette « privatisation des profits, socialisation des pertes ».

La machinerie européenne de la machination économique fonctionne à merveille et en face de sa spectaculaire efficacité on peut dire en définitive que le vieux schéma marxiste du capitalisme n’est plus qu’une image d’Épinal. Le système d’extorsion ou de création de la plus-value d’aujourd’hui est une économie planifiée de la spoliation. Il ne met plus en scène à l’échelle locale ou nationale de malheureux prolétaires exploités par de cupides bourgeois mais perfectionne une machinerie continentale de plus en plus complexe, comme celle des institutions européennes, capable d’organiser au dessus de nos têtes une économie de guerre globale et de pillage sur l’écosystème.

Réparti sur l’ensemble de la population européenne, le coût de la pollution azotée de l’Union Européenne des eurocrates se situe entre 150 et 740 euros par habitant et par an. Cela parait somme toute supportable sur le plan financier. Cependant, il y a bien une certaine injustice pour ne pas dire une injustice extrême car en définitive l’on nous fait subir une multiple peine ou pire une peine en réaction en chaine.

Au stade de l’organisation scientifique de la spoliation on atteint le summum froid, « soft » et « clean » du capitalisme de catastrophe où tout rapporte même le désastre comme par miracle: on paye pour être spolié, on paye pour le triomphe de la « mal bouffe », on paye pour être gavé de viande de Cheval certifiée « pur bœuf » ou « pur porc », on paye pour des farines animales dans l’alimentation des piscicultures, on paye pour toutes les pollutions de l’eau et des sols, on paye très cher pour produire une atmosphère hautement pathogène et l’on paye depuis un demi-siècle pour la dégradation en chaine de notre environnement.

A ce jeu toujours gagnant de privatisation des profits et de socialisation des pertes, sans risque et sans effort pour les eurocrates, si ce n’est celui de l’innovation dans la rhétorique, sans violence apparente même, on ne voit pas comment ralentir l’emballement de la réaction en chaine. Seuls les riches en définitive, par le jeu des paradis fiscaux, disposent du luxueux privilège de ne pas trop contribuer financièrement au désastre écologique que l’Europe « communautaire » organise à leur profit.

« Pour les chercheurs [de l’étude européenne], une prise de conscience s’impose sur la nécessité de réduire les excès d’Azote dans l’environnement. Cette réduction passe notamment par une évolution des pratiques agricole à l’origine des fortes concentrations de nitrate dans les grandes régions de culture. » rappelle le journaliste du Monde. Sauf que cette conscience existe depuis 50 ans et qu’elle est justement laminée par la puissante machinerie de la PAC.

Jean-François Soussana, aux premières loges en tant que chercheur à l’INRA, exprime le drame sous forme d’un euphémisme: « le choix a été fait en Europe d’une certaine spécialisation régionale alors qu’une polyculture associée à l’élevage permettrait une meilleure gestion de l’Azote ». C’est joliment dit pour désigner l’arbitraire semi-séculaire de la bureaucratie de la PAC, car « le choix » est celui des eurocrates seuls. C’est très joliment dit même pour qui connaît la violence avec laquelle la Noblesse d’État a procédé dans les années 1950-1960 aux purges des campagnes françaises…

Sortant de la bouche d’un chercheur de l’INRA, il s’agit d’un aveu historique, non pas seulement d’erreur ou de mauvaise analyse mais de totale culpabilité.

Ce que l’Europe a massivement financé pendant 50 ans, la Révolution verte et le productivisme au nom de la modernisation agricole apparaît clairement comme la cause du désastre et ce que la Noblesse d’État française a violemment détruit pendant les Trente Glorieuses, la polyculture élevage, apparaît, y compris aux yeux d’un chercheur de l’INRA, comme la réelle solution. En définitive, on retrouve aujourd’hui, sortant de la bouche scientifique, ce que beaucoup d’écologistes et quelques agronomes (« écolos ») comme l’auteur de « L’Utopie ou la Mort » savaient parfaitement depuis longtemps.

Notes

(1) Fabrice Nicolino François Veillerette « Pesticides, révélation sur un scandale français » Fayard 2007 page 18
(2) Le Monde mardi 15 janvier 2013 « Le nitrate contamine de plus en plus de rivières françaises » Près de 19 000 communes sont concernées par la pollution d’origine agricole.
(3) Le Monde samedi 25 juin 2011 « Les algues vertes prolifèrent sur les côte bretonnes »
(4) Le Monde vendredi 15 juillet 2011 « Algues Vertes : « Une fuite en avant qui ne s’attaque pas au mal ».
(5) Nitrogen and Global Change, Key findings – future challenges Launch of the European Nitrogen Assessment
(6) Le Monde jeudi 14 avril 2011 « pollution à l’Azote : une lourde facture pour l’Europe »
« Une étude sans précédent évalue de 150 à 740 euro par habitant et par an son coût sanitaire et financier »
(7) Le Canard Enchainé, mercredi 13 février 2013 « Les aides européennes de la PAC étant calculées en fonction de la taille de la ferme [donc du capital], le plus gros d’entre eux vont toucher le pactole »