Les biocarburants sont responsables de la crise alimentaire, selon la Banque Mondiale

Les biocarburants ont provoqué une hausse des prix du marché mondial de l’alimentation de 75% – bien plus élevée que ce qui était estimé jusqu’alors – selon un rapport confidentiel de la Banque Mondiale obtenu par le Guardian.

Par Aditya Chakrabortty, The Guardian, 4 juillet 2008

Cette évaluation accablante, non encore publiée, est basée sur l’analyse la plus détaillée de la crise effectuée à ce jour, réalisée par un économiste de la Banque Mondiale internationalement respecté.

Ce chiffre contredit les affirmations du gouvernement américain qui prétend que les combustibles d’origine végétale contribuent pour moins de 3% à la hausse des prix de l’alimentation. Il renforcera la pression exercée sur les gouvernements, à Washington et en Europe, qui se sont tournés vers les carburants d’origine végétale pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et diminuer leur dépendance à l’égard des importations de pétrole.

Des sources informées estiment que le rapport, achevé en avril, n’a pas été publié afin d’éviter d’embarrasser le président George Bush.

« Il mettrait la Banque mondiale en situation conflictuelle avec la Maison Blanche », déclarait hier l’une d’entre elles.

Cette information est rendue publique à un moment critique des négociations mondiales sur les biocarburants. Les dirigeants des pays industrialisés du G8 se réuniront la semaine prochaine à Hokkaido, au Japon, où ils discuteront de la crise alimentaire. Ils sont soumis à d’intenses pressions de la part des militants appelant à un moratoire sur l’utilisation de ces carburants.

Ce document va également mettre la pression sur le gouvernement Britannique, qui doit publier son propre document sur l’impact des biocarburants, le rapport Gallagher. The Guardian a déjà révélé que l’étude britannique indique que cette filière de carburants a joué un rôle « significatif » dans l’envolée record des prix des denrées alimentaires. Bien que la publication devait être effectuée la semaine dernière, elle n’a toujours pas eu lieu.

« Les responsables politiques semblent vouloir ignorer ou écarter les preuves solides établissant que les biocarburants sont un facteur important dans les dernières hausses des prix des produits alimentaires », déclare Robert Bailey, conseiller politique d’Oxfam. « Il est impératif que nous disposions du tableau complet. Alors que les politiques se préoccupent de contenter les lobbys industriels, les gens dans les pays pauvres n’ont pas les moyens de manger à leur faim. »

La hausse des prix des produits alimentaires a rejeté 100 millions de personnes dans le monde en dessous du seuil de pauvreté, estime la Banque Mondiale, et elle a provoqué des émeutes du Bangladesh à l’Égypte. Des ministres Britanniques ont décrit la hausse de l’alimentation et des carburants comme « la première véritable crise économique de la mondialisation ».

Le Président Bush a pour sa part attribué la hausse des prix alimentaires à la plus forte demande en provenance de l’Inde et la Chine, mais l’étude de la Banque mondiale estime par contre que « la croissance rapide des revenus dans les pays en développement n’a pas entraîné de fortes augmentations dans la consommation mondiale de céréales et n’a pas été un important facteur responsable des hausses de prix. »

Même les sécheresses récurrentes en Australie, note le rapport, ont eu un impact marginal. Au lieu de cela, il fait valoir que la politique de l’UE et des États-Unis en faveur des biocarburants a eu le plus grand impact sur l’approvisionnement alimentaire et les prix.

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Depuis avril, tous les carburants essence et diesel en Grande-Bretagne doivent inclure 2,5% de biocarburants. L’UE avait envisagé de relever cet objectif à 10% d’ici à 2020, mais est confrontée à l’évidence de plus en plus manifeste que cela ne fera que pousser à la hausse les prix des produits alimentaires.

« Sans l’augmentation de la production de biocarburants, les stocks mondiaux de blé et de maïs n’auraient pas sensiblement diminué et les hausses de prix en raison d’autres facteurs auraient été modérées », souligne le rapport. L’échantillon des prix des produits alimentaires de l’étude a augmenté de 140% entre 2002 et Février 2008. Le rapport estime que la hausse des prix de l’énergie et des engrais n’intervient que pour 15% dans cette augmentation, tandis que les biocarburants ont été responsables de 75% de celle-ci au cours de cette période.

Le rapport indique que la production de biocarburants a déstabilisé les marchés de produits alimentaires de trois façons. Tout d’abord, il a détourné des céréales de l’usage alimentaire, avec plus d’un tiers du maïs poussant aux États-Unis qui est maintenant utilisé pour produire de l’éthanol et près de la moitié des huiles végétales dans l’UE destinées à la production de biodiesel. Deuxièmement, les agriculteurs ont été encouragés à réserver des terres pour la production de biocarburants. En troisième lieu, cela a suscité une spéculation financière sur les céréales, augmentant encore les cours.

D’autres études réalisées sur la crise alimentaire avaient examiné une période beaucoup plus longue, ou n’avaient pas relié ces trois facteurs, et concluaient à un faible impact des biocarburants. Mais l’auteur de ce rapport, Don Mitchell, un économiste senior de la Banque Mondiale, a fait une analyse détaillée, mois par mois, de l’envol des prix des denrées alimentaires, qui permet d’examiner plus finement le lien entre les biocarburants et l’approvisionnement alimentaire.

Le rapport souligne que les biocarburants dérivés de la canne à sucre, dans lesquels s’est spécialisé dans le Brésil, n’ont pas eu un tel impact.

Les partisans des biocarburants font valoir qu’ils représentent une alternative écologique au pétrole et aux combustibles fossiles, mais cette affirmation a été contestée par certains experts, qui estiment que cet argument ne s’applique pas à la production américaine d’éthanol à partir de plantes.

« Il est clair que certains biocarburants ont d’énormes répercussions sur les prix des produits alimentaires », déclarait hier le Dr David King, ancien conseiller scientifique en chef du gouvernement. « En les soutenant, tout ce que nous nous obtenons c’est de subventionner l’augmentation du prix des produits alimentaires, tandis que ne nous faisons rien pour lutter contre le changement climatique. »


Pubication originale The Guardian, traduction Contre Info