Après la pandémie : La gratuité des transports publics, un outil pour construire un monde plus solidaire et plus soutenable

Nous sommes entrés dans un grand moment de déstabilisation, où les crises se superposent et s’amplifient: crise environnementale, crise sanitaire, crise sociale et économique, crise alimentaire.

1. La santé : un bien commun

Un siècle après l’épidémie de grippe de 1918 qui a fait des dizaines de millions de morts, le Monde connaît une crise sanitaire mondiale, amenant la plupart des États à prendre des mesures de confinement sans précédent.

Cette crise a mis en lumière d’une part la défaillance du service public de santé français mais aussi le fait que les Français donnaient la priorité à leur santé.

Une des premières leçons à tirer de la crise sanitaire est qu’il est à proprement parler vital de rompre avec les politiques d’austérité qui ont affaibli le système de santé français et la gestion en flux tendu qui le rend particulièrement fragile face aux crises comme celle-ci. En voulant faire des économies, les gouvernements français successifs ont sacrifié le système hospitalier et la prévention des épidémies. Résultat, en plus des victimes humaines, le coût financier de la crise du covid-19 va être des dizaines de fois supérieur à celui qu’aurait coûté une politique de santé à la hauteur.

En conséquences, les biens et services essentiels doivent être soustraits à la loi du marché et devenir des biens et services publics, au service de l’intérêt général.

2. En France, la pollution de l’air tue 50 000 personnes chaque année. Plus que la covid-19!

Les études épidémiologiques menées depuis les années 90 ont mis en évidence des relations statistiques entre des indicateurs d’exposition aux polluants atmosphériques (concentrations ambiantes en particules en suspension, en gaz…) et la survenue d’événements sanitaires en excès dans la population (nombre de décès, de cas d’asthmes…). Plusieurs centaines de travaux, menés dans de nombreux pays, sur des populations et avec des méthodologies différentes, ont produit un ensemble de résultats convergents. Ils montrent que l’exposition aux polluants, notamment les particules en suspension et l’ozone, induit un impact à court terme sur la santé (notamment sur la mortalité et sur les hospitalisations).

Il y a un lien significatif entre niveau de pollution et gravité de l’épidémie. La pollution fragilise les voies respiratoires, provoque des maladies cardiovasculaires, qui sont autant de facteurs de surmortalité pour la covid-19.

3. Le réchauffement climatique a un impact sur la santé et menace la sécurité alimentaire

Le réchauffement climatique a un lien avec la fréquence des épidémies. Extension du domaine d’action d’agents infectieux comme les moustiques ou les tiques, fonte du pergélisol libérant des virus avec lesquels nous n’avons pas d’histoire commune récente, le dérèglement climatique va multiplier les menaces pour la santé des êtres humains.

Les dix années les plus chaudes jamais enregistrées sont toutes postérieures à 1997. 14 des 15 années les plus chaudes se situent au 21ème siècle, pourtant à peine entamé. Ainsi, l’année 2016 est la plus chaude, suivie de près par 2019.

Dans un rapport rendu public en décembre 2015, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) constate que l’érosion emporte de 25 à 40 milliards de tonnes de couche superficielle chaque année. Si rien n’est fait pour atténuer l’érosion, on pourrait arriver à une réduction totale de plus de 253 millions de tonnes de céréales d’ici 2050. Cette perte de rendement équivaudrait à retirer de la production agricole 1,5 million de km2 de terres – soit l’équivalent de toutes les terres arables de l’Inde[1].

Selon les estimations du Programme alimentaire mondial, le nombre de personnes souffrant d’insécurité alimentaire aiguë dans le monde devrait doubler à cause du Coronavirus, atteignant 250 millions d’humains d’ici la fin 2020[2].

Quel sera notre devenir si demain nous rencontrons d’autres virus encore plus agressifs, si le réchauffement climatique et la pollution de l’air s’amplifient encore plus ? (forte augmentation des jours de canicule, du niveau des mers, mortalité en hausse, etc.)

Le mode actuel de production, de consommation, de déplacement mondialisé pousse à la déforestation, bouleverse les écosystèmes et provoque réchauffement et dérèglement climatique, désastres en termes de biodiversité, de pollution, de gaspillage des ressources. L’apparition de nouveaux virus zoonoses[3], est un signal d’alarme et doit appeler à questionner le modèle de développement actuel. Les produits fabriqués à l’autre bout du monde sont transportés sur des milliers de kilomètres. Nous disposons de produits rapidement obsolètes à profusion, mais les services essentiels sont affaiblis voire viennent à manquer.

Les milliardaires du monde entier, au nombre de 2 153, possèdent plus de richesses que 4,6 milliards de personnes[4]. Selon l’OIT (l‘Organisation Internationale du Travail), en 2018 la majorité des 3.3 milliards de travailleurs dans le monde n’occupaient pas un travail décent, c’est à dire un travail digne, convenablement rémunéré, qui s’exerce dans de bonnes conditions de sécurité et qui procure un minimum de protection sociale pour le travailleur et sa famille. Il y avait environ 300 millions de travailleurs en extrême pauvreté, vivant avec moins de 1,90 USD par jour.

4. L’imminence d’une crise sociale violente en France et dans le monde

Il y avait déjà une urgence sociale avant la crise sanitaire, c’est à une crise sociale très violente que nous allons assister si nous ne prenons pas les moyens collectifs pour y faire face.

Sur une population active de 3,3 milliards de personnes, l’OIT évalue que plus de quatre sur cinq sont affectées par la fermeture totale ou partielle des lieux de travail[5]. La pandémie provoque un double choc économique d’offre et de demande, sous l’effet du confinement et de l’arrêt des chaînes de production.

La Confédération syndicale internationale demande la création d’un fonds mondial de protection sociale universelle pour les pays les plus pauvres, afin de soutenir les soins de santé et le maintien de revenus partout sur la planète[6]. En France, 12.7 millions de salariés sont au chômage partiel à la date du 19 mai selon la DARES[7]. Il y a un grand risque de suppressions massives d’emplois. L’OFCE s’attend à ce que la France compte 600.000 chômeurs de plus d’ici à fin juin, avec un taux de chômage de l’ordre de 10 % en juin et peut-être au-delà de 12 % à la fin de l’année (8% en 2019)[8]. Suite au confinement, et malgré les mesures de chômage partiel, la prise en charge des arrêts pour garde d’enfants par la CPAM et des aides pour les indépendants, des millions de personnes se sont retrouvées avec de très faibles revenus ou sans revenus. La faim est réapparue dans certains quartiers et les queues se sont allongées pour les distributions de repas. 10 millions d’€ de chèques d’urgence alimentaire ont été distribués.

En France en 2018, selon l’INSEE et l’OFCE, les inégalités se sont accrues et la pauvreté touchait plus de 9 millions de personnes[9]. Cette situation ne peut que s’aggraver avec le confinement et la crise sanitaire.

S’attaquer au code du travail (augmentation des horaires, de la précarité…) n’est pas la solution. Cela ne fait que rajouter de la difficulté pour les personnes déjà en difficulté. C’est un pur effet d’aubaine pour le gouvernement qui utilise la crise sanitaire pour mener plus loin sa politique de régression sociale.

Il faut travailler au contraire à une société plus solidaire, avec plus de protection sociale.

Il est indispensable de défendre les services publics existants, assurer la maîtrise publique des biens et services essentiels (école, santé, logement, eau-gaz-électricité, transports…), les rendre accessible au plus grand nombre, notamment aux milieux populaires.

5. La gratuité des transports publics : un moyen important dans la construction d’une société solidaire et soutenable.

Durant la période de confinement, grâce à la réduction du trafic routier, on a pu profiter d’une baisse des nuisances sonores, de rues et de routes plus sures. La concentration de dioxyde d’azote dans l’air a fortement baissé dans l’agglomération grenobloise, ce qui s’est ressenti, même si l’indice global de la qualité de l’air mesurée par ATMO ne diffère pas beaucoup des années précédentes à cause d’une forte concentration d’ozone et d’une concentration de particules fines qui n’a que peu baissé (agriculture? Chauffage au bois?).

6. Sommes-nous condamnés à un retour à la situation précédente, c’est-à-dire à l’anormal?

En empruntant les transports en commun plutôt qu’en se déplaçant en voiture, un voyageur produit nettement moins de particules fines (PM10, PM2.5), de gaz à effet de serre (CO2) et de gaz nocifs pour la santé (NOx).

Les émissions de NO2 sont très majoritairement dues aux transports (63%), viennent ensuite l’industrie manufacturière (19%) et au résidentiel/tertiaire (11%), agriculture et sylviculture (7%)[10]. Du 13 mars au 13 avril 2020, les concentrations de NO2 (produit principalement par les véhicules et les centrales thermiques) ont reculé de 54% à Paris, de 49% à Rome, de 48% à Madrid et de 47% à Milan[11]. La concentration en NO2 a diminué de moitié à Grenoble entre le 20 mars et le 20 avril (on est passé de 30 (+ou-20) mg/m3 en moyenne à un peu plus de 10 mg/m3)[12].

Lire aussi :  Palmarès 2009 des émissions de CO2 des magazines hebdomadaires

Une étude mondiale révèle que la proportion de cas d’asthme de l’enfant liés à la pollution de la route est de 17% en France, un tiers à Paris[13].

Il faut donc dans le domaine des transports une véritable politique de rupture, pour diminuer très significativement le recours à l’automobile. Si le développement rapide des aménagements piétons et cyclables est une très bonne chose, pour un coût en infrastructure modeste, cela ne permet pas, loin de là, de répondre aux besoins de toute la population, à l’échelle d’une agglomération.

Il faut donc promouvoir les transports publics. Pour cela il faut une offre de qualité. Mais cela ne suffit pas si on veut vraiment créer les conditions d’une utilisation massive des transports publics. Il faut envoyer le signal que prendre les transports publics c’est important pour la société dans son ensemble, comme sont importantes l’école et la santé. Pour cela il faut la gratuité.

L’expérience de la gratuité des transports publics à Dunkerque (22 communes, 200 000 habitants) est très instructive. Un an après sa mise en service en 2018, la gratuité totale a déjà fait augmenter la fréquentation de 85% en moyenne ; 48% des nouveaux usagers utilisaient auparavant leur automobile ; un tiers des places de parking sont maintenant vides[14].

7. Le coût de la non-gratuité

L’argument principal de la très grande majorité des décideurs politiques contre la gratuité des transports publics est son coût. Mais on n’aborde jamais le coût des nuisances liées à la pollution, aux émissions de GES, aux coûts de l’entretien et de l’extension des infrastructures routières – pourtant jamais suffisante pour éviter les embouteillages -, à l’énorme surface dédiée à l’automobile pour un faible nombre de passagers.

– au niveau national, la pollution atmosphérique provoque au moins 50000 morts par an, son coût est estimé à une valeur comprise entre 70 et 100 milliards d’euros par an[15],
– l’épidémie de covid-19 va se traduire selon les prévisions du gouvernement par un recul de 7.4 % du PIB en 2020[16], soit 180 Md €,
– selon l’ONU, les pertes économiques directes dans le monde dues à des épisodes de climat extrême ont bondi de 250% entre 1998 et 2017[17],
– les coûts du changement climatique pourraient représenter, à l’horizon 2050, entre 5 % et 20 % du produit intérieur brut (PIB) mondial de 2005 par an, alors qu’une stabilisation des émissions de gaz à effet de serre ne coûterait que 1% du PIB mondial par an[18].

8. La France ne respecte pas ses engagements internationaux en matière d’environnement

L’accord de Paris, adopté en 2015 lors de la COP21, se donnait pour objectif de rester nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5°C[19] . La France s’est fixé l’objectif de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 27 % d’ici 2028 par rapport à l’année 2013 et de 75 % d’ici 2050. Or force est de constater que la France n’est pas au niveau de ses engagements : en 2018, l’empreinte carbone de la France a été de 445,3 millions de tonnes (Mt) de CO2 par rapport à un objectif de 426,2 Mt de CO2, selon l’Observatoire Climat-Energie, soit 4.5 % au-dessus de la trajectoire prévue[20].

La France a aussi été condamnée en octobre 2019 par la Cour de justice de l’Union Européenne pour « dépassement de manière systématique et persistante de la valeur limite annuelle pour le dioxyde d’azote depuis 2010 »[21], en violation de la directive « qualité de l’air » adoptée le 21 mai 2008[22]. 12 agglomérations sont visées dont celle de Grenoble.

9. Et la région grenobloise ?

Pour la région grenobloise, les prévisions du cabinet TEC prédisent une multiplication par 15 des jours de canicule d’ici 2050, moins de pluie et de neige, plus d’incendies[23]. Les moustiques tigres sont sur le territoire et un cas de dengue a été signalé à Grenoble en 2019[24]. On assiste depuis peu à la prolifération des tiques, dont de nouvelles espèces dangereuses.

En France, de l’ordre de 50000 ha de terre arable par an sont artificialisées, c’est l’équivalent de la surface d’un département français qui disparaît tous les 10 ans[25].

Dans ce contexte préoccupant d’insécurité alimentaire, il est essentiel de préserver les terres cultivables. Or le PLUI de Grenoble-Alpes-Métropole adopté le 20 décembre 2019 ne renverse pas la tendance, et se contente de viser la réduction de 35 % de la consommation d’espace[26]. Selon la FRAPNA Isère (aujourd’hui FNE Isère), le PLUI « ouvre la voie à l’artificialisation de 354 ha en-dehors de la tâche urbaine actuelle[27] ».

La création de la 3ème voie pour l’A480 fait partie des grands projets inutiles appartenant au passé. Il faut rompre avec le développement des infrastructures pour le transport automobile.

Les derniers chiffres disponibles sur les déplacements (Enquête Ménages Déplacements 2010, analyse DEEM 2010) indiquent que, pour les 330 000 déplacements entre la métropole et la grande région grenobloise, 82% des déplacements se font en voiture (au volant ou en tant que passager)[28]. S’inscrire dans les engagements de la COP21 suppose de réduire d’un quart la part de la voiture dans les déplacements d’ici 2030, et la place de la voiture doit devenir nettement minoritaire en 2050.

10. Pour une politique de transport à la mesure des enjeux: développement conséquent de l’offre ferroviaire, gratuité pour les usagers

Nous avons besoin de transports peu polluants, efficaces et sobres en besoins d’infrastructures, moins gourmands en terres. Le ferroviaire remplit toutes ces conditions à l’échelle de la grande agglomération. Il faut un territoire équilibré, préservant et développant l’agriculture de proximité, avec une agglomération qui cesse de s’étaler et de consommer de la terre cultivable.

Le réseau ferroviaire doit refléter cet équilibre territorial en favorisant le développement autour des gares, maintenues et développées, avec un réseau qui ne soit pas en étoile mais avec plusieurs centres, etc.

S’inscrire dans les engagements de la COP21 suppose de réduire d’un quart la part de la voiture dans les déplacements d’ici 2030, et la place de la voiture doit devenir nettement minoritaire en 2050. Cette réduction doit se faire via le développement du transport ferroviaire.

Le ferroviaire pour les «grands» déplacements doit être complété par une offre de qualité (tram et bus, pistes cyclables) pour les déplacements inférieurs à 5 km.

La gratuité est nécessaire pour créer les conditions d’un transfert massif vers les transports publics collectifs. C’est aussi la traduction que choisir de prendre les transports collectifs sert l’intérêt de toutes et tous.

Pour que le Monde d’après ne soit pas le retour à l’anormal, il faut sortir des déclarations d’intentions et des demi-mesures pour prendre des mesures politiques fortes.

Ce changement indispensable a besoin pour se réaliser de l’action déterminée des forces associatives, syndicales et politiques, et de l’intervention du plus grand nombre de citoyen.nes. Nous avons besoin de démocratie et de débats citoyens pour pouvoir décider ensemble de ce qu’il nous faut.

Source: http://www.gratuite-transports-publics.ouvaton.org

Notes

[1] FAO
[2] Nations-Unies
[3] Zoonose : Maladie infectieuse des animaux vertébrés transmissible à l’être humain (ex. la rage).
[4] Rapport Oxfam 2020
[5] Organisation Internationale du Travail (OIT)
[6] INTERNATIONAL TRADE UNION CONFEDERATION
[7] DARES
[8] Les Echos
[9] Insee
[10] Ministère de l’écologie
[11] ESA
[13] Sciences et Avenir
[14] Urbis le Mag
[15] Sénat
[16] Le Monde
[17] Les Echos
[18] Sénat
[19] Nations-Unies
[20] Dans le sillage de cet accord, la France s’est fixée des objectifs annuels pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 27 % d’ici 2028 par rapport à l’année 2013 et de 75 % d’ici 2050.
[21] Cour de justice de l’Union européenne
[22] INERIS
[23] TEC Conseil
[24] France 3 Régions
[25] Terre Net
[26] La Métro
[27] PLUI-Grenoble-Alpes-Metropole
[28] Smtc Grenoble

Un commentaire sur “Après la pandémie : La gratuité des transports publics, un outil pour construire un monde plus solidaire et plus soutenable

  1. vince

    Belle campagne que vous avez là !

    La gratuité des transports publics est une bien meilleure solution de désengorgement que la construction de nouvelles routes, elle devrait être soutenue par tous automobilistes compris.

     

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